Monsieur le Président,
Aujourd’hui, l’heure est grave et même très grave. L’histoire de notre pays est en marche.
En tant qu’acteur de la société civile culturelle, ma responsabilité citoyenne m’exige de prendre la parole pour exprimer mes inquiétudes et mes espoirs pour un Mali nouveau.
Nous avons suivi avec beaucoup d’intérêts les contestations populaires qui ont abouti à votre action, qui a conduit à la démission du président le 18 août dernier. Une grande partie de la population se reconnait en votre action qu’elle trouve salutaire, et espère que cela marquera un nouveau départ pour notre pays.
Votre première déclaration nous avait rassurés dans ce sens et suscité de l’espoir pour un Mali nouveau. Mais aujourd’hui, vu l’évolution des choses sur le terrain, je m’interroge sur un certain nombre de questions.
Nous avons été surpris et inquiets de constater votre décision de proclamer un Acte fondamental sans concertation, au préalable, avec les forces vives de la nation. Cet Acte aurait gagné en légitimité et en qualité en termes de contenu, si toutes les forces vives de la nation étaient associées à la démarche. Il est souhaitable de faire en sorte qu’on puisse le plus rapidement possible revenir à l’ordre constitutionnel normal, comme stipulé par les instruments internationaux que le Mali a ratifié.
Monsieur le Président,
Je voudrais attirer votre attention sur le fait que nous sommes en 2020. La gouvernance mondiale est régie par des principes démocratiques auxquels le Mali a souscrit. Ce n’est plus possible dans le monde aujourd’hui qu’un militaire en exercice dirige un pays démocratique. Pour exercer la plénitude et la légitimité du pouvoir il est impératif de passer par les urnes. Nous comprenons et ressentons l’engagement et le patriotisme de votre équipe, mais nous pensons que vous avez déjà joué un rôle historique et que vous pouvez continuer à être une exception en vous focalisant sur votre métier, la sécurisation du territoire malien. Car, il nous est apparu en visitant vos différents profils que vous faites partie de nos meilleurs militaires avec une bonne maitrise du terrain.
Notre inquiétude à ce niveau est que nos meilleurs militaires ne se transforment en hommes politiques et ne s’éloignent progressivement du théâtre des opérations. Vous conviendrez avec nous que le fait de passer des journées et de longues soirées avec les forces vives de la nation n’est pas un travail pour des militaires professionnels, donc inopportun, dans un pays occupé à 75%.
A cet effet, il serait judicieux et approprié de remettre le plus rapidement possible le pouvoir à une personnalité civile apolitique même s’il faut lui adjoindre un militaire comme vice-président pour s’assurer du respect des idéaux qui ont conduit au changement. Faites en sorte d’abréger les peines de la population. Continuez à accroitre le dialogue avec les forces vives du pays et l’ensemble de la communauté internationale pour aller vers un consensus.
Monsieur le Président,
Toute volonté de conserver le pouvoir serait hasardeuse, dangereuse et contre-productive, et enlèvera à votre action toute son élégance. Nous sommes tous d’accord que la crise actuelle est une faillite collective de la majorité des classes dirigeantes politiques, militaires et de la société civile. Oui, c’est une panne de leadership à tous les niveaux. Nous sommes tous comptables de cette situation. Pire, c’est le type de citoyen malien même qui est en cause, qui a besoin d’être refondé. Le changement tant espéré ne viendra pas seulement en refondant les institutions ou en proclamant des actes, mais également en travaillant profondément sur l’éducation d’un nouveau type de citoyen malien avec nos valeurs sociétales.
Aujourd’hui, l’heure est à l’union sacrée autour de nos valeurs culturelles et sociétales du Maaya qui prônent le respect de l’autre, l’amour de la patrie, la solidarité, l’honneur, la probité, la rigueur, l’honnêteté, le pardon, la confiance, le respect de la parole, etc. Il est important qu’on revisite ces valeurs-là qui ont fait la grandeur du Mali.
Monsieur le Président,
Une transition en principe est une période d’exception qui se déroule sur un minimum de temps possible pour préparer deux ou trois choses essentielles. Et pour le cas du Mali, aujourd’hui nous avons deux axes essentiels autour desquels peut s’articuler la transition de 9 à 12 mois :
Axe 1 : Des ajustements et adaptations institutionnels (Constitution, Code électoral, charte des partis) fondés sur les leçons tirées de la présente crise, s’inspirant de nos valeurs et ressources culturelles pour enrichir les modes et mécanismes de gouvernance politique, économique et sociale (pour avoir des élections transparentes, crédibles dont les résultats seront acceptés par tous);
Axe 2 : Sécurité. L’urgence aujourd’hui pour la transition devrait être de travailler sur la sécurisation du territoire et cela est de votre ressort, d’abord en révisant et / ou mettant en œuvre de manière effective l’accord d’Alger (pour régler définitivement la crise sécuritaire sur toute l’étendue du territoire national).
A cet égard, j’attire également votre attention sur le fait que toutes les propositions tendant à donner beaucoup de contenus et à prolonger le temps de la transition seraient dangereuses et contreproductives pour notre pays, et risquent d’engendrer d’autres crises ; car comme vous le constatez vous-même, le début d’une bagarre pour le partage du gâteau et des querelles de chapelles ont commencé. Plus la transition est courte mieux elle sera efficace.
Que Dieu bénisse le Mali !
Mamou Daffé
Acteur culturel
Président Fondation Festival sur le Niger
Arc en Ciel