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Les trois choses qui bloquent le peuple souverain face à l’Etat

Par Alla Kane…

« Oui, dans quelques jours, la France, le Mali et les Etats  qui le composent entameront  des négociations pour modifier le statut de leurs rapports … Cet Etat du Mali va prendre ce qu’on appelle la situation d’indépendance que je préfère appeler celle de la souveraineté internationale. »

 C’est en ces termes que le Général de Gaulle, Président de la Communauté franco-africaine annonçait, dans son discours du 13 décembre 1959, devant l’Assemblée fédérale du Mali, l’ouverture des négociations devant aboutir à l’accès à la souveraineté internationale du Mali et des Etats qui le composent (le Sénégal et le Soudan). Bien des années aprés Dien-Bien Phu et le soulèvement armé du Front de libération nationale (FLN) du peuple algérien (six ans), la Conférence de Bandoeng (cinq ans), l’indépendance de la Tunisie et du Maroc (quatre ans), et celle du Ghana (trois ans).

Les négociations s’ouvrirent à Paris dès le mois de janvier 1960 et se conclurent le 04 Avril, date de la signature des accords portant, d’une part, sur le transfert des compétences définies à l’article 17 de la Constitution de la Communauté franco africaine et, de l’autre, sur la coopération couvrant un certain nombre de domaines bien définis.

A partir de la signature de ces accords du 04 Avril 1960, deux domaines bien précis furent délimités : le champ politique correspondant à l’exercice officiel des attributs de la souveraineté et le domaine de l’économie réelle, porteuse de croissance et de développement. Le champ politique, découlant des accords rendus publics, était réservé aux nationaux ; tandis que le domaine de l’économie défini par des accords gardés secrets, l’ancienne puissance coloniale se l’est approprié.

Il sortit ainsi des négociations annoncées par le Général de Gaule un pacte que l’histoire retiendra comme un pacte néo colonial dont le contenu pourrait être traduit comme suit : A vous, anciens colonisés, la politique,  et à nous, vos anciens maîtres, l’économie. Ce fut l’érection d’un MUR qui symbolisait l’installation du néo-colonialisme. Un pacte néocolonial naquit dont la mise en œuvre allait être confiée à cette organisation appelée Françafrique.

L’organisation et la mise en place de la Françafrique furent confiées à Jacques Foccart, devenu le Monsieur Afrique du Général de Gaulle. Il s’est employé à mettre en place des hommes de confiance, piliers surs de la charpente conçue et dirigée depuis le Palais de l’Elysée.

On commença par déblayer le terrain en le débarrassant de tous les obstacles pouvant constituer une entrave à leur projet : « écarter toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’empire » Ce qui explique la série d’événements survenus sur le terrain politique : la dissolution du Parti Africain de l’Indépendance (PAI) 1er Aout 1960, l’éclatement de la Fédération du Mali le 20 Aout 1960, la dissolution de l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire (UGTAN) le 1erdécembre 1960 (lors de sa conférence des cadres du 11 septembre 1958 à Bamako, l’UGTAN avait appelé à voter NON au referendum du 28 septembre 1958), l’arrestation de Mamadou DIA et de ses compagnons le 17 décembre 1962 ; l’adoption le 03 mars  1963 de la Constitution de Senghor instituant le présidentialisme néocolonial, la provocation d’une scission /fusion au Bloc des Masses Sénégalaises (BMS)  de Cheikh Anta DIOP en octobre 1963 avec interdiction de toute activité pour la partie opposée à la fusion, la provocation d’une scission au sein du PRA /Sénégal et création du  PRA/Sénégal rénovation en Février 1964, la dissolution du Front national sénégalais (FNS) de Cheikh Anta DIOP et des partisans de Mamadou DIA en Octobre 1964. Ainsi, ont-ils réussi à installer avec la Constitution du 03 mars 1963 un système politique basé sur le présidentialisme qu’Abdoulaye LY a justement appelé Présidentialisme néocolonial.

L’économie réelle, porteuse de croissance, de développement et d’accumulation du capital, réservée presqu’exclusivement à l’ancienne puissance coloniale, d’une part, et de l’autre, la prise en charge de l’animation des attributs de la souveraineté internationale qui délimite le champ de la politique laissée aux nationaux.

L’essence de ce pacte néocolonial continue d’animer toute la vie politique, économique, sociale et culturelle de notre pays.

L’économie continue d’être sous la coupe réglée des étrangers avec en tête de file la France. Sous la haute surveillance des représentations diplomatiques, et de celle de l’Union européenne, de la Banque mondiale, du FMI qui, comme une toile d’araignée, veillent à la bonne marche de cette économie dans le sens de la sauvegarde de leurs intérêts bien compris.

Ils exportent ainsi les richesses générées, par cette économie et en réintroduisent une partie sous l’appellation d’Investissements directs étrangers qui viennent renforcer leur mainmise sur l’orientation stratégique de notre pays. Sous le label de Partenaires techniques et financiers ils arrivent à imposer un système de contrôle de toutes les activités des autorités gouvernementales. En tenant le cordon de la bourse, ils arrivent ainsi, tant que cela durera, à influencer profondément la politique, cet autre secteur laissé aux nationaux, dans le sens voulu par eux.

L’existence du Pacte néocolonial est confirmée par Maurice Robert, un ancien Chef du Service Afrique des services secrets extérieurs français dans ses mémoires publiées en 2004 sous le titre : « Ministre de l’Afrique » Seuil.

Il y affirme clairement : « Nos objectifs prioritaires étaient, d’une part, d’empêcher l’extension de la subversion et de la pénétration communiste, en particulier dans les pays d’Afrique noire  française limitrophes de la Guinée : le Mali, le Sénégal et la Cote d’ivoire, d’autre part, de veiller à ce que les Américains n’empiétassent pas, notamment au plan économique, sur notre zone d’influence. »

Il nous apprend que c’est par la mise sur pied d’une structure baptisée Point de liaison et de renseignements (PLR) installée dans chacune des capitales du précarré français qu’ils réussirent à atteindre avec succès les objectifs poursuivis.

Le PLR était un homme du Sdece dont le rôle était à la fois de former les services secrets locaux et de surveiller les activités du Président local auquel il avait accès 24h/24. Il était secondé par un autre conseiller occulte affecté directement auprès du Président de la République.

A ce dispositif très efficace, il faut ajouter le fait que le Conseiller juridique du Président de la République était aussi un assistant dit technique français. Cela a duré jusqu’en 2009. Le dernier titulaire du poste, du nom de Yves Gounin, a quitté en Août 2009. Ils étaient tous des Maîtres de Requêtes ou des Conseillers d’Etat.

La délimitation du Mur du Pacte néocolonial était donc une réalité. Et la vive réaction restée mémorable du pouvoir face à la grève de la Fédération nationale des banques et organismes de crédit en est une illustration  éclatante : le 11 juin 1969 : Etat d’urgence, licenciement de 83 employés responsables de la Fédération. Ce fut une alerte démonstrative du fait que le secteur économique bénéficiait d’une protection sans aucun compromis.

Il en est de même que celle qui a été opposée à l’Union nationale des groupements économiques du Sénégal (UNIGES) (cf La Résolution générale de son congrès des 22 et 23 Juin 1968).

A la périphérie de ce secteur, il y a l’agriculture au sens large et le secteur informel dont la faible productivité avérée n’attirait guère ceux qui cherchaient de l’emploi, notamment ceux qui ont atteint un niveau élevé de formation dans la langue officielle.

Deux espaces restent ainsi ouverts aux 269.000 demandeurs d’emplois qui arrivent chaque année sur le marché du travail : les vastes espaces des Avenues, Boulevards et rues des villes, faute des grandes manufactures du début du capitalisme, et l’arène politique. Une économie réelle confisquée et pratiquement interdite aux nationaux, une agriculture et un secteur informel n’emballant guère, un espace libre de circulation dans les villes et une arène politique librement consentie aux nationaux tel est le tableau que présente l’évolution de notre pays depuis les accords du 04 avril 1960.

Quand les demandeurs d’emplois analphabètes ou sortis des daras arrivent sur le marché, ils occupent carrément l’espace libre et s’installent en menant des activités communément appelées Marchands ambulants. Leur nombre augmentant avec la croissance démographique, leur occupation de la rue devient de plus en plus dense et le surplus tente l’aventure de l’émigration clandestine.

Les autres parce qu’alphabétisés et bardés de diplômes se ruent dans l’arène politique.

C’est ce tableau, cette réalité qu’il faut interroger pour comprendre toutes les manifestations des comportements individuels et collectifs régulièrement observés sur la scène publique.

Dirigée de main de maître à partir du Palais de l’Elysée par Jacques Foccart, cette réalité qui était commune à l’ensemble des ex colonies françaises de cette partie de l’Afrique était confiée à des dirigeants particulièrement francophiles entièrement acquis à la cause néocoloniale. Il leur a été taillé le costume de président autocrate investi de tous les pouvoirs. D’où la racine profonde du présidentialisme néocolonial qui continue de régir nos pays jusqu’aujourd’hui.

Avec ses réseaux à la fois de renseignements et d‘action Jacques Foccart tenait ainsi en laisse les Chefs d’Etat totalement dépendant de la France. Tous ceux qui, à un moment ou à un autre, ont eu la velléité d’envisager un quelconque réaménagement du  pacte ont été victime de Coup d’Etat. Ce furent, entre autres, les cas de Mamadou Dia, Sylvanius Olympio, David Dako, Maurice Yameogo, Modibo Keita, Hubert Maga, Thomas Sankara. Avec les méthodes directives et expéditives de Jacques Foccart le présidentialisme néocolonial s’est ainsi doté d’un Président qui a tous les pouvoirs avec la seule mission de veiller à la poursuite de l’application du pacte dans l’intérêt de la France.

L’article 44 de la Constitution lui donne le pouvoir de « nommer aux emplois civils » l’article 42 lui donne celui de « déterminer la politique de la Nation » et les dispositions de l’article 45 viennent renforcer en ajoutant celui de « nommer à tous les emplois militaires ».

Il exécute le budget de l’Etat après autorisation de l’Assemblée nationale.

En plus de son domaine privé immobilier, l’Etat détient les terres du domaine national et est seul à pouvoir les immatriculer.

Cette fonction qui est la plus haute de la République est particulièrement convoitée. Ce tiercé – budget de l’Etat, foncier national et article 44 de la Constitution – qui en constitue l’essence- fait courrier toute la République.

Le budget de l’Etat constitué de l’ensemble des moyens financiers autorisés pour une année permet à l’exécutif de réaliser les politiques publiques.

Le foncier national comprend le domaine privé de l’Etat et les terres du domaine national et recouvre plus de 95% de la superficie du territoire national.

La prolifération des candidats à l’élection présidentielle, le foisonnement des partis politiques et des mouvements de soutien, le tripatouillage de la Constitution  pour un troisième mandat, la fraude des élections pour gagner dés le premier tour, les alliances contre nature, la transhumance, la corruption et l’impunité, toutes ces pratiques proviennent du fait de ce tiercé et de l’exclusion des nationaux du secteur porteur de l’économie réelle.

L’illustration la plus éclatante de la réalité de la transhumance se trouve dans ces propos de Bara Gaye, maire de Yeumbel Sud ancien dirigeant des jeunesses travaillistes, quand il nous apprend que :« sur les 43 membres du gouvernement de Souleymane Ndéné Ndiaye, il n’en reste que 03 aux cotés de Wade. »

Les partis politiques aussi continueront de se constituer et d’envahir la scène politique qui est la seule scène  qui reste ouverte aux nationaux  exclus du secteur porteur de l’économie.

Quel avenir pour ceux qui empruntent aujourd’hui  les chemins de l’école pour leur formation. En 2017, les chiffres officiels donnent 162.635 étudiants  dont 47.195 dans les universités privées. Ou iront-ils à leur sortie quand ils feront face au MUR de la néo colonisation ? Ils prendront le chemin de la politique en constituant des partis ou des mouvements de soutien dans l’espoir d’accéder au tiercé gagnant, la seule issue qui leur est offerte.

Ce MUR érigé par les signataires des accords du 04 avril 1960 est le problème majeur de notre pays. Il constitue l’obstacle réel à l’avènement d’un Sénégal véritablement souverain sous la conduite de son peuple devenu maître de son destin.

Tant que ce MUR restera debout, il ne faudra s’attendre à aucun changement dans les conditions de vie de nos masses laborieuses. Tous ceux qui promettent au peuple de faire son bonheur sans se référer à ce MUR  et au destin qu’il lui réserve sont des partisans du statu quo et ne devraient mériter aucune attention de la part des électeurs qu’ils ne cessent de mystifier. De 1963 à 2018, les quatre Présidents qui se sont succédés au pouvoir le démontrent amplement en laissant le MUR intact contribuant ainsi à renforcer la mainmise des étrangers sur notre économie.

Ce MUR nous étouffe, bouche tous nos pores, nous renvoie à la Caverne de Platon  et nous oblige à ne nous contenter que des ombres.

Abattre ce MUR, tel doit être le programme de ralliement de tous les patriotes de notre pays pour mettre définitivement fin aux cinquante-huit ans de néocolonialisme et de confiscation de notre indépendance réelle.

Dakar, le 12 Juillet 2018

Alla KANE

Inspecteur des Impôts et domaines à la retraite

Coordonnateur de : MAS/ « Senegaal gu mom boppam dëgg »

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