Le dictateur nord-coréen Kim Jong-un a-t-il fait dévorer son oncle par 120 chiens affamés ? Cette blague lancée sur le web chinois s’est pourtant retrouvée publiée, un mois plus tard, comme une vraie nouvelle par des médias du monde entier. Avec la Corée du Nord, les rumeurs et internet constituent un cocktail pour le moins explosif, quitte à oublier au passage quelques règles de base du journalisme.
Début décembre, Jang Song-thaek, considéré comme le numéro deux du régime nord-coréen, oncle et mentor du numéro un Kim Jong-un, est accusé de trahison, jugé, puis exécuté. Le 11 décembre, un message satirique est mis en ligne sur Weibo, le site chinois de micro-blog, message qui prétend que Jang et ses proches ont été tués par des chiens affamés. Une « blague » reprise comme une info par un tabloïd hong-kongkais, le Wen Wei Po, qui affirme que Jang a été dévoré par 120 chiens.
Racolage nord-coréen
Cette info très improbable se voit pourtant reprise telle quelle par de très nombreux médias étrangers, et nombre de sites webs de journaux français, qui la publient sans rien vérifier. Jusqu’à ce qu’un journaliste du quotidien américain Washington Post montre que cette rumeur était fausse. Cette affaire n’est pas la première ; il semble qu’avec la Corée du Nord, c’est comme si les médias oubliaient l’une des règles essentielles du journalisme : la vérification. Les rumeurs les plus racoleuses sont publiées sans hésitation. On se souvient l’été dernier des allégations, toujours pas vérifiées, concernant l’exécution d’une chanteuse qui aurait été l’ex-fiancée de Kim Jong-un.
Le Daily NK à Séoul, bien informé
Il est effectivement très difficile pour un journaliste de couvrir des sujets nord-coréens.
Le pays est considéré comme le plus fermé de la planète, et les rares journalistes qui parviennent à s’y rendre sont contrôlés de très près. Mais cette difficulté sert d’excuse. Avec la Corée du Nord, nombre de journalistes s’autorisent à publier n’importe quoi, puisque de toute façon rien ne peut être vérifié. Ce qui est de moins en moins vrai : il y a par exemple des ONG en Corée du Sud, des associations de réfugiés nord-coréens, qui disposent de réseaux d’informateurs au Nord, avec lesquels ils communiquent par téléphones portables, et qui sortent de vraies informations. Plusieurs de ces groupes ont même des sites web en anglais, comme par exemple le Daily NK, à Séoul.
Les purges en Corée du Nord ne sont pas une blague
Cette couverture médiatique sensationnaliste a des conséquences. Nombre de médias traitent la Corée du Nord comme une vaste blague, ce qu’elle n’est pas : les purges, la répression, les camps de prisonniers politiques, l’idéologie militariste sont des problèmes graves. Si on veut comprendre les rouages d’un régime qui parvient à maintenir un pouvoir de fer depuis plus de 60 ans, alors il faut en parler avec le plus de rigueur possible. Sans compter que cette couverture médiatique caricaturale décourage tout projet de coopération humanitaire, culturel, académique… des coopérations qui pourraient aider à ouvrir le pays et à sortir la population de son isolement. Le régime nord-coréen doit être pris au sérieux, et le traiter à la légère ne peut qu’aggraver le problème.