«J’ai chassé le colonialisme de chez moi mais il continue de roder autour de nous. Il risque de revenir un jour avec l’aide d’un mauvais fils du pays » disait le Président feu Modibo Keita le 1er mai 1968.
Les discours politiques ambiants actuels semblent ignorer une question fondamentale qui commande le devenir du pays. Si les mobilisations populaires presque quotidiennes mettent le doigt sur la question nationale, les politiciens absorbés par leur frénésie d’accès au pouvoir, l’ignorent superbement. A les entendre, surtout ceux qui se réclament de l’opposition, à différents titres, la priorité est de tout faire pour se débarrasser du régime actuel. A leurs yeux, tout est de la faute du président actuel. Sa responsabilité personnelle est pleine et entière. La frénésie de corruption généralisée, les pertes infligées aux forces armées lors des attaques des groupes armées et tous les autres maux du pays relèvent de son fait.
Etonnant discours surtout dans la bouche de ceux qui ont été longtemps aux affaires dans le pays et qui en ont profité pour accumuler d’immenses trésors de guerre qu’ils utilisent aujourd’hui pour soudoyer les manifestants les plus bruyants. Ces oligarques ne parlent guère des politiques de privatisation tous azimuts qu’ils ont appliquées et qui ont dépouillé l’Etat de ses sociétés, entreprises et biens immobiliers à vil prix. Ce qui leur a permis de se remplir les poches en un tour de main. Ils sont, pour la plupart, actionnaires de bon nombre de sociétés de la place et d’ailleurs. Les titres fonciers et immobiliers qu’ils collectionnent, dépassent l’entendement. De nombreux comptes bancaires et villas sont planqués à l’étranger, dans les pays voisins, en Europe, aux USA et au Canada. Mais cela ne les empêchent guère de dénoncer la mauvaise gestion actuelle du pays. Etranges, tous ces Maliennes et Maliens qui dénoncent d’un côté la corruption et souscrivent à des préavis de grève émanant de syndicats qui proclament leur soutien à des élus et gestionnaires poursuivis par la justice pour des faits de corruption et de détournements de deniers publics. Etrange mentalité qui soulève bien des interrogations !
Nombreux aussi sont ceux qui indexent la mauvaise gouvernance comme explication fondamentale aux dérives actuelles du pays. Certains, de bonne foi, ne retiennent que la corruption des élites actuelles au pouvoir comme source des impasses du pays. Ils se refusent à interroger l’environnement et le système de prédation mis en place depuis de nombreuses décennies, par le système néolibéral mondial qui pressure nos pays et réduit nos populations à la misère et à la précarité.
L’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, dans un rapport publié en 2015, a vigoureusement dénoncé les flux financiers illicites qui dérobent à l’Afrique 50 à 60 milliards de dollars chaque année. Les principaux canaux de ces flux financiers illicites sont, selon ce rapport, les activités commerciales néfastes des multinationales, le trafic de drogue, la contrebande, la corruption et le détournement de fonds. Certaines entreprises pratiquent aussi la surfacturation ou la sous-évaluation des accords commerciaux, la manipulation des prix de transfert, les services bancaires offshores et le recours aux paradis fiscaux.
Selon les conclusions de son groupe de travail, l’Afrique est un créancier net pour le reste du monde. Les multinationales volent ainsi directement à l’Afrique 65% de ses richesses, 30% sont détournées par la fraude fiscale et 5% par la corruption de ses élites. Si nos élites ont une responsabilité palpable à travers le système de corruption ainsi mis en place, l’impact de leur prédation est de loin inférieur à celui du pillage du système mondial. La nécessaire prise de conscience de la prééminence de la responsabilité du système mondial dans notre situation est essentielle pour la compréhension globale et l’élaboration des tactiques adéquates de lutte. Dans la situation actuelle du Mali, cela est essentiel. Il convient donc de situer exactement où est la contradiction principale pour nous en sortir.
Nos élites actuelles, qu’elles soient au pouvoir ou dans l’opposition participent au même système de prédation dont elles sont les complices. Les forces populaires doivent en prendre conscience et éviter d’être la chair à canon de luttes pour le pouvoir et de servir de courte échelle à des individus qui deviendront demain leurs bourreaux, une fois le pouvoir acquis.
La guerre actuelle au Mali n’est pas une lutte contre le terrorisme. Le djihadisme et le terrorisme sont les alliés objectifs des guerres de reconquête coloniale dont nous sommes victimes en raison des convoitises qui pèsent sur nos ressources nationales. La seule attitude correcte, c’est de nous extraire de cette guerre qui n’est pas la nôtre et qui nous est imposée. Pour nous en sortir, il nous faut une mobilisation générale de toutes et tous autour de la patrie. Il nous faut développer aujourd’hui et maintenant une capacité de résistance populaire nationale et nous unir autour du pays en vue de reconquérir notre souveraineté perdue.
Les guerres de clans et luttes pour le pouvoir ne nous intéressent pas. C’est la nation malienne qui est aujourd’hui en jeu, comme hier quand il a fallu s’unir pour libérer le pays de la domination coloniale. Ceux qui appellent au renversement du régime actuel, ont un autre agenda différent de celui des populations. La lutte pour la nouvelle libération nationale doit être portée par une nouvelle société civile patriotique qui est en train d’émerger des luttes des forces populaires. Ces dernières sont les seules à même de faire émerger un nouveau leadership politique conséquent en vue de faire renaître l’espoir dans l’esprit et dans le cœur des populations.
Il nous faut refuser d’écouter les chants de sirènes des charlatans politiques et sociaux actuels et nous inscrire à l’école de nos intrépides ainés des temps héroïques, qui ont su vaincre avec Modibo Keita, le colonialisme. Cela est possible, à condition de nous parler entre patriotes et de nous unir véritablement autour du Mali. Le dialogue national initié par le pouvoir aurait pu y conduire, si les pouvoirs publics avaient mesuré l’opportunité de saisir cette chance historique. Ce ne sont pas les combines politiciennes entre majorité et opposition qui y conduiront. Ce n’est pas non plus en détournant le désir profond de dialogue entre les citoyens et les communautés, en laissant au seul Président de la république la suite à donner à leurs aspirations qu’on sortira le pays de l’ornière. Des ruptures essentielles sont indispensables à cet effet.
Il nous faut regrouper tous les patriotes dans un Conseil national de résistance populaire. Seule une dynamique de mobilisation populaire peut permettre de relever les défis qui sont les nôtres. Seule une guerre populaire arrivera à déjouer tous les complots et à imposer la paix. Notre salut n’est pas dans la présence des forces étrangère mais entre les mains des patriotes. C’est maintenant qu’il nous faut être ensemble debout sur les remparts pour vaincre les ennemis du dehors et du dedans. Plus que jamais la question nationale est d’actualité !
Pr Issa N’Diaye
Novembre 2019
Source: L’Evènement