Le Rif, région isolée, se soulève une fois de plus dans l’histoire du Maroc. Pour quelles raisons ?
Le Maroc est un des pays de la zone « Afrique – Moyen Orient » généralement considéré comme le plus encourageant : pas de guerre civile, pas de répression à la turque, à la syrienne, à l’égyptienne, un régime économique relativement libéral. Certes, il part de très bas (voir ci-après) mais certains pays plus riches que lui régressent.
Mais voici qu’est apparue l’affaire du Rif, ou plus exactement d’Al Hoceima, ville où a eu lieu l’incident initial. Le Maroc en est secoué dans des proportions difficiles à apprécier.
Étant Français, je ne veux pas me mêler des affaires marocaines, et me bornerai à un simple rappel des faits.
LE RIF : DES SIÈCLES DE « PROBLÈMES »
Le Rif est la région nord du Maroc, sur les rives de la Méditerranée entre Tanger et la frontière algérienne. Il a toujours été une région isolée. Le Rif central, où se trouve Al Hoceima, est une région berbère, ce qui le différencie encore plus des centres du pouvoir marocain (Fès, Rabat, Casablanca, Marrakech). Il est également plus tourné vers l’Europe et en particulier l’Espagne dont la langue est mieux comprise que le français pour les générations non scolarisées.
Après plusieurs siècles de guerres entre Rifains d’une part, Portugais, Espagnols et même Marocains d’autre part, le Rif est devenu colonie espagnole en 1911. En 1921, Abd El Krim se soulève contre les Espagnols, qui ne peuvent le vaincre. En 1925, espérant rallier des tribus plus au Sud, donc dans la partie sous administration française, il se heurte aux troupes de Lyautey qui reculent jusqu’à ce que Paris envoie des renforts dirigés par le maréchal Pétain. Coincé entre ce dernier et les Espagnols, Abd El Krim se rend et meurt en exil. Mais cette aventure marque profondément le Maroc et surtout les Rifains.
APRÈS L’INDÉPENDANCE
Peu après l’indépendance, en 1958, l’armée marocaine dirigée par le futur Hassan II alors chef d’état-major, y réprime un soulèvement et aurait fait 3 000 morts. Devenu roi, Hassan II coupera tout crédit à la région qui se sent encore plus ostracisée. Un second soulèvement également réprimé se produisit dans la région en 1984. Certaines vallées du Rif sont célèbres pour leur production de cannabis, ce qui implique des complicités au niveau politique et peut-être quelques faiblesses des autorités locales.
Conscient de cet ostracisme, Mohamed VI, à l’inverse, veillera à y décider de nombreux investissements, ce qui semble avoir été efficace dans l’ouest rifain (Tétouan et sa côte), mais aurait pris au moins du retard dans la région d’Al Hoceima.
La pauvreté de la région a contraint la population à une émigration massive vers des pays européens, notamment dans les charbonnages du Nord en France, et en Belgique où les Rifains peuplent le quartier de Moelenbeck à Bruxelles, qui a été la base et le refuge de certains djihadistes
LES ÉVÉNEMENTS ACTUELS AU RIF
Les Berbères du Rif manifestent régulièrement leur mécontentement pour obtenir des investissements d‘infrastructures publiques dans leur région (routes, hôpitaux, etc…) auprès des autorités locales marocaines. En octobre 2016, à Al Hoceïma, a eu lieu un incident qui ressemble beaucoup à celui qui a déclenché les printemps arabes en Tunisie, une action policière à l’encontre d’un commerçant en situation illégale. Cette fois, il s’agissait d’un vendeur de poissons illégalement pêchés qui a été broyé accidentellement dans une benne à ordures. L’émotion a été grande et a cristallisé les mécontentements.
Pendant huit mois les manifestations pacifiques se sont succédées. Certains y voient l’influence de séparatistes, notamment de barons de la drogue rêvant d’une région indépendante, mais aucun slogan de cette nature n’est apparu publiquement.
La relance par l’État d’un vaste plan d’investissements et des visites répétées de plusieurs ministres n’ont pas suffi à calmer les esprits.
En mai 2017, les forces de l’ordre ont renforcé leur présence dans la région et commencé à réprimer les manifestants. La totalité des figures du mouvement ont été interpellées. Des peines allant jusqu’à 20 mois de prison ont été déjà prononcées.
Les manifestations ont cessé début juillet et la tension est retombée d’un cran avec le retrait des policiers décidé par le roi Mohammed VI en signe d’apaisement.
Mais restent la poursuite d’attroupements improvisés de protestation de jeunes sur les plages, de concerts de casseroles ou de klaxons et une mobilisation qui perdure sur les réseaux sociaux.
LES RAISONS DE LA COLÈRE
La « libération des détenus » est devenue le nouveau mot d’ordre des protestataires. Mohamed VI a accordé sa grâce a certains, mais le meneur Zefzafi reste emprisonné « du fait de la lourdeur des charges pesant contre lui ». Le débat fait toujours rage sur les tortures et les mauvais traitements qu’auraient subis certains détenus.
Un rapport sur les retards des projets d’investissement a été fourni au roi le 19 juillet. Il serait édulcoré, les autorités, du ministre au fonctionnaire local, craignant des sanctions. On y regrette une approche trop administrative et les perturbations de la période électorale. Bref, rien de spécifique au Rif, ni à la hauteur du problème.
Au delà de la spécificité de la question rifaine, les politiques se demandent si une trop grande indulgence ou au contraire une trop grande sévérité, pourrait propager des troubles dans d’autres régions du Maroc. Cette crainte a paru se matérialiser le 11 juin, où une manifestation a réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes à Rabat, à l’appel de partis de gauche, de militants du « 20 février » (acteur du printemps marocain de 2011) et du mouvement Justice et bienfaisance (islamiste), mais rien d’important n’a eu lieu depuis.
Il est fréquent qu’apparaissent des tendances révolutionnaires dans un pays pauvre lorsque la situation commence à s’améliorer, parce qu’un changement paraît possible ou parce qu’une partie de la population s’impatiente de ne pas bénéficier de cette amélioration.
Le Maroc est l’exception positive à certains points de vue, mais pas à tous !
L’INDICE DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN
Le Maroc occupe la 123e place sur 188 états pour l’IDH, l’Indice de Développement Humain de l’ONU, qui regroupe les données en matière d’éducation, de santé, de taux de pauvreté, de longévité ou de revenu moyen par habitant,
Dans cette catégorie, l’Algérie est 83e, la Tunisie 97e, la Libye (malgré la guerre) est 102e, l’Égypte 111e et la Mauritanie 157e. Remarquons que l’Algérie et la Libye sont favorisées par leurs recettes pétrolières.
UNIVERSITÉS
Le classement mondial Webometrics 2017 est catastrophique pour le Maroc : aucune université marocaine dans les mille premières ! La « meilleure », l’université Cadi Ayyad de Marrakech, 42ème université arabe, est … 1.994è, alors qu’une université saoudienne est 425è !
L’université anglophone Al Akhawayne d’Ifrane (d’origine séoudienne avec pédagogie américaine) n’est que 3.255è mondiale et 86è des pays arabes, malgré ses frais exorbitants.
Le pays africain le mieux placé est l’Afrique du Sud suivi par l’Égypte. Le Maroc n’est que 26ème en Afrique !
Une remarque linguistique à cette occasion : l’enseignement américain à l’étranger semble se faire sans ouverture sur d’autres cultures, ici le français et l’arabe. Cela de la maternelle à l’université et dans d’autres pays arabes. Je suis preneur d’exemples en sens inverse ! Les lycées français, au contraire, enseignent l’arabe et des langues étrangères dont l’anglais.
L’ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE AU MAROC EST TRÈS DEMANDÉ
Conséquence de ce qui précède, et qui découle en partie de la faiblesse de l’enseignement général primaire et secondaire, l’enseignement privé est très recherché, notamment l’enseignement catholique.
Les Marocains citent les quinze établissements scolaires de l’ECAM (Établissements de l’Enseignement Catholique au Maroc) et leurs 12.000 élèves. Grâce à la qualité de son enseignement principalement laïc, ce système attire les enfants marocains des classes aisées, majorité écrasante des élèves très loin devant les catholiques étrangers.
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