Chaque Malien et chaque Malienne s’interrogent à la fois sur l’état conflictuel généralisé du pays sous l’emprise des groupes terroristes au Nord et au Centre et de la contestation politique à Bamako depuis l’avènement du M5 et son historique rassemblement du 5 juin à la place de l’indépendance de Bamako. De cette date à ce jour, le pays traverse une crise dont pareille ne remonte qu’en 1991. Le parallèle vaut car, en 91, une révolution est venue à bout du régime GMT (général Moussa Traoré) vieux de 23 ans. Les événements de 2012 sont atypiques en ce qu’une insurrection militaire a pu être circonscrite en ramenant le pays vite dans les normes de la Constitution même avec les ratés et les critiques qu’on sait.
Cette année, une contestation socio-politique à base de partis, syndicats, associations et leaders religieux demande un changement profond de gouvernance qui frise une demande d’alternance à la présidence de la République et la plupart des institutions constitutionnelles.
Le Mali va mal, les Maliens se sentent mal dans leur chair face à une situation fragile qui menace la communauté de destin même.
A la veille de l’arrivée d’une délégation de haut niveau de la Cédéao, il y a lieu de soulever un certain nombre de questionnements.
1. Pourquoi sommes-nous arrivés là ?
A mon avis la faute est partagée au sommet et à la base. Le sommet constitué de tout le leadership socio-politique a péché par autant de laxisme en laissant le jeu du népotisme, de la corruption, de l’impunité s’installer en système au détriment des lois, des règlements et mesures assimilées qui régulent le fonctionnement de l’Etat. Et comme on le dit ici, la pintade regarde la nuque de celle qui la devance. On en est arrivé à un stade où celui qui prêche la vertu en tout lieu et en toute circonstance est vite voué aux gémonies pour être l’imbécile qui empêche de tourner en rond.
S’agissant de la gouvernance du Mali actuel, la démocratie de consensus privilégiée par ATT en son temps n’a jamais eu sa raison d’être que sous le président IBK au regard de la situation socio-politique fragilisée par l’irruption des groupes terroristes et la rébellion de 2012, lesquels ont amené le pays à signer l’accord d’Alger. Dès lors, pour cette fragilité, le rappel de toutes les compétences en matière de sécurité, de diplomatie, de communication, de négociation, de géostratégie, etc devait être fait sans distinction d’opinion et autres formes d’obédience. Je l’ai particulièrement rappelé, en simple citoyen, au lendemain de la douloureuse attaque d’Indelimane en novembre dernier et interpellé le président IBK sur cela.
- Quels peuvent être les coupables ?
Les partis politiques, la société civile et les médias ont depuis longtemps dévié de leurs missions fondamentales d’éducation à la citoyenneté et de veille de la gouvernance. Ces entités ne fonctionnent plus sur des bases démocratiques et la plupart des partis politiques et organisations de la société civile sont devenus des biens patrimoniaux de quelques individus qui font du récépissé de création leur bien individuel et familial. Quant aux médias, le devoir d’informer a laissé la place pour la plupart des organes au devoir d’exister à tout prix avec tous les travers que cela peut engendrer.
- Quelle est la crédibilité du M5-RFP à représenter le peuple malien ?
S’il y a, à cette date une chose largement partagée, c’est la légitimité des doléances de ce regroupement à embrasser les plus fortes aspirations des Maliens pour une meilleure gouvernance. Les deux reproches majeurs faits au M5 sont le caractère hétéroclite de sa composition et le passé politique non sans reproches de bon nombre de ses responsables trempés dans la gouvernance, aujourd’hui décriée, au regard de leur participation aux gouvernements antérieurs dont ceux du président actuel. L’histoire des révolutions nous enseigne que le peuple n’est pas l’ensemble des populations qui sont dans la démonstration mais la représentativité de ces dernières pour porter les revendications. Les masses énormes drainées à la place de l’indépendance sont à coup sûr un noyau essentiel de nos populations dans leurs différentes composantes socioprofessionnelles pour émettre le cri de détresse collectif. L’imam Dicko reste la caution morale à ce mouvement de contestation et inspire la plupart dans leur mobilisation.
- Qu’attendre de la médiation de la Cédéao ?
Il suffit de jeter un coup d’œil sur le raccourci de l’article de Jeune Afrique, sur sa page Facebook, sur l’annonce de la mission de haut niveau à Bamako, pour savoir l’opinion que les ouest africains gardent de leur organisation régionale quand il s’agit de gérer une crise politique entre un président et son opposition. Les commentaires postés en disent long sur les réserves des citoyens. Disons que cette opinion est largement négative quant à la capacité de la Cédéao à juguler une crise comme celle de notre pays. Pour cette opinion citoyenne, les Chefs d’Etat ne viendront qu’avec une bouée de sauvetage pour leur homologue, jamais pour apporter une oreille attentive à la douleur populaire.
Tout compte fait, osons garder l’espoir car, c’est une première qu’un pays en crise reçoive une si haute délégation avec 5 chefs d’états et non des moindres. Les quatre premières puissances (Nigeria, Ghana, Côte d’Ivoire et Sénégal) et le pays en exercice qu’est le Niger. C’est la grosse armada qui arrive à Bamako jeudi. Pour autant, vient-elle avec la panacée ? C’est la question.
Au président de la République et aux leaders du M5 de trouver les bonnes formules de sortie de crise dont la synthèse sera annoncée dans un communiqué final tant attendu.
Le rendez-vous de Bamako comptera pour la Cédéao dans sa capacité à maintenir les normes constitutionnelles tout en tenant compte de la grogne populaire pour une meilleure gouvernance dans un Etat membre.
Je finis sur cela par cette anecdote. En 2010, je participais à un séminaire de la même Cédéao sur la prévention des conflits à Abuja. J’ai posé la question suivante au représentant de la commission qui participait: “pourquoi on entend peu la Cédéao sur les rebellions au nord du Mali”. La réponse m’a paru laconique: “Nous faisons de notre mieux pourtant”.
La Cédéao, depuis sa création, a fait un bond qualitatif en termes d’arsenal législatif et institutionnel. Reste à réussir l’adéquation entre ces instruments institutionnels et la réalité quotidienne de ses peuples dans leurs aspirations à une gouvernance adaptée à leurs besoins. C’est cela que recherche le Mali d’aujourd’hui, sous nos yeux.
Bamako, le 22 juillet 2020
Alassane Souleymane, journaliste