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L’avenir politique au Mali : LES VÉRITÉS DE JANVIER

Le rappel de ce qui s’est passé en 2012 et 2013 doit inspirer les choix à faire dans le proche avenir

 

bamako carte mali

C’est une originale, mais très juste définition que proposait l’historien français Renan lorsqu’il affirmait que plus que sur un territoire, plus que sur une histoire partagée, une nation se fonde sur le désir commun de vivre ensemble. Ce désir se forge et se consolide au fil des épreuves subies et surmontées. Il se nourrit de la conviction toujours grandissante de ne pouvoir avancer que de manière solidaire. Et il installe en valeurs intangibles le respect des différences et la tolérance mutuelle. Jusqu’à un passé récent la définition de Renan s’est appliquée sans restriction au Mali. Mais les terribles évènements survenus en 2012 dans le Nord du pays sont venus ébranler un socle que nous pensions indestructible et nous ont laissé entrevoir la profondeur du gouffre dans lequel nous étions menacés de basculer.

Que le pire nous ait été évité doit nous inciter aujourd’hui à aller toujours au-delà du soulagement éprouvé. Il ne nous reste en réalité d’autre choix que celui de nous astreindre à un effort permanent de lucidité, à une pratique constante et sans complaisance de l’auto-évaluation et à un refus de l’endormissement que susciteraient les premières avancées obtenues. La récente parenthèse des commémorations qui s’est ouverte le 10 janvier (date de l’affrontement d’envergure entre les forces armées maliennes et les colonnes djihadistes à Konna) pour s’achever le 24 janvier, dédié à la mémoire des combattants suppliciés d’Aguel’hoc en passant par le 11 janvier qui rappelle le lancement de l’opération Serval a offert l’occasion à notre pays de partager un sentiment contrasté fait de fierté et de douleur mêlées.

Ce sentiment a été encore amplifié par le fait que les trois dates citées plus haut encadraient dans une symbolique voulue par le destin celle du 20 janvier, fêté traditionnellement comme le moment historique où l’Armée malienne s’est trouvée entièrement en charge de la défense de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale. La part de fierté ressentie par nos concitoyens l’a été certainement au spectacle de l’impeccable parade militaire qui a marqué le 53ème anniversaire de l’événement. Le défilé mettait l’accent sur ce que notre pays doit avoir de plus précieux : la valeur, le courage et surtout l’engagement de ses fils en uniforme. En effet, instruit par la débâcle de 2012, le Malien moyen ne nourrit plus aucun attrait pour un étalage mirifique d’équipements remis en état de manière circonstancielle et qui ont été de si peu d’utilité face à un ennemi qui a imposé sa manière de faire la guerre. Nos compatriotes savent que l’Armée malienne entame tout juste sa reconstruction et que le chemin vers une véritable mise à niveau est encore long. Ils acceptent donc de prendre les résultats jusqu’ici obtenus uniquement pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire encourageants.

 

SANS GRANDILOQUENCE, NI FORFANTERIE. De la fierté, nos compatriotes ont pu aussi en éprouver en écoutant les témoignages diffusés sur l’ORTM du général Dakouo et de certains jeunes officiers sur les combats de 2013 à Konna et à Diabaly quand notre armée eut à encaisser les assauts d’un ennemi supérieur en nombre et en armements. Les meilleurs de ces récits faits sans grandiloquence, ni forfanterie ont laissé transparaître le courage désespéré de soldats qui ne voulaient pas céder, mais qui réalisaient qu’ils étaient en train de subir une lourde défaite dans un combat vital pour le destin de leur pays. Les terribles pertes en vies humaines subies ne laissaient en effet aucun doute sur l’issue finale de la confrontation, n’eut été l’intervention de Serval.

De l’émotion et de la douleur retenues, il en eut dans la voix de ces hommes lorsqu’ils évoquaient leurs compagnons d’armes tombés au combat. Il en eut aussi lors de l’hommage aux soldats tués à Aguel’hoc. Cet épisode de la guerre au Nord du Mali constitue jusqu’aujourd’hui un traumatisme national qui ne s’atténuera que lorsque la vérité entière sera reconnue et que justice sera rendue aux combattants martyrs. Aguel’hoc représente un tragique concentré de tout ce qui amènera notre déroute au Septentrion : l’impréparation des troupes, l’inertie du haut commandement et la montée en puissance d’un ennemi qui profitera au maximum de nos erreurs et de nos lacunes. Aguel’hoc envoya aussi le premier signal de la brutalité et de la barbarie qui caractériseront la mainmise  des djihadistes et des terroristes sur les populations maliennes. En donnant vendredi dernier aux cérémonies de recueillement un caractère solennel, la nation malienne a entamé le travail de deuil à l’égard de ses fils héroïques, deuil qui ne s’achèvera certainement qu’avec le traitement complet du dossier par la Cour pénale internationale.

La parenthèse des commémorations a aussi donné l’opportunité de réfléchir sur l’avenir du Nord du Mali et d’admettre que des avancés décisives doivent être rapidement obtenues dans certaines questions. La première est celle de Kidal où les négociations sur la mise en application de l’accord préliminaire de Ouagadougou sont au point mort. L’une des raisons de cet état de fait est la dispersion accentuée de protagonistes qu’en principe le gouvernement aurait dû trouver unis face à lui. L’aile « réaliste » du MNLA et du HCUA a depuis longtemps choisi le ralliement à la République et ses représentants siègent à l’Assemblée nationale.

 

 A POSER AVEC INQUIÉTUDE. Cependant son influence sur le processus de négociation et même sa volonté de s’y impliquer sont parfaitement négligeables. L’aile pseudo irrédentiste, qui s’est décrédibilisée aux yeux de la communauté internationale par ses volte-faces successives, survit par des communiqués comminatoires, mais reste fidèle à sa ligne antérieure, celle de la présentation de prétentions exorbitantes, comme celle concernant le nombre de combattants à réinsérer. L’aile orthodoxe, qui s’est éloignée des deux précédentes et qui s’est manifestée par une interview de l’ancien ministre Hama ag Mahmoud, est trop faible pour peser dans une discussion politique qu’elle était sans doute la seule à pouvoir mener. L’aile militaire a pris ses distances avec les trois autres et il n’est pas impossible que les plus radicaux de ses éléments viennent finalement consolider l’AQMI avec qu’ils n’ont jamais réellement rompu. L’implosion de fait du MNLA complique la tâche du gouvernement pour qui le vrai embarras est de trouver des interlocuteurs dotés d’un réel pouvoir de décision et capables de constance dans les prises de position. En attendant, le flou de la situation commence à inquiéter la communauté internationale qui relève notamment le non respect du calendrier établi par l’accord de Ouagadougou.

Nos autorités ne sont pas pourtant restées inactives. Elles sont allées au Qatar et en Mauritanie où les rebelles bénéficiaient d’une certaine écoute pour expliciter la démarche malienne. Elles ont aussi remis dans la médiation l’Algérie qui s’est engagée à procéder à des discussions exploratoires pour préparer les négociations finales qui se tiendront à Bamako. La question qui se pose est de savoir quand viendront les réponses que doivent fournir à ces diverses sollicitations les groupes armés au comportement imprévisible et secoués de surcroît par des guerres internes de positionnement. Cette interrogation est à poser avec inquiétude. Car les foucades du MNLA et consorts paraissent dérisoires par rapport à la persistance de la menace terroriste. Le ministre français de la Défense avait, la semaine passée, annoncé une reconstitution des troupes djihadistes dans les régions de Tombouctou et de Kidal. Ce qui explique la relance des opérations de traque par l’armée française et les troupes maliennes. Ce qui motive aussi l’élaboration par Paris d’un dispositif de lutte anti-terroriste couvrant toute la zone sahélienne avec des bases logistiques installées à Abidjan, Niamey et N’Djamena. Ce que corrobore enfin la décision de l’Allemagne de renforcer l’implication de ses forces armées auprès de celles de la France.

Nous sommes donc entrés dans une séquence d’insécurité prolongée et l’instabilité persistante en Libye, où l’Etat a quasiment disparu, offre aux différents groupes terroristes une base arrière idéale pour se recomposer et se réarmer. Ainsi que le faisait remarquer le président Ibrahim Boubacar Keïta dans son allocution à l’occasion du 20 janvier, l’environnement géostratégique de 2014 est fondamentalement différent de celui des décennies précédentes et le Mali n’a d’autre choix que de s’y adapter. Notre pays est de fait déjà engagé dans une coopération militaire de long terme avec la France et avec d’autres pays africains dont les troupes ont joué un rôle remarqué dans la reconquête de notre territoire national. Il se rapprochera certainement d’autres Etats partageant des préoccupations sécuritaires proches des siennes. La manière la plus efficace d’organiser cet effort de guerre partagé reste la conclusion d’accords de défense.

 

UN PRINCIPE DE RÉALITÉ. Il est tout à fait logique que le premier de ceux-ci se fasse avec le partenaire français déjà très engagé sur le terrain, mais sans que la collaboration avec le Mali ne soit officiellement balisée et sans que ne soient formellement traitées des questions aussi importantes que l’appui en équipements ou la formation de forces spéciales dédiées à la lutte anti-terroriste. Annoncé de manière un peu brusque, le principe d’un accord de défense franco-malien a pu surprendre une partie de notre opinion publique. Surtout que sa signature avait été programmée à une date qui a alimenté la contestation. Il faut naturellement faire la part des choses et distinguer ceux qui éprouvaient un malaise compréhensible à voir le 20 janvier héberger deux symboliques différentes lesquelles pouvaient s’entrechoquer ; et ceux qui ont aussitôt dénoncé ce qu’ils estiment être une recolonisation. Ces derniers, qui ont adopté une posture purement idéologique, resteront certainement indéboulonnables de leurs positions, quelque que soit l’effort d’explication qui sera fait.

Les autres se rangeront certainement à la reconnaissance d’un principe de réalité. Le Mali ne dispose pas encore des moyens et de l’expérience nécessaires pour combattre le péril terroriste qui continue à planer sur son territoire. Notre pays ne peut non plus recourir à une solution strictement africaine qui relève de la pure chimère sur le moyen et même sur le long terme. Il lui faut donc prolonger et améliorer une formule qui a fait la preuve de son efficacité. On peut toujours spéculer sur les avantages que la France espère tirer de son implication au Mali. Mais il est tout de même à faire remarquer que le premier de ceux-ci est d’empêcher que la gangrène terroriste après avoir rongé notre pays et la zone sahélienne ne s’étende à la bordure méditerranéenne et mette en alerte toute l’Europe. Certaines polémiques sont donc superflues au moment où s’impose une vérité incontournable. En même temps qu’à la reconstitution de son vivre ensemble, notre pays doit concourir à l’instauration d’un « combattre ensemble ». Les deux urgences sont d’importance égale. Tarder sur l’une équivaut à mettre en péril l’autre.

G. DRABO

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