Lorsque Jean-Claude Juncker se prononce en faveur d’une armée européenne et salue l’armée française, sans laquelle « l’Europe serait sans défense », il décrit une réalité et définit une ambition.
Que nous faut-il de plus ? Un des arguments habituellement invoqués pour expliquer la grande timidité européenne en matière de défense collective était, jusqu’ici, l’absence d’ennemi commun, en particulier depuis la fin de la guerre froide. A l’évidence, les événements des derniers mois renvoient cette perception au passé.
D’une part, la modification des frontières de l’Ukraine montre chaque jour à quel point la proximité immédiate d’un conflit armé n’est plus une éventualité pressante, mais une évidence aveuglante. Tout en reconnaissant l’importance des tractations diplomatiques et la nécessité d’une solution politique entre belligérants, le rapport de forces sur le terrain, entre les forces séparatistes soutenues par la Russie et l’armée ukrainienne, conditionne totalement l’issue du conflit.
C’est en luttant pour le contrôle d’un aéroport ou d’une ville (et ce, quartier par quartier) que les forces prorusses ont pris le dessus, après que le président Petro Porochenko avait lui-même privilégié l’option militaire. C’est si vrai que les Etats-Unis et le Royaume-Uni procèdent auprès de Kiev à des livraisons d’armes légères ou d’équipements divers et que des voix s’élèvent dans ces deux pays qui réclament un soutien intensif pour l’Ukraine. La France se tient à l’écart de cette escalade, ainsi que l’Allemagne, mais cette sagesse est suspendue, quoi que l’on dise, à la limitation des appétits russes à l’état actuel du front militaire.
D’autre part, la diffusion du terrorisme polymorphe, qu’il soit sponsorisé par Daech ou par d’autres acteurs, produit une fragmentation dont les effets, très difficilement prévisibles, constituent une donnée aussi alarmante que durable. Après les attentats de janvier, à Paris, l’attaque du musée du Bardo, à Tunis, montre une montée en force qui fait tristement coup double. Les djihadistes entendent prouver qu’ils peuvent frapper là où ils le veulent, comme ils le veulent, et atteindre un Etat musulman en même temps que des ressortissants occidentaux. Le crime plus la ruine. Si des points de fréquentation touristiques a priori aussi difficiles à cibler que les musées deviennent un objectif privilégié, on imagine l’impact planétaire, on mesure la crainte générale, et on se prépare à la fermeture du monde.
L’occasion du réveil de l’Europe
Même si aucun autre facteur ne venait s’ajouter à ce double constat, l’état des lieux actuel suffit à décider d’un effort sans précédent. Comment le faire dans un contexte de restriction budgétaire qui nécessite de maîtriser les dépenses militaires? L’Europe, accusée de tant de mollesse, tient l’occasion de son réveil. Le contexte justifie plus que jamais la transformation des outils de notre défense nationale en une défense continentale. Les doctrines doivent évoluer, les raisonnements doivent être élargis, les opinions doivent être pédagogiquement informées, les leaders politiques doivent prendre leurs responsabilités.
L’observation des faits est aveuglante : la France ne peut plus faire face seule aux missions de paix et à la lutte antiterroriste en Afrique, pas plus que l’Italie ne peut avec sa force marine contenir ou prendre soin des flots croissants d’immigrés échoués sur ses côtes, les plus étendues en Méditerranée. Lorsque Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, se prononce en faveur d’une armée européenne et qu’il salue l’armée française, sans laquelle « l’Europe serait sans défense », il décrit une réalité et définit une ambition. Selon une récente étude de la Commission, de 26 à 60 milliards d’euros pourraient être économisés, à l’échelle des Vingt-Huit, si la production d’armement et les structures opérationnelles étaient mises en commun au niveau de l’Union.
Pour y parvenir sans ranimer le serpent de mer de la défense européenne, il faut privilégier les coopérations ad hoc, les interventions mutualisées, les mises en commun de matériel et de personnels sur des théâtres précis. Or, en dehors du Royaume-Uni, très hostile à l’idée d’une armée européenne, le seul pays dont la force militaire et la diplomatie demeurent décisives en Europe n’est autre que la France. Paris a encore un rôle moteur en Europe.
Source: lexpress.fr