Il y a trois mois, Gumuru Maale a parcouru à pied une centaine de kilomètres pour rejoindre, de son village, l’un des nombreux camps de réfugiés qui entoure Baidoa, dans le sud de la Somalie. Mère de huit enfants, elle a laissé derrière elle l’un de ses fils, Isaack, chargé de surveiller les quelques dromadaires restants d’un troupeau décimé par la sécheresse. Forcé de partir à son tour, le garçon de 8 ans a pris la route seul, s’abreuvant d’eau souillée sur le chemin. Arrivé à bout de forces au campement, l’enfant est mort un jour plus tard d’un coup de chaleur.

Enveloppée dans un large hidjab jaune, sa mère, 36 ans, a tout perdu, ou presque : son petit champ de sorgho des environs de Buur Hakaba, devenu infertile après quatre saisons des pluies ratées ; ses maigres économies sacrifiées à la zakat, l’impôt prélevé de force par Harakat Al-Chabab Al-Moudjahidin, le groupe terroriste somalien affilié à Al-Qaida, qui l’asphyxiait financièrement.

Après deux années sans pluie, ils sont des centaines de milliers comme elles, fermiers et nomades, à avoir dû tout abandonner. Baidoa, à 250 kilomètres à l’ouest de Mogadiscio, est l’épicentre de cette crise. La ville de 800 000 habitants a vu sa population doubler. Ses faubourgs sont désormais ceinturés par une large couronne de camps dans lesquels sont installés des milliers de tentes aux couleurs des organisations humanitaires internationales.

1,2 million de déplacés

L’urgence est absolue, préviennent les Nations unies : chaque minute, un enfant somalien est admis à l’hôpital pour malnutrition. Selon l’indice des prix à la consommation (IPC), « les communautés nomades et les déplacés au sein du district de Baidoa devraient subir la famine entre octobre et décembre 2022 », un état dans lequel un quart des foyers n’ont ni eau ni nourriture, et où un tiers souffrent de malnutrition aiguë. « Les seuils techniques de la famine sont déjà atteints », informe une humanitaire qui ne souhaite pas être nommée, car le mot est « sensible politiquement ».

La Corne de l’Afrique connaît tout simplement sa pire sécheresse en cinquante ans. Elle touche plus de 30 millions de personnes au Kenya, en Ethiopie et, surtout, en Somalie. Ici, elle a fait 1,2 million de déplacés et affecte presque 8 millions de personnes : soit la moitié des Somaliens. « On est encore loin de la grande famine de 1992, quand les camions ramassaient tous les matins des centaines de corps dans les rues de Baidoa », tempère un humanitaire occidental, habitué du pays. Mais il s’agit de la troisième sécheresse en dix ans. A Baidoa, le fantôme de la famine de 2011, qui avait fait 260 000 victimes, plane toujours.