Le Mali, à l’instar de plusieurs autres pays, se prépare à fêter l’Aïd El Kébir. Dimanche prochain donc, des centaines de milliers de béliers seront sacrifiés à la gloire de Dieu. C’est la Tabaski, une journée halal (pure) au cours de laquelle ne devrait être consommée que de la viande halal.
Le Mali, qui se vante d’abriter une population à plus de 90% musulmane, va se plier à ce rite musulman. Mais, surtout, le Mali, depuis qu’il a été réveillé de « l’obscurantisme » de l’animisme et du fétichisme, aspire à devenir une nation dans laquelle le halal est érigé en culte de la probité. Comme dans beaucoup de pays où, islam oblige, certaines pratiques sont bannies. Parmi celles-ci, la consommation de la viande de cochon qui serait à l’origine d’une frayeur du cheval du prophète Mohamed (même si certains privilégient plutôt la thèse d’un oiseau sauvage qui aurait provoqué la chute du fondateur de l’islam) et de boisson alcoolisée (une thèse également battue en brèche par certains membres des courants rénovateurs de l’islam).
En égorgeant des béliers, les Maliens veulent donc consommer de la viande halal et faire de leur pays une république halal. Mais pour un pays, une société comme pour un individu, il ne s’agit pas seulement d’interdire la vente et la consommation de porc ou se priver du plaisir d’un bon vin pour être halal. Le halal embrasse bien des domaines les plus variés. Notamment ceux qui touchent la quasi-totalité du peuple. Particulièrement la gouvernance sociale, économique, financière et politique.
Dans les milieux qui font la promotion du halal, il est ainsi proscrit de faire des bénéfices importants dans des tractations commerciales. Ainsi, il est blâmable d’acheter une paire de chaussettes à 2000 Francs et de la revendre à 20 000 Francs. Mais surtout, il est interdit par la loi de Dieu et celle des hommes d’acheter une paire de chaussettes à 2000 Francs et de la surfacturer à 20 000. Ce n’est pas halal. Pas plus que les marchés douteux et opaques dont l’objectif premier est l’enrichissement rapide et illicite de quelques individus et l’acquisition de matériels obsolètes et contre-performants dont l’utilisation tue plus qu’elle ne sauve.
Dans les mêmes milieux, la pratique des jeux de hasard et des paris basés sur l’argent est prohibée et rudement sanctionnée. C’est pourquoi, certains voient d’un très mauvais œil l’accointance de certains responsables politiques, hommes d’Etat, fussent-ils élus à plus de 77% des suffrages exprimés, avec des capitaines de l’industrie du jeu en casino et des courses hippiques. Le président d’une République qui se veut halal devrait-il « fraterniser » ou lier grande amitié avec un parrain des parrains de la mafia corse ? La question est à l’étude depuis quelques temps au sein du cercle très fermé d’oulémas désœuvrés qui se demandent si les bénéfices engrangés dans les casinos et sur les turfs ne peuvent pas servir à financer une campagne électorale dans la mesure où la politique elle-même est basée sur le faux et le mensonge, donc pas halal.
Haram
Le halal dans la gouvernance politique recommande aux gouvernants de ne pas souiller leurs rangs politiques par des acteurs migrateurs granivores. Or, sous nos tropiques et singulièrement dans cette république qui se veut halal, le parti du président élu fait toujours l’objet d’une véritable ruée vers le gâteau national, au détriment de partis politiques fragiles qui s’étaient constitués avec des individus dont chacun avait son agenda et son calendrier personnels et ne vise que des intérêts particuliers. Conséquence : les autres partis politiques s’affaissent avant de disparaitre ou de se diviser faussant l’exercice de la démocratie. Laquelle n’existe plus légalement que dans un seul camp, celui de la victoire. Les défaits, sans être défaitistes, crient dans leur désert et réclament qu’on leur accorde un statut juridique d’opposition, avec un chef doté de pouvoirs de contradiction et, peut-être, de nuisance.
Le halal dans la gouvernance administrative prône « le chacun à la place qu’il faut », selon les mérites et les compétences personnels. N’est pas halal, alors, toute manœuvre qui tend à octroyer les postes selon la détention de la carte du parti le plus fort ou les degrés d’affinité, de parenté ou d’allégeance. Car c’est amener le juste mais calculateur croyant à ne jurer que par le nom du roi. Cela s’appelle déification d’un pauvre petit mortel à côté de l’incommensurable et immortel divin. Ce n’est pas halal.
N’est pas non plus halal de consommer de la viande d’un mouton qu’on s’est procuré dans des conditions obscures. Car, ce n’est un secret pour personne depuis que l’Untm l’a révélé publiquement, les Maliens vivent mal dans leur peau, avec de maigres salaires pour faire face à la cherté de la vie, des revenus précaires pour assurer une survivance régulière. Dans les conditions actuelles dans lesquelles vivent les Maliens moyens, où l’acrobatie verbale et physique est nécessaire à la survie quotidienne, peuvent-il se procurer un bélier halal ?
A méditer : le contraire de cette vertu, le halal, s’appelle haram. Autrement dit, tout ce qui n’est pas halal est haram. D’où cette question quelque peu naïve et franchement idiote : comment doit-on appeler une République qui se veut halal mais dans laquelle rien n’est halal ?
Cheick TANDINA