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La fin de la guerre ?

Comme chaque semaine, Thomas Snégaroff reçoit l’auteur d’un livre qui éclaire l’actualité, et cette semaine, il est question de la fin des guerres, avec le journaliste et enseignant-chercheur, Gaïdz Minassian.

Dans Regard sur l’info, chaque dimanche, Thomas Snégaroff reçoit un auteur dont le livre, qui vient de paraître, éclaire l’actualité. Aujourd’hui, son invité, le journaliste et enseignant-chercheur Gaïdz Minassian, nous aide à redéfinir la notion de “victoire”. C’est en réunissant plusieurs paramètres qu’une guerre peut être gagnée. Ces paramètres sont d’anciens principes. La situation a changé au fur et à mesure des décennies, et la définition du mot “victoire” peut être aujourd’hui discutée.

La ministre des Armées, Florence Parly, était cette semaine émue aux larmes lors d’une cérémonie d’hommage à deux soldats morts au Mali. Un évènement au coeur du livre de Gaïdz Minassian qui sort aux éditions Passés Composés, Les sentiers de la victoire dont le sous-titre éclaire le contenu : “Peut-on encore gagner une guerre ?”. Une question dérangeante et stimulante aussi.

Thomas Snégaroff : La ministre des Armées pleure, cette semaine, la mort de deux soldats Français engagés dans la guerre contre le terrorisme, au Mali. On est là au coeur de votre livre, non ?

Gaïdz Minassian : Effectivement. C’est assez étonnant d’observer la résonance qu’il y a entre ce qu’il s’est passé au Mali et l’hommage que je rends à nos deux commandos tombés il y a un an : Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello. Pour moi, ils incarnent l’image du héros. Du soldat qui se donne, par devoir, pour défendre son pays.

Une question se pose : cette guerre mérite-t-elle d’être menée à ce prix-là ? À ce sacrifice-là ? La réponse, dans votre livre, est plutôt négative en ce qui concerne la guerre contre le terrorisme.

La zone à sécuriser est trop grande, au Sahel. Il n’y a pas assez d’hommes. Le problème des guerres, aujourd’hui, c’est qu’il n’y a jamais assez de soldats dans le périmètre. Donc, forcément, ces guerres ne peuvent pas être gagnées. La situation au Sahel nous oblige à penser la guerre différemment, la victoire aussi.

Vous écrivez : “La victoire appartient à l’ancien monde et elle est devenue un corps étranger au XXIe siècle.” En gros, s’il n’y a plus de victoires possibles, pourquoi mener des guerres ?

Il faut revenir à notre définition de “victoire”. Une guerre est militaire, la victoire est politique. La victoire, elle, est stratégique lorsqu’il y a les deux. Mais, l’étape militaire et politique ne suffit pas à parler de victoire. Il manque encore deux autres étapes. La troisième : lorsque vous signez une paix avec un ennemi, qui peut devenir un allié. Et la quatrième étape, c’est lorsqu’il y a un nouveau différend avec cet ancien ennemi, et qu’il ne cherche pas à le régler de manière coercitive. À partir de ces quatre conditions, vous avez une victoire. L’exemple que nous pouvons prendre c’est 1945 : le Japon et l’Allemagne. Et un exemple inverse : 1918.

Pourquoi 1918 ? Parce que cela a mené à la Seconde Guerre mondiale

Exactement. Parce que c’était une espèce de “paix-punition”.

Pourquoi ce n’est pas possible, aujourd’hui, de gagner une guerre ?

Parce que la guerre a changé de nature. Ce ne sont plus des guerres interétatiques. Elles peuvent le redevenir, mais pour l’instant elles ne le sont plus. Ce sont des guerres infra étatiques. Comme dit Bertrand Badie, ce sont “des guerres d’extraction sociale”, c’est-à-dire des conflits où la dimension sociale a pris de plus en plus de poids.

La victoire est un concept qui est désormais totalement désuet. Pourquoi ? Parce que l’on pense à la victoire de 1945. Or, la guerre froide a complètement cassé l’idée de victoire. Puisqu’il ne peut pas y avoir de victoire avec la guerre nucléaire. La dissuasion a remplacé l’idée de victoire. Depuis la chute de l’URSS, on multiplie les guerres sans victoire. Prenez l’exemple du Mali. En 2013, Jean-Yves Le Drian était alors ministre de la Défense et disait : “Victoire, on a gagné la guerre au Mali !” Sept ans après, nous y sommes encore. De quelle victoire parle-t-on ? Tout cela à cause des quatre conditions dont je vous ai parlé.

Donc la guerre ayant changé de nature, les acteurs ayant changé d’identité ; on ne peut plus être dans un cas classique de guerre. Donc de victoire. Si la guerre a changé, il faut repenser l’idée de “guerre”. Nous suivions l’idée d’Achille, c’est-à-dire de la puissance. Non. Il faut réinventer tout cela. N’oublions pas qu’il n’y a pas qu’Achille et Ulysse. Il y a aussi Hector. C’est le personnage le plus important, parce que c’est le plus humain. Il explique qu’il ne veut pas de guerre. Il dit à son frère :

“Regarde ta bêtise ! Il fallait vite rendre Hélène à son époux, parce que je vais en connaître les conséquences. Ma cité, mon peuple, mon armée, nous allons tous en connaître les conséquences.” Il avait pensé prévention et paix, avant même d’aller au conflit.

Lorsque Achille tue Hector, lorsqu’il l’attache à son char, lorsqu’il souille sa dépouille, que souille-t-il ? La lucidité, la sagesse et la paix.

Gaïdz Minassian
Gaïdz Minassian vient de sortir en ce début septembre 2020, aux éditions Passés Composés, Les sentiers de la victoire dont le sous-titre éclaire le contenu : “Peut-on encore gagner une guerre ?”

francetv.info

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