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Konimba Sidibé : « L’Afrique est censée être le grenier de la planète, alors qu’elle est nourrie par le reste du monde »

Le Mali semble déterminé à tourner la page de la guerre civile et effacer son image de pays instable pour mener à bien la reconstruction.

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Un objectif qui nécessitera d’importants fonds et le soutien des investisseurs étrangers. Pour y arriver, Bamako compte sur Konimba Sidibé, ministre de la Promotion de l’investissement et du secteur privé, qui compte dynamiser la croissance via les partenariats public-privé, et qui réponds aux question de La Tribune Afrique en marge du rendez-vous du “donner et du recevoir”, Africa Convergence.

La Tribune Afrique : le Mali sort d’un effort de guerre qui a presque mis le pays à genoux, alors qu’il faut encore financer la pacification et la sécurisation du pays, sans oublier la reconstruction post-guerre, la mise à niveau économique notamment en termes de mise en place des infrastructures. Comment comptez-vous y arriver ?

Konimba Sidibé : Le Mali a traversé une période difficile ces dernières années, notamment la crise sécuritaire dont nous sortons progressivement. Il n’empêche que de par les efforts consentis, du point de vue économique, par le gouvernement malien, ses partenaires internationaux et la population malienne, la croissance a repris depuis 2014, avec un taux annuel entre 5% à 6% chaque année. Ce niveau place aujourd’hui le Mali parmi les champions de la croissance, mais le défi reste énorme, parce que l’insécurité est un facteur handicapant pour le développement et le Mali y consacre beaucoup de ressources. Et de ce point de vue, des plans d’urgence ont été mis en place pour la création d’infrastructures et la relance économique.

Nous avons une vision précise de la marche à suivre dans la progression de la reconstruction du Mali et au cœur de cette reconstruction se trouve la question du secteur privé. Dans notre stratégie de développement, ce secteur est érigé en moteur de la croissance. Autrement dit, l’investissement privé est le moteur de la croissance et nous sommes entièrement conscients que la solution à la crise que nous vivons est aussi économique : tant que nous aurons une importante masse de jeunes au chômage sans aucune perspective d’avenir, le risque sera toujours présent.

Nous sommes donc convaincus aujourd’hui que le développement et l’investissement privé sont un passage obligé, ce qui a motivé l’organisation prochaine du forum «Invest in Mali» (les 7 et 8 décembre à Bamako, NDLR), un événement dédié au secteur privé et pensé comme un narratif du pays à l’étranger. Aujourd’hui, beaucoup de personnes mal informées sur le pays s’imaginent que Bamako est quadrillée par des militaires et que l’insécurité y règne, alors que cette perception est loin d’être conforme à la réalité. Notre objectif est donc de modifier ce narratif-là à travers ce forum.

Quels sont vos objectifs en termes de lutte contre le chômage et d’inclusion financière ? Et avez-vous déjà une feuille de route pour réaliser ces objectifs ?

Un plan de relance économique a été élaboré pour maintenir la croissance à un taux minimum de 6%, maîtriser l’inflation et freiner les déficits publics. Des chantiers que nous menons tant bien que mal actuellement, vu que nous nous situons dans les standards définis par l’UEMOA (Union économique et monétaire des Etats de l’Afrique de l’Ouest, NDLR), plus connus comme «les critères de convergence» des pays de l’UEMOA.

De ce côté-là, nous ne nous plaignons pas, mais nous sommes conscients que nous pouvons faire beaucoup plus, au regard des potentiels déjà en place et des possibilités qu’il faut exploiter. C’est à cela que nous nous attelons.

A votre avis, quel serait l’apport réel d’un taux de croissance de 6% sur le quotidien des Maliens ?

C’est là où les choses se gâtent quelque peu, parce que cette croissance n’est pas suffisamment inclusive. Pour que tout le monde profite de la croissance, il faut que celle-ci se traduise par des revenus et un emploi pour tous, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Notre stratégie pour rendre cette croissance inclusive est qu’elle repose sur la création de PME diversifiées actives sur l’ensemble du territoire. C’est là où réside l’emploi et c’est la méthode utilisée par tous les pays du monde, il n’existe pas de recette miracle. L’investissement privé est encore une fois au cœur de cela : comment doter les pays d’un tissu diversifié de PME, créatrices de richesses et d’emplois ? C’est à mon avis la seule manière d’atteindre une réelle croissance inclusive et c’est de cela qu’il s’agit encore une fois dans les politiques que l’on applique aujourd’hui en termes de soutien aux PME, d’amélioration de l’environnement des affaires et d’appui au renforcement des capacités de ces PME pour qu’elles soient compétitives à l’internationale.

Quels instruments allez-vous pour financer et de renforcer de ces structures ?

Nous avons élaboré ce que nous appelons «un programme d’appui au développement des PME» qui sera porté par une agence dédiée à ce type d’entreprises. C’est ce qui est au cœur de notre stratégie aujourd’hui. Ce programme comporte un important volet traitant de l’amélioration du climat des affaires, vu qu’une détérioration à ce niveau impacte directement la santé des PME, les grandes entreprises ayant souvent les moyens de se prévenir de ce genre de scénarios.

Nos PME sont par ailleurs de petites tailles dotées d’une capacité relativement faible, que ce soit en termes de financement, d’organisation, de logistique ou encore en termes d’accès à l’information. Même les PME les plus compétitives n’ont pas toujours une bonne connaissance des marchés étrangers et des procédures et règlementation à respecter dans ces derniers. Le renforcement de leurs capacités est donc le deuxième axe qui se dégage dans cette politique d’appui. Mais au-delà, persistent les difficultés d’accès au financement.

Dans tous les pays, l’Etat joue un rôle extrêmement important en la matière et nous sommes en train de travailler à la mise en place d’outils de financements spécifiques aux PME, dans le cadre de partenariats avec les banques. Nous envisageons même la création d’une banque des PME dédiée à l’investissement, de telle sorte que ce financement leur soit exclusivement destiné.

Nous travaillons aussi sur la possibilité d’ouvrir des marchés aux PME : dans plusieurs pays -y compris aux Etats-Unis, le pays le plus libéral du monde- la commande publique est réservée aux PME par la loi. Donc, comment aider les PME à accéder à la commande publique, comment les aider à accéder aux marchés étrangers en termes d’information sur les procédures, de coûts d’accès à ces marchés et de standards de qualité à adopter sont autant de mesures que nous avons dans le pipeline.

Avez-vous déjà quantifié ces besoins en fonds ?

Nous devrons mobiliser plusieurs milliards de francs CFA. Nous sommes aujourd’hui aux alentours de 15 à 20 milliards qui seront déboursés sur plusieurs années. C’est un programme pluriannuel qui sera mis en place.

Vous nourrissez beaucoup d’espoirs vis-à-vis du forum «Invest in Mali». Quels objectifs vous êtes-vous fixés à ce niveau ?

Ce forum vise a boosté l’investissement privé. Pour y arriver, il faut d’abord changer le narratif existant sur le Mali : l’investisseur se décide quand il a l’ensemble des informations que son projet nécessite. Dans le cas contraire, cela peut déboucher sur un blocage dû à la mauvaise perception que l’on a du pays. La deuxième question que se pose l’investisseur concerne les créneaux et le potentiel d’affaires qu’offre le marché cible. Le forum vise justement à faire connaître ses potentialités aux investisseurs locaux et étrangers. Une fois celles-ci identifiées, demeure la question du climat des affaires et des incitatifs financiers et non financiers offerts par l’Etat pour l’investissement. C’est tout cela que nous comptons expliquer aux investisseurs lors de cette conférence.

A quelque genre d’incitatifs financiers faites-vous allusion ?

Les incitatifs financiers sont essentiellement fiscaux. Nous avons un Code des investissements extrêmement attrayant qui offre des exonérations sur 20 à 30 ans, notamment en termes d’impôts sur le bénéfice dont le taux se situe entre 25% et 30% dans la sous-région. Il est important de faire savoir aux investisseurs, par exemple, que les taxes douanières et de matériel tombent à zéro.

Nous proposons également des incitations non financières permettant aux investisseurs potentiels d’éviter les tracasseries au moment de leur implantation au Mali, notamment un guichet unique qui leur évitera de perdre des mois et des mois en procédures. Nous travaillons à l’amélioration de l’environnement juridique des affaires, pour justement assurer aux investisseurs une sécurité juridique. Nous étudions également les rapports entre investisseurs et administration notamment fiscale, afin de leur éviter des contrôles fantaisistes pouvant aboutir à des redressements tout aussi fantaisistes qui peuvent remettre en cause tout l’effort des investisseurs.

Nous avons conscience que se sont des sujets qu’il faudra mettre sur la table et débattre au cours du forum. Il est essentiel de partager les bonnes pratiques de promotion de l’investissement privé en Afrique et ailleurs à tous ces niveaux et nous allons échanger sur tous ces aspects avec des experts internarnationaux.

Concrètement, quels seront les relais de croissance que vous avez identifiés au niveau de votre département ?

En termes de relais de croissance du Mali, il y a tout d’abord l’agriculture, vu que nous sommes le pays qui a le plus de potentiel à ce niveau dans toute la sous-région. Cela est également valable pour l’élevage et les mines, puisque le Mali est le 3e producteur d’or en Afrique. Egalement pour le coton où nous sommes troisième producteur, mais dont nous ne transformons que 2%, alors que 98% sont exportés en brut.

Comptez-vous donc vous diriger plus vers la transformation que vers la production ?

En effet, la transformation est essentielle pour créer de la valeur et donc de la richesse, ce qui est fondamental. De l’agriculture à l’élevage, en passant par l’agro-industrie, il y a ce pas à franchir ! Malheureusement, le Mali reste en retard sur ce segment. Le deuxième secteur auquel nous devons nous attaquer en priorité est l’énergie. Ce secteur est à la fois un facteur bloquant du développement en termes de coûts, d’accessibilité et de développement social, mais l’énergie est un créneau porteur pour les hommes d’affaires et à ce titre-là, le Mali entend développer des projets en PPP. Les investisseurs pourront ainsi mettre en place des centrales solaires avec l’engagement de notre gouvernement d’acquérir l’ensemble de l’énergie produite. Les opérateurs auront également une aide au niveau du foncier et de la distribution, ce qui leur permettra de rentabiliser, sur le court terme, leurs investissements.

Les transports sont tout aussi stratégiques. D’ailleurs, le Mali est un pays de plus d’un million de km2 et l’on peut traverser jusqu’à 2 000 km pour relier deux villes maliennes : il n’y aura pas de développement tant que les marchés ne seront pas facilement accessibles et que le coût du transport se maintienne à un certain niveau. Donc, sans développement des infrastructures, non seulement l’accès reste difficile, mais extrêmement coûteux, ce qui grève la compétitivité des produits. Le secteur des transports reçoit des investissements publics massifs, mais devra désormais collaborer de plus en plus avec le secteur privé en termes de projets PPP qui se traduiraient par des routes et des ponts à péage. Nous allons dans le détail, en mettant à la disposition des investisseurs potentiels des fiches sectorielles sur chaque secteur, de manière à faciliter la connaissance du marché malien et de ses opportunités.

L’agriculture fait également partie de nos priorités : nous gardons un œil attentif sur l’agriculture marocaine qui est en train de faire des progrès énormes, les agriculteurs marocains commercialisent des oranges à Bamako aujourd’hui, grâce à des camions frigorifiés avec une qualité absolument inimaginable. Ces derniers ont atteint un niveau de développement qui pourrait leur permettre d’envisager d’investir dans ce domaine en partenariat avec des Maliens. Je crois que le futur de l’Afrique réside dans le développement inter-africain.

Quels sont les partenaires que vous ciblez pour accompagner votre effort de développement ?

A ce niveau, les pays que nous avons ciblés le plus et qui ont des chances de venir sont évidemment les pays africains, vu que le Continent compte de grands talents. Mais les marchés intérieurs sont un peu étroits et ils ont la capacité de se développer à l’étranger. Le Maroc est très présent au Mali sur le plan économique et cela peut aller encore plus loin.

Le Mali compte des citoyens multimilliardaires qui officient notamment en Afrique centrale et le Continent compte également sur des poids lourds comme Dangote dans le ciment. Attirer l’attention de ces acteurs est une priorité pour nous, la Chine fait également partie des investisseurs présents au Mali. Contrairement aux opérateurs occidentaux, les Chinois sont prêts à créer des PME dans l’optique qui nous intéresse et sont un partenaire privilégié à ce niveau.

Du côté des investisseurs européens, les Français et les Allemands sont assez présents dans le secteur des énergies et nous planifions des actions ciblées pour que le Forum ne soit pas qu’une réunion de 2 000 personnes sans plus. L’objectif pour nous est de diversifier autant l’industrie que les investisseurs et d’identifier ceux qui sont susceptibles de venir créer des PME, s’associer avec l’Etat dans des projets PPP et assurer un transfert de technologie. Nous croyons énormément en le partenariat.

Quels objectifs de développement vous êtes-vous fixés pour les années à venir ?

Nous avons le programme 2025 et au-delà. L’idée est une véritable émergence du pays c’est-à-dire que, d’abord, la création de richesses permettra aux Maliens d’atteindre un niveau de vie qui pourrait se ressentir dans tous les pays et rompre avec le credo d’une croissance fortement inégalitaire. Il faudra également mettre en place les conditions élémentaires pour encourager et pérenniser l’investissement privé. Il ne faut pas perdre de vue que l’Afrique est le continent de la croissance du XXIe siècle, c’est évident : jeunesse de la population et une classe moyenne qui est en train d’exploser dans tous les pays africains. L’Afrique est cela, mais malheureusement, le Continent n’arrive pas à exploiter son potentiel.

Aujourd’hui, il est établi que les deux tiers des terres arables non cultivées se trouvent en Afrique, alors que le Continent importe pour 35 milliards de dollars de nourriture chaque année. Il y a un problème quelque part ! Le Continent censé être le grenier mondial est nourri par le reste du monde, c’est un contresens économique. Nous devons donc profiter au maximum de la disruption causée par les technologies de la communication et de l’information qui sont en train de briser les barrières évoquées plus haut. Nous devons remporter les défis liés à la technologie et au management et tant que l’agriculture ne servira qu’à nourrir le paysan, nous n’obtiendrons jamais des rendements qui nous permettraient d’être compétitifs au niveau mondial.

Il faut une transformation structurelle en Afrique et introduire le business dans l’agriculture en y liant les questions d’innovation, de productivité, d’attractivité et de connaissance des marchés internationaux. Des facteurs clés pour le succès de toute activité, qui permettront de passer de l’artisanat au professionnel. L’Afrique ne se développera pas sans recourir au partenariat !

Propos recueillis par Amine Ater

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