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Kenieba : Le drame de l’orpaillage artisanal

L’éboulement du site minier artisanal à Bilaly Koto, , qui a causé la mort d’une cinquantaine de personnes, relance le débat sur l’impérieuse nécessité de réguler et sécuriser les activités minières afin de protéger les travailleurs et les communautés locales. Néanmoins, les populations de Kéniéba, à travers la Fédération locale des orpailleurs du cercle de Kéniéba, sont déterminées à trouver des solutions pour améliorer les conditions de travail et réduire les risques d’accidents sur ces sites.

A Bilaly Koto (lieu de l’effondrement), c’est la consternation et le recueillement. Les familles des disparus continuent de pleurer leurs morts. Selon des informations et témoignages recueillis auprès des populations de ce village martyr, c’est aux environs de 6 h du matin, le samedi 15 février 2025, que l’éboulement a eu lieu. Sur le site, il y avait au moins une cinquantaine de personnes, essentiellement des femmes recherchant des morceaux d’or, lorsque la terre s’est effondrée.

Aussitôt, les opérations de déblaiement ont commencé pour la recherche de survivants. Mais hélas ! Les secouristes n’ont pu extraire que 42 corps des décombres, dont douze femmes enceintes et deux enfants allaités. Sur ce site, lieu du drame, autrefois exploité par une entreprise chinoise, mais abandonné et attirant de nombreux orpailleurs artisanaux en quête d’or, on pouvait sentir l’odeur de cadavres piégés sous les décombres.

Réunion avec le chef de village de Bilaly Koto

Une délégation gouvernementale a été dépêchée sur place pour constater les dégâts et prendre des mesures appropriées afin qu’une telle tragédie dévastatrice ne se reproduise plus à Kéniéba ou ailleurs. En plus, le président de la Transition, le général d’armée Assimi Goïta, par la voix de son Premier ministre, le général Abdoulaye Maïga, a déclaré que cet éboulement, qui n’est pas le premier du genre, ne restera pas impuni.

Pour le chef du village de Bilaly Koto, Douga Kéita, la délégation ministérielle a minimisé la gravité de cette tragédie et le danger que représentent les sites d’orpaillage chinois pour la population et l’environnement en général.

“Ce qui s’est passé dans mon village est plus qu’une tragédie dévastatrice. J’ai toujours dénoncé la présence des Chinois dans le cadre de l’orpaillage, car ils ne respectent aucune mesure. J’ai personnellement dit aux ministres des Mines, de l’Environnement et de l’Assainissement que la présence des Chinois constitue un véritable danger pour toute la Commune. Je leur ai également dit que je ne voulais plus de la présence chinoise dans mon village et de tout faire pour les faire partir. Mais les ministres m’ont sèchement répondu qu’ils n’avaient pas ce pouvoir. C’est là que je me suis rendu compte que la délégation ministérielle n’a pas mesuré l’étendue de la gravité de la situation”, a affirmé Tiémoko Keita, le fils du chef de village, rapportant les propos de son père.

Les accidents sont très fréquents dans cette partie du cercle de Kéniéba, largement exploitée par des Chinois et des Burkinabè avec l’accord du gouvernement et la bénédiction de certains chefs de village. Une grande partie de l’activité minière n’est pas réglementée et les mineurs utilisent des méthodes peu sûres pour extraire l’or, ce qui cause fréquemment des éboulements.

Pour réglementer ce secteur, la Fédération locale des orpailleurs du cercle de Kéniéba a vu le jour, avec pour objectif principal de défendre les orpailleurs et de réglementer le secteur, dominé par des Chinois et des Burkinabè appelés “Mochis” au détriment des autochtones.

“La Fédération, comme son nom l’indique, vise à gérer le secteur minier au niveau local et à faire en sorte que l’or puisse briller pour Kéniéba et tout le Mali dans son ensemble. C’est aussi réorganiser le secteur minier, notamment l’orpaillage. Pour cela, nous avons commencé à recenser tous les sites d’orpaillage du cercle de Kéniéba avec l’appui d’un huissier de justice. En un mot, nous avons voulu assainir le secteur de l’orpaillage et mettre fin aux multiples éboulements que le cercle continue de connaître. Mais à notre grande surprise, la direction générale de l’administration territoriale a décidé de suspendre toutes nos activités”, a souligné Abdoulaye Touré, vice-président de la Fédération locale des orpailleurs du cercle de Kéniéba.

En effet, il ressort de nos enquêtes que dans une lettre confidentielle en date du 6 novembre 2024, la direction générale de l’administration territoriale a suspendu les activités de la Fédération au motif que celle-ci s’est substituée aux acteurs reconnus dans le secteur minier et procède à du racket. Des accusations que les responsables de la Fédération rejettent catégoriquement en attaquant ladite lettre devant la justice.

“Tout notre problème a commencé lorsque nous avons instauré un système de recensement des sites d’orpaillage. Parce que quand un site d’orpaillage devait s’ouvrir, les chefs coutumiers percevaient deux millions chaque mois comme droit de sol. L’ancien bureau de la Fédération aussi touchait des millions par mois. Mais avec le système de recensement que nous avons mis en place, tout est clair et traçable. Tout le monde sait ce qui a été payé durant le mois et l’année, et cela part directement dans la caisse. Pour nous, ce système est vraiment transparent. Les principaux acteurs du racket sont connus de tous, y compris de l’Etat. C’est l’ancien président de la Chambre des Mines de Kéniéba, Lassane Camara, qui a orchestré tout cela pour que notre Fédération soit suspendue, car il ne veut pas de transparence dans la gestion de l’orpaillage. Toutes nos activités sont bloquées par cette mesure. Nous demandons la levée de cette mesure pour que nous puissions continuer nos activités”, s’est défendu Adama Foulo Sissoko, membre de la Fédération.

Cette situation a déclenché des poursuites judiciaires contre les premiers responsables des trois Fédérations du cercle de Kéniéba, des procédures qui les ont menés jusqu’à Bamako, devant un juge.

Redistribution équitable des revenus

“Nos adversaires sont allés dire que nous avons effectué des recensements illégaux dans leurs communes sans mandat, ce qui est faux. Devant le juge, nous avons présenté tous nos documents légaux, ce qui a convaincu le juge de nous libérer. Nous voulons le bonheur des orpailleurs de Kéniéba et aussi une redistribution équitable des revenus de l’orpaillage entre tous les fils et filles de Kéniéba. Si vous voyez que les effondrements se multiplient, c’est parce que les ressources sont mal gérées. Ce n’est qu’une poignée de personnes qui bénéficient du dû de tout un village ou une commune. Nous demandons à la direction de l’administration territoriale de revoir sa décision”, a renchéri un autre responsable de la Fédération locale.

Notre enquête révèle aussi l’implication de la jeunesse de Kéniéba et de la société civile dans la conquête des Chinois dans la zone, comme nous l’explique un jeune de Sitakily.

“Si nous voyons que l’orpaillage chinois a pris une ampleur inédite à tel point que personne ne peut rien faire, c’est à cause de l’implication de la jeunesse. Parce que c’est la jeunesse qui est le point focal de ces Chinois partout où ils passent. En outre, la jeunesse, ils sont fortement soutenus par la société civile et l’ancien bureau de la Fédération. Le comble dans tout ça, c’est que tu n’oses même pas porter plainte contre eux pour violation de l’environnement et de l’écosystème avec l’utilisation abusive du cyanure. Ils sont également soutenus par les autorités administratives de la localité, en premier lieu le préfet et la gendarmerie”, a dénoncé amer un jeune de Sitakily.

Les environnementalistes sont formels : l’utilisation du cyanure comporte des risques importants, notamment la contamination des sols et des cours d’eau, ainsi que des dangers pour les travailleurs et les communautés environnantes.

Sur les deux sites d’orpaillage que nous avons visités (Bilaly Koto et Kéniéba ville), le constat est amer. L’utilisation du cyanure a complètement détruit le paysage, polluant ainsi l’environnement et mettant en danger ses habitants. En effet, l’exposition au cyanure peut entraîner des maux de tête, des nausées, des vertiges, et même des effets plus graves comme des troubles neurologiques et des problèmes respiratoires.

“Les Chinois ne respectent rien en termes de protection de l’environnement. A cause de l’utilisation du cyanure, nous manquons d’eau potable dans le village et de marigot où nos enfants se baignent. A l’insu des parents, c’est dans ces eaux hautement toxiques que les enfants se baignent. En conséquence, les enfants attrapent très vite des maladies cardiovasculaires et des brûlures au niveau de la peau. Nous avons perdu beaucoup d’enfants à cause de cela. Il y a moins d’une semaine, j’ai perdu une dizaine de têtes de bétail qui avaient consommé l’eau contaminée par le cyanure, car nous faisons tout pour éloigner les animaux de ces eaux”, a expliqué un habitant de Bilaly Koto.

“AngloGold Ashanti Mali, Barrick Gold Mali Ltd, Avnel Gold, Chaka Mining, Loulo et Consolidated Mining Corporation, toutes ces entreprises utilisent le cyanure avec une extrême prudence. Elles suivent des protocoles de sécurité stricts pour minimiser les risques. Mais les Chinois et les Burkinabès ne respectent absolument rien. Nous n’avons plus de terres sur lesquelles nous pouvons cultiver, plus de flore et de faune à cause de ces Chinois et Burkinabès”, a ajouté un autre habitant de Kéniéba ville, dont la maison se trouve à 100 mètres d’un site d’orpaillage à ciel ouvert abandonné par les Chinois.

L’or échappe au contrôle du fisc

L’or est l’une des principales sources de revenus pour le Mali. Il représente une part importante des exportations du pays et contribue de manière significative au PIB.

Cependant, personne ne connaît la quantité exacte d’or que ces orpailleurs (Chinois et Burkinabè) extraient dans ces zones. L’or échappe au contrôle du fisc malien. D’ailleurs, les responsables de ces sites d’orpaillage font sortir l’or par le Sénégal et la Mauritanie.

La Fédération locale des orpailleurs du cercle de Kéniéba demande donc une réorganisation de l’orpaillage pour que l’or brille d’abord pour les Kéniébiens et que chacun y trouve son compte en termes de retombées économiques pour Kéniéba et pour le Mali de façon générale.

“Pour réorganiser le secteur de l’orpaillage, il suffit que le gouvernement attribue cette tâche à la Fédération locale des orpailleurs de Kéniéba. Parce que nous connaissons et nous vivons dans ce secteur. Nous ne sommes pas contre l’exploitation par les Chinois et les Burkinabè. Mais cette exploitation doit être accompagnée par des mesures d’accompagnement. Par exemple, si un Chinois vient avec son permis d’exploitation, on doit mettre à côté un fonds pour la sécurisation du site et, après l’exploitation, la réhabilitation du site”, précisera un responsable de la fédération.

“Depuis le mois de septembre dernier, nous avons élaboré un mémorandum articulé autour de sept axes stratégiques. En exploitant soigneusement ces axes, la réorganisation du secteur de l’orpaillage sera très simple pour ceux qui connaissent le secteur. Le mercredi 26 février 2025, les propositions prises en conseil des ministres pour réorganiser le secteur ont été puisées dans le mémorandum que nous avons présenté lors de notre rencontre avec l’ancien Premier ministre Choguel Maïga. Pour éviter les éboulements, nous avons adopté une politique qui consiste à mettre de côté plus de 20 pelles de banco. Les femmes prennent ce banco et le lavent. Avec cette politique, vous verrez que l’exploitation va continuer, les femmes ne descendront pas dans le site et personne ne va mourir. S’agissant de la sécurité, nous allons mettre les membres de la Fédération autour du site pour éviter le désordre. En premier lieu, ceux qui ont leur permis d’exploitation vont creuser un bassin où l’eau sale sera stockée et, après l’exploitation, nous fermerons le site pour le réhabiliter”, a ajouté notre interlocuteur.

Il reste convaincu que si le gouvernement applique à la lettre ledit mémorandum, le secteur de l’orpaillage serait bien organisé et génèrera uniquement à l’Etat plus de 10 milliards de F CFA par trimestre.

“Si nous parvenons à bien réorganiser l’orpaillage largement dominé par les Chinois, je vous assure que nous pourrons recueillir plus de 10 milliards de F CFA par trimestre. Mais il suffit juste de connaître le secteur et ses contours pour que Kéniéba et le Mali dans son ensemble puissent profiter des retombées économiques. Imaginez : en trois mois, nous avons plus de 10 milliards, mais en un an, Kéniéba seulement peut générer à l’Etat plus de 300 milliards de F CFA. Ces ressources générées par l’orpaillage peuvent permettre à l’Etat de financer des projets de développement et de payer tous les fonctionnaires du Mali. Mais dans cette cacophonie, c’est d’abord Kéniéba qui a perdu, déjà que nous n’avons pas de route, ni d’hôpitaux, encore moins d’eau potable”, a conclu notre interlocuteur.

 

Ousmane Mahamane

(Envoyé spécial à Kéniéba)

Source : Mali Tribune

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