Le Programme d’Appui à l’Autonomisation des Femmes dans la Chaîne de Valeur Karité (PAEFFK), censé transformer la vie de milliers de femmes rurales maliennes, révèle des lacunes inquiétantes dans sa mise en œuvre, selon un rapport publié en juin 2025 par le Bureau du Vérificateur Général (BVG). Ce programme ambitieux, financé par le Gouvernement du Mali et la Banque Africaine de Développement (BAD), visait à structurer et professionnaliser les coopératives féminines autour de la filière karité. Mais la réalité est tout autre.
Un projet stratégique, un potentiel énorme
Bamada.net-Avec une enveloppe globale de 5,62 millions d’Unités de Compte (environ 4,44 milliards de FCFA), le PAEFFK ambitionnait de soutenir 400 coopératives dans les régions de Kayes, Koulikoro, Sikasso et Ségou, touchant directement 50 000 femmes et générant potentiellement plus de 800 000 bénéficiaires indirects.
Le karité, première ressource de cueillette au Mali, implique plus de trois millions de femmes, représentant 85 % de la main-d’œuvre féminine en milieu rural. L’enjeu du programme était donc capital : créer des emplois décents, renforcer les capacités techniques des coopératives et améliorer la compétitivité du beurre et des amandes de karité, produits prisés sur le marché international.
Des défaillances administratives majeures
Le rapport du Vérificateur Général pointe d’abord un fait troublant : la non-reconduction formelle du programme après l’échéance légale de 2021. Approuvé initialement pour une durée de cinq ans (2017–2021), le programme a continué de fonctionner sans cadre juridique actualisé, exposant ainsi ses actes à une potentielle nullité.
À Lire Aussi : La production du beurre de karité, une aubaine pour les femmes de Kadiolo
À Lire Aussi : Karité : Encore un pas vers la structuration de la Filière au Mali
Autre dysfonctionnement majeur : le Comité de Pilotage, censé se réunir au moins deux fois par an pour orienter et contrôler le projet, ne s’est réuni qu’une seule fois en trois ans. Une gouvernance défaillante qui compromet sérieusement la transparence et l’efficacité du suivi.
Des irrégularités contractuelles et fiscales
Le rapport révèle que plusieurs contrats de prestations intellectuelles ont été signés sans respecter les règles légales de passation et d’approbation. Certains contrats, bien qu’impliquant des montants élevés, ont été conclus unilatéralement par la Coordinatrice du projet, sans validation ministérielle comme l’exige la réglementation en vigueur.
Par ailleurs, la Cellule d’Exécution du Projet n’a effectué aucune déclaration fiscale, en dépit de ses obligations vis-à-vis de l’administration des impôts. Ce défaut expose le projet à des sanctions et remet en question sa conformité légale.
Manque de transparence dans les marchés publics
Le PAEFFK n’a pas respecté les exigences de la BAD concernant la publication des résultats d’attribution des marchés, notamment l’obligation de divulguer les noms des actionnaires des entreprises bénéficiaires. Ce manque de transparence affaiblit la crédibilité du projet et viole les principes d’équité dans les marchés publics.
De plus, l’archivage des dossiers de passation de marchés laisse à désirer : documents incomplets, absence de procès-verbaux de réception, ou encore de justificatifs de paiement. Ces insuffisances compromettent la traçabilité et l’auditabilité des dépenses.
Une irrégularité financière régularisée in extremis
Une seule irrégularité financière, portant sur un montant de 1 800 000 FCFA non reversé au Trésor Public par le comptable du projet, a été signalée. Heureusement, cette somme a été intégralement régularisée après la transmission du rapport provisoire du BVG.
Des équipements livrés sans formation, des coopératives démunies
Sur le terrain, les bénéficiaires font face à une autre réalité : les équipements de transformation, bien qu’achetés et livrés, n’ont pas été accompagnés d’un volet de formation. Résultat : une faible appropriation par les femmes, et une inefficacité généralisée des outils censés moderniser la filière.
Le manque de coordination entre les coopératives féminines, les services locaux de promotion de la femme et les services forestiers est également pointé du doigt. Une synergie absente qui freine le développement local.
Recommandations et perspectives
Le Bureau du Vérificateur Général recommande un renforcement de la gouvernance, une régularisation du cadre juridique du programme, une meilleure transparence dans la gestion des marchés publics, le respect des règles fiscales et une formation technique des bénéficiaires.
À cela s’ajoute une proposition innovante : intégrer les producteurs de plants de karité aux campagnes nationales de reboisement. Cette initiative permettrait non seulement de reboiser durablement les zones rurales, mais aussi d’assurer un revenu stable à des milliers de pépiniéristes.
Un projet noble, à remettre sur de bons rails
Ce rapport accablant n’invalide pas la pertinence du PAEFFK, mais met en lumière l’urgence d’une réforme de sa gestion. L’autonomisation économique des femmes rurales est un objectif crucial pour la stabilité et le développement du Mali. Il ne saurait être compromis par des négligences administratives et des failles de gouvernance.
L’enjeu est de taille : transformer une filière traditionnelle en levier de développement inclusif. Encore faut-il que les femmes qui en sont le moteur puissent compter sur un encadrement rigoureux, une gestion exemplaire et des actions concrètes sur le terrain.
NB : Toute reproduction, intégrale ou partielle, sans une autorisation explicite de notre part est strictement interdite. Cette action constitue une violation de nos droits d’auteur, et nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour faire respecter ces droits.
Fatoumata Bintou Y
Source: Bamada.net