Il fait encore rêver de nombreux jeunes et la passion qui anime ses professionnels n’est pas prête de s’estomper. Même si l’exercice du métier de journaliste enregistre des dérives au Mali et reste confronté à diverses contraintes, son rôle dans une société avide d’informations est essentiel. Entre régulation et autorégulation, les acteurs sont appelés à s’adapter pour une meilleure pratique.

« C’est un rêve d’enfant et je ne regrette pas d’avoir choisi ce métier », confie Diallo Aminata Traoré, journaliste à la radio Joliba FM. Journaliste depuis 2015,d’abord  dans une chaîne de télévision privée, puis à la radio, la jeune mère de famille avoue que c’est « plus compliqué quand on est femme pour gérer les deux (travail et vie de famille) ». Mais pour elle ce n’est pas le plus dur. Elle pense que la profession mérite plus de respect. Parce que « tout le monde se dit journaliste » et à cause du mauvais comportement de certains, une grande partie du public n’a plus d’estime pour le métier. Or, sans journaliste, « ni télévision, ni radio », poursuit-elle.

Précarité

« L’absence de contrat de travail est la règle dans la profession. Seuls 29% des employés et 24% des journalistes en disposent. Le secteur est bien formel, mais son emploi est majoritairement informel. La situation professionnelle des journalistes de la presse écrite est donc précaire », selon la Cartographie  économique de la presse écrite au Mali réalisée par le Centre d’études et de renforcement des capacités d’analyse et de plaidoyer (CERCAP), publiée en 2017 et couvrant la période 2012-2013.

Cette réalité est encore d’actualité et le « métier noble » et véritable « sacerdoce » que l’on choisit par « amour et passion », ne nourrit malheureusement  pas son homme, reconnaît M. Ousmane Daou, journaliste à l’Office de radio télévision du Mali (ORTM). Même si on peut y gagner autrement que sur le plan financier, ajoute-t-il. Outre, le carnet d’adresses et le lien social particulier qui permet « d’accéder à tout le monde », ce métier fait partie des rares où l’on apprend tous les jours, se réjouit-il.

« Près de 70% des organes de presse ne versent pas de salaires à leurs employés » et les journalistes de ces rédactions vivent des frais de déplacements versés lorsqu’ils sont invités à couvrir des événements, « de l’écriture d’articles sur commande en faveur ou contre un personnage public, du partage des revenus publicitaires lorsqu’il y en a » et de celui de l’aide à la presse accordée par l’État. Et les journalistes de la presse écrite n’ont pas l’apanage de ces pratiques, répandues dans la profession, ajoute l’étude.

Absence de formation

« 68,8% des journalistes exerçant dans la presse écrite au Mali ont appris le métier sur le tas et n’ont pas suivi de cursus de formation initiale au journalisme », indique la Cartographie économique de la presse écrite au Mali. Et, quelle que soit leur fréquence de parution, plus de 60% des rédactions n’emploient aucun journaliste de formation initiale, poursuit l’étude. Si ne pas sortir d’une école de journaliste n’est pas un frein à l’exercice du métier, pourvu que l’on s’imprègne des bases de la profession, parce que le respect des règles est souvent lié à un mauvais apprentissage, explique une professionnelle du domaine.

Face à l’ampleur de ce constat, partagé par les autres médias, l’implication des associations professionnelles et des organes de presse s’impose. En effet, il est urgent de « moraliser le secteur », confie un acteur. La généralisation de la formation peut contribuer à amoindrir les mauvaises pratiques et à éviter que ceux qui n’ont pas « pour objectif d’aller loin » n’entrent dans le métier, estime M. Bakari Cissé, journaliste à la radio Klédu. Outre la formation, qui doit « être continue » pour s’adapter à l’évolution constante dans le domaine, les conditions de travail doivent également être améliorées pour permettre une bonne pratique, selon M. Cissé.

« Si on veut changer, il faut revaloriser les salaires et les conditions de travail, afin que les professionnels ne soient pas à la solde de ceux qui le souhaitent », précise Ousmane Daou. Rédigée sous l’égide des journalistes ouest africains, la Convention collective des médias de l’espace CEDEAO concerne le Mali. Même si son lancement a été officiel, sa mise en œuvre n’est pas encore effective pour la plupart des organes de presse. Elle a été élaborée en prenant en compte les conventions internationales qui concernent les relations du travail et les Codes de travail des différents pays. Son but était de  sécuriser les journalistes dans leur travail afin de leur garantir le droit à un contrat, à la protection sociale et à une retraite. Une couverture sociale destinée notamment à avoir un salaire décent, leur permettant d’échapper à certaines dérives et à des pratiques qui tranchent avec la déontologie.

« On applique la Convention collective et les gens sont payés selon leur niveau d’études », affirme M. Dramane Aliou Koné, Président du groupe de médias Renouveau. Mais l’évolution du secteur ne s’est pas faite au même rythme que celle de l’environnement économique, rendant difficile pour les organes de presse « de prendre en charge les salaires et charges sociales », relève M. Koné.

Des organes en nombre et des opportunités rares, c’est ainsi que résume la situation M. Bandiougou Danté, Président de l’Union des radios et télévisions libres du Mali (URTEL). Et les premiers organes ont plutôt fait de la politique que du business,  avec plusieurs titres devenus surtout des outils de propagande politique. « Même s’ils ont contribué à la naissance de la démocratie », selon les acteurs, les organes de presse n’ont pas évolué vers des entreprises de presse. Et leur floraison, que certains n’hésitent pas à qualifier de désordre, nécessite un assainissement du secteur.

Des organes aux entreprises de presse

Cette situation, qui n’est profitable ni aux journalistes ni aux organes de médias, encore moins à la bonne marche du pays, justifie la mise en place d’un « mécanisme de financement et de refinancement pour encadrer la création des médias et les protéger », suggère Dramane Aliou Koné. À titre d’exemple, il relève qu’en Côte d’Ivoire, pour 5 chaînes de télévision privées, il existe une masse publicitaire de 120 milliards de francs CFA, contre 15 milliards pour une trentaine de chaînes au Mali.

Si la régulation relève de l’État, les professionnels veulent pleinement assumer leur responsabilité. Créé depuis 3 ans, le Conseil éthique et déontologique des pairs (CEDEP)  est l’organe d’autorégulation, où siègent les anciens reconnus pour leur professionnalisme et qui peuvent interpeller leurs jeunes confrères en cas de dérapages. « Une instance qui mettra de l’ordre », espèrent les acteurs.

L’instance, qui se donne essentiellement 2 missions, envisage de faire prendre conscience à tous les hommes et femmes de médias de l’importance à donner au respect de l’éthique et de la déontologie du métier de journaliste dans les différentes phases de la mission d’information. Elle se prononce aussi sur les atteintes à l’éthique et à la déontologie dans tous les types de médias par autosaisine ou par une requête déposée auprès du Conseil. L’objectif  étant  d’éviter, à travers un jugement des pairs, certaines dérives et par la même à certains confrères de se retrouver devant la justice, expliquent ses responsables.

Des règlements à l’amiable doivent aussi advenir, en faisant publier des rectificatifs et  des droits de réponse, pour informer le public sur les possibilités existantes avant un recours en justice. Le Conseil, relevant de la Maison de la Presse, sera installé officiellement en septembre, grâce à un partenariat  avec l’ONG canadienne Journalisme et droits humains (JHR), avec 7 membres venus des faîtières de la presse et un mécanisme de monitorage leur adjoignant des associations de défense des droits de l’Homme et des ONG.

Fatoumata Maguiraga

Source: journaldumali