Les écoles et universités hexagonales sont de plus en plus nombreuses à proposer des échanges ou des stages sur le continent, où certains élèves s’établissent ensuite pour faire carrière.
Partir étudier ou travailler en Afrique. L’idée peut sembler inattendue, surtout si on compare les moyens des universités hexagonales et celles du continent africain. Pourtant, les jeunes Français sont de plus en plus nombreux à réaliser un stage, un semestre d’études, voire à débuter leur carrière dans un pays d’Afrique.
« Je me suis installée à Johannesburg pour quelques mois, mais je compte bien y rester encore plusieurs années ! » C’était en 2016. Fanny Moral, partie en stage en Afrique du Sud dans le cadre de son master en communication à Sciences Po Paris, se souvient de son arrivée, bourrée de clichés :
« Les premiers jours, j’étais terrorisée. Des amis m’avaient parlé de l’insécurité à Johannesburg. Mais rapidement, je me suis rendu compte que ce n’est pas plus dangereux qu’à Paris. Il suffit simplement de faire attention à ses affaires personnelles. »
La jeune femme a connu un début de carrière fulgurant ; à 25 ans, elle gère déjà une équipe de quatorze personnes. Chargée de la communication et du marketing d’Enko Education, un réseau d’études secondaires privées implanté dans plusieurs pays d’Afrique, elle ne troquerait plus son poste contre un emploi dans une tour de La Défense :
« J’aurais beaucoup de difficulté à travailler de nouveau à Paris. Ici, les paysages sont magnifiques et je ne m’ennuie jamais. »
L’histoire récente du pays a renforcé la passion pour l’Afrique du Sud de cette admiratrice de Nelson Mandela :
« J’ai toujours voulu vivre dans un pays en mutation, ce qui est le cas ici. L’apartheid a été aboli il y a tout juste vingt-cinq ans. »
Fanny Moral convient qu’elle n’aurait pas eu autant d’opportunités en France. Etre bilingue et diplômée d’une grande école comme Sciences Po lui a ouvert des perspectives dans ce pays où l’université du Cap, la plus réputée d’Afrique, n’est classée qu’au-delà de la 200e place dans le classement de Shanghai de 2019, derrière de nombreux établissements européens.
Le Maroc attire de plus en plus
Son exemple est loin d’être isolé. L’Afrique du Sud est une destination encore récente, mais près de 250 étudiants originaires de France y étaient inscrits dans un cursus en 2017, selon l’Unesco. Soit une augmentation de 33 % par rapport à 2013. La hausse est légèrement supérieure pour Maurice sur la même période (35 %, de 92 à 125 étudiants), tandis que le Maroc a connu une explosion des arrivées, avec 485 étudiants en 2017 contre 55 quatre ans plus tôt.
Un nombre toutefois minime comparé aux géants canadien, britannique et américain, qui accueillaient plus de 35 000 étudiants français en 2017. Mais ce qui est intéressant, c’est la tendance de la courbe.
Depuis 2016, le dispositif européen Erasmus + permet la mobilité étudiante vers 167 pays extra-européens. « Depuis 2014, il y a de plus en plus de partenariats entre la France et le continent africain pour promouvoir la mobilité étudiante », affirme Anne-Sophie Brieux, chargée de communication de l’agence Erasmus +. En effet, une quinzaine d’accords existent, la plupart dans des secteurs d’études spécialisés comme l’enseignement agricole, les études d’ingénieur ou la coopération et le développement économique.
« Nous sommes très impliqués dans le développement de nouvelles conventions avec un certain nombre de pays africains comme le Sénégal et la Tunisie », précise Jérôme Thonnat, chargé de mission au sein de Montpellier SupAgro, une école qui forme 1 700 étudiants. Même s’il constate cette année un léger fléchissement du nombre d’élèves en mobilité en Afrique en raison du risque sécuritaire, l’intérêt ne faiblit pas. En 2018-2019, une quarantaine d’entre eux ont réalisé un stage de plusieurs mois en Afrique, le plus souvent en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Afrique du Sud ou à Madagascar.
Immersion de longue durée
C’est ce qu’a fait Lucas, qui ne regrette pas d’avoir porté son choix sur Dakar. Diplômé cette année de SupAgro, il a choisi l’Afrique en cours de formation. « Un continent d’avenir », estime le jeune ingénieur, qui voit là une « expérience passionnante », même si son père a toujours refusé de lui rendre visite au Sénégal. Aujourd’hui, Lucas a quitté ce pays pour la Côte d’Ivoire. « J’ai eu l’opportunité de rentrer à Paris à l’issue de mon stage à Dakar, en 2015, mais j’ai refusé. » Le voilà donc installé à Abidjan pour deux ou trois ans. Un choix que ses proches ne comprennent pas toujours :
« Ma mère a réussi à l’accepter, tout en espérant que je décroche un poste dans un autre pays. Mais une amie a trouvé ma décision farfelue, voire dangereuse, me demandant même comment je comptais survivre à Abidjan ! »
Lucas, dont le salaire lui permet de louer un logement d’une superficie bien supérieure à ce qu’il aurait à Paris, convient que l’Afrique ne fait pas rêver tous ses camarades d’école :
« La très grande majorité de mes jeunes collègues ingénieurs souhaitant partir à l’étranger ont choisi l’Indonésie ou la Thaïlande. Même si je me sens parfois moins en sécurité en Côte d’Ivoire qu’au Sénégal, les rapports humains y sont très chaleureux et je vis dans de bonnes conditions. Et cela me tenait vraiment à cœur. »
Cet essor de la mobilité étudiante vers l’Afrique oblige parfois les établissements d’enseignement supérieur à redoubler d’originalité. Pour sortir du lot, certaines écoles proposent non pas un stage classique, mais une véritable immersion de longue durée.
Ainsi, « une cinquantaine d’étudiants de Sciences Po Paris suivent actuellement une année académique complète dans un pays africain et assistent pleinement aux cours aux côtés des étudiants nationaux », explique Fabien Albouy, responsable du pôle Afrique et Moyen-Orient de la direction des affaires internationales. Un chiffre en nette progression, puisqu’il y a deux ans, ils n’étaient que 30. Sciences Po se targuer d’être l’école française qui envoie le plus de jeunes étudier en Afrique, grâce à un solide réseau de 30 partenariats sur le continent.
Ouvrir de nouveaux horizons
A plus petite échelle, l’Université technologique de Troyes veut elle aussi jouer cette carte pour permettre à un étudiant d’être complètement intégré dans un cursus en Afrique, grâce à un accord d’échange universitaire noué notamment avec l’Ecole polytechnique de Yaoundé, au Cameroun. Gwenolé Moal, 21 ans, suit un semestre complet au sein de cette école. « Grâce à cet échange, je peux suivre une spécialité en génie civil », explique le jeune homme. En deuxième année de cursus d’ingénieur et en colocation depuis un mois à Yaoundé, Gwenolé se sent déjà chez lui :
« Je m’habitue très bien à cette nouvelle vie et cela me permet de découvrir une autre culture. Je voulais aller le plus tôt possible en Afrique, car dans quelques années il y aura peut-être des endroits, trop durement affectés par le dérèglement climatique, qui ne seront plus accessibles dans des conditions sûres. »
Même s’il n’est pas sûr de rester travailler au Cameroun, Gwenolé voit l’Afrique comme « un continent dynamique et d’avenir ». Et il en est certain :
« Ce semestre d’études est pour moi une chance de développer des connaissances et des compétences utiles à mon futur métier. »
Si certains jouent l’immersion, d’autres ouvrent de nouveaux horizons… C’est la stratégie adoptée par le master en études interdisciplinaires des dynamiques africaines de l’université Bordeaux-Montaigne. « Durant quinze jours, la promotion du master 1 se rend en Tanzanie pour se confronter aux réalités locales. Les étudiants y sont accueillis chez un paysan qui pratique l’agroforesterie au sud du Kilimandjaro », décrit Bénédicte Thibaud, directrice de cette formation.
C’est là que Valentine Laurent a pris goût à l’Afrique. Diplômée du master bordelais en 2018, elle vient de terminer une mission de coopération en Guinée pour l’association Charente-Maritime Coopération. Après un stage d’un mois au Sénégal en 2015, afin de s’assurer que la vie en Afrique lui plaisait, elle est partie en 2018 en Guinée, pour plus d’un an, avec comme objectif d’accompagner une entreprise locale et de l’aider à trouver des partenariats :
« Cette expérience a renforcé mon autonomie et ma capacité d’adaptation face à des situations nouvelles. Je me sens beaucoup plus à l’écoute des autres aujourd’hui. »
Actuellement en recherche d’emploi, la jeune diplômée rêve de soutenir de nouveau des entreprises locales en Afrique de l’Ouest.