Le 1er février, Janet Yellen prend les rênes de la Fed, la Réserve fédérale américaine. Elle succède à Ben Bernanke, et devient la première femme à diriger cette institution vieille de cent ans. Portrait de celle qui orientera la politique monétaire des Etats-Unis. Et qui donnera le ton au reste de l’économie mondiale.
« Si vous passez une soirée à la maison, avait-elle confié dans un entretien en 1995, vous entendrez parler d’économie à table, bien plus d’économie d’ailleurs que certains appétits ne pourraient en supporter ». Les pieds dans le plat et en une phrase un portrait. Janet Yellen est une femme qui a l’économie dans le sang, un goût certain pour l’humour, une dose d’autodérision, le tout saupoudré de gentillesse, qualité que lui reconnaissent tous ceux qui la côtoient.
C’est sa mère qui l’initie à l’économie. Elle tient les cordons de la bourse familiale, s’intéresse à Wall Street, aux marchés, à l’économie dont elle suit l’actualité : les pages des journaux lus par la mère sont dévorées par la fille. Il faut dire que le chômage de masse, la misère font partie de l’inconscient familial. Les parents de Janet Yellen ont vécu la Grande Dépression des années 1930 et ses stigmates sont bien présents dans le quartier ouvrier de Brooklyn, à New York, où elle grandit.
Brillante élève, elle sort major en économie de l’université de Brown, dans le Rhode Island, avant de se lancer dans un doctorat à la prestigieuse université de Yale, sous la direction d’un certain James Tobin, grand économiste keynésien, futur Nobel et élève d’un autre futur Nobel, Joseph Stiglitz. Sans surprise, Janet Yellen fait du chômage – ses causes, ses mécanismes, ses conséquences – sa spécialité. A sa sortie de Yale, elle intègre l’équipe d’économiste de la Fed, où elle rencontre à la cafétéria un collègue chercheur, George Akerlof, futur Nobel d’économie lui aussi, son futur mari. De cette rencontre naît un couple fusionnel aussi sur le plan intellectuel. Ils mènent ensemble leurs recherches sur la rigidité des salaires et des prix à la London School of Economics.
La Fed plutôt qu’une l’université
C’est un coup de fil de la Maison Blanche, en 1994, qui donne un nouveau tour à sa carrière. Cette année-là, l’administration Clinton demande à Janet Yellen de rejoindre le Conseil des gouverneurs de la Fed. Ce qu’elle fait en toute simplicité. Ses idées et son franc-parler sous le bras, elle bouscule les codes à peine arrivée, en allant déjeuner à la cafétéria avec le personnel de la banque centrale américaine. « Elle n’avait pas peur de dire ce qu’elle pensait et pourquoi elle le pensait », se souviennent ses collaborateurs. Elle appréciait surtout de rester ancrée dans la réalité du quotidien de ses concitoyens.
De gouverneur, elle devient chef des conseillers économiques du président Clinton, puis présidente de la Fed de San Francisco avant d’occuper, jusqu’à sa prise de fonction à la tête de la Fed, le poste de vice-présidente. En 1997, James Tobin avait dit de Janet Yellen : « elle dispose d’un talent de génie pour exprimer simplement et clairement des arguments compliqués ». Sans savoir évidemment que quinze ans plus tard, c’est cette qualité précisément qui fera la différence. La communication, la transparence des banques centrales sont devenus ses chevaux de bataille. « L’époque où l’on ne disait rien, où l’on n’expliquait rien est révolue », avait-elle annoncé en janvier 2012 après la première publication par la Fed de ses objectifs chiffrés d’inflation et de chômage. Une ligne de conduite qui fait grincer bien des dents dans cette institution plutôt habituée au mystère, et dont la petite phrase non dénuée d’ironie d’un ancien président, Alan Greenspan, est restée dans les annales : « Si vous avez tout compris, c’est que j’ai dû mal m’exprimer ».
Le choix de la continuité
« Mais non ! Barack Obama ne me nommera jamais », avait-elle confié à ses amis l’automne dernier. Et c’est bien l’une des rares prévisions de Janet Yellen qui se soit avérée fausse : au palmarès de ses prévisions économiques les plus pertinentes, rien moins que l’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis… Fausse oui, car c’est bien elle que Barack Obama a choisie pour succéder à Ben Bernanke. De vice-présidente, elle devient présidente, et de fait la femme la plus influente du monde. Diriger la Fed, ce n’est pas seulement occuper le poste économique le plus important des Etats-Unis. C’est aussi un poste décisif pour l’économie mondiale, surtout en temps de crise où les banques centrales font la pluie et le beau temps. La réserve fédérale américaine est celle qui imprime les dollars, la monnaie de référence. Ses décisions sont attendues, scrutées, et peuvent avoir des répercussions sur la bourse, les banques, sur toutes les économies qui dépendent du dollar, notamment sur celles des grands Etats émergents.
En tant que vice-présidente, Janet Yellen a été étroitement associée à la politique monétaire ultra-accommodante mise en place par Ben Bernanke depuis l’éclatement de la crise. Elle l’a approuvée, et même partiellement inspirée. La nommer, c’était donc pour Barack Obama, s’assurer de la continuité de la politique menée par son prédécesseur. A elle ensuite de trouver le meilleur tempo pour progressivement resserrer le robinet à crédit, et réduire les programmes de rachats d’actifs réalisés tous les mois par la réserve fédérale américaine sans que cela ne freine la reprise américaine, ou n’entraine une fuite des capitaux investis dans les pays émergents. Exercice d’autant plus délicat que Janet Yellen devra, dans le même temps, assurer les objectifs de la Fed : maintenir la stabilité des prix, stimuler l’emploi et contenir les niveaux des taux d’intérêts à long terme.
Et si certains banquiers d’affaires grognent, si certains sur les marchés doutent qu’une femme, qualifiée de surcroît d’adorable, de gentille et d’exquise, puisse gérer l’économie mondiale, les Américains peuvent a priori remettre leur sort entre ses mains. Janet Yellen est non seulement une économiste que l’on comprend, à la tête bien faite, qui dit et sait ce qu’elle fait, mais elle est aussi considérée comme une colombe, ce qui en économie veut dire qu’elle se préoccupe davantage de l’emploi que de l’inflation. C’est une femme pour qui – elle l’avait dit – « les chômeurs ne sont pas seulement des statistiques ». Et à l’heure où Barack Obama place la réduction des inégalités au cœur de son second mandat, nul besoin d’être prophète pour dire que sa nomination va précisément dans ce sens.
rfi