Dans une interview accordée au quotidien français, «Libération», le 13 juillet dernier, Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’Etudes de Sécurité (ISS) se prononce sur les événements en cours dans le pays. Selon lui, les récentes manifestations sont le résultat de frustrations qui durent depuis plusieurs années.
Pour Ibrahim Maïga, la contestation post-électorale des législatives de mars et avril dernier est venue s’ajouter à un front sociopolitique déjà en ébullition depuis plusieurs mois, sur fond de mécontentement lié à la dégradation de la situation sécuritaire, de la gestion de la crise du Covid-19, de la corruption et de la détérioration des conditions de vie. «Ces manifestations ne sont qu’un épisode de plus contre le pouvoir d’IBK. Ce dernier incarne l’échec de l’Etat et des institutions maliennes. IBK cristallise rancœurs et frustrations. Il est le symbole de ce que les Maliens ne veulent plus dans leur pays», confie-t-il à notre confrère «Libération».
‘’Le fait que le leader de la contestation soit un imam ne donne pas de caractère religieux au mouvement’’
L’annonce de la dissolution de la Cour constitutionnelle par le président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta, ne suffit pas à apaiser les tensions. «Cette décision aurait eu un tout autre sens si elle était intervenue avant le 10 juillet lorsque les forces de sécurité ont franchi la «ligne rouge» avec des violences qui ont provoqué la mort de douze personnes. Désormais, le Président devra aller beaucoup plus loin pour pouvoir instaurer un dialogue, notamment en annonçant, par exemple, la dissolution de l’Assemblée nationale et la révocation du Premier ministre. Ce dernier ne fait pas consensus. La situation n’est pas irréversible mais des décisions fortes doivent être prises».
A la question de savoir si «l’influence grandissante de l’imam Mahmoud Dicko, chef de file de la contestation, est un signal de la montée de l’islam politique au Mali ?», le chercheur répond : «Mahmoud Dicko est un personnage à qui on prête des intentions politiques, une volonté d’appliquer un agenda religieux au Mali.
Mais si on regarde les choses de plus près, son objectif est de répondre à la contestation sociopolitique et d’améliorer la gouvernance du pays. Le fait que le leader de la contestation soit un imam ne donne pas de caractère religieux au mouvement. Les revendications sociales, politiques, économiques et sécuritaires vont bien au-delà».
A ses dires, l’Imam Mahmoud Dicko, présent sur le devant de la scène politique depuis trois décennies, en appelant au calme à plusieurs reprises, a renforcé sa stature d’homme de paix aux yeux de la population malienne et de la communauté internationale, qui le suspecte d’avoir un agenda qui n’est pas celui d’un Mali laïc et républicain. «Son discours s’adresse autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. La posture qu’il adopte aujourd’hui est de jouer un rôle dans le nouveau Mali qui est en train de se dessiner, sans nécessairement devenir président de la République. Son objectif est de solidifier son influence et de faire en sorte qu’aucune grande décision ne se fasse sans qu’il soit consulté».
Sur la position de la CEDEAO, de l’Union africaine, de l’Union européenne et des Nations Unies au Mali, le chercheur de l’ISS estime que la stabilité politique reste la boussole de la communauté internationale, qui souhaite préserver le Mali du risque d’un vide institutionnel. «Elle fera tout pour trouver des aménagements politiques afin de ne pas reproduire les erreurs de 2012, lorsque l’instabilité avait facilité la prise en main de certaines villes du nord par les groupes armés», souligne-t-il.
A en croire Ibrahim Maïga, le mouvement actuel de contestation n’a pas d’équivalent depuis l’avènement de la démocratie, en 1991. Pour lui, «le fait que d’anciens acteurs du mouvement démocratique s’opposent entre eux aujourd’hui, montre par ailleurs un tournant majeur dans la vie politique malienne».
Chiaka Doumbia
Source : Le Challenger