Le Premier ministre, Moussa Mara a annoncé jeudi dernier la tenue d’un grand procès en novembre pour juger « les délinquants financiers ». Cette déclaration du Premier ministre suscite des interrogations sur les motivations réelles du gouvernement quant à l’organisation en grande pompe de ce « grand procès » et le respect effectif de la séparation des pouvoirs comme il sied en toute véritable démocratie. En voulant prendre de vitesse les bailleurs de fonds, s’achemine-t-on vers un procès politique, un règlement de compte où la justice du vainqueur, comme il est de mode dans la sous région ?
Le président IBK a déclaré l’année 2014 l’année de lutte contre la corruption. Mais, malheureusement en fait elle a terni l’image du pays. Qui aurait cru à une telle mauvaise gouvernance de l’ère IBK, surtout que ses partisans ne cessent de qualifier des régimes précédents de tous les maux d’Israël ?
Il a fallu la révélation et la dénonciation dans la presse du scandale des conditions obscures de l’achat de l’avion de commandement présidentiel ; comme de l’achat des équipements et matériels militaires, idem pour la passation de marché gré à gré, pour que la Banque mondiale, le FMI et l’Union européenne interpellent le gouvernement malien.
Après les enquêtes et les audits, les partenaires financiers ont mis les autorités légales et légitimes du Mali au banc des accusés de la corruption, de la surfacturation, de la passation douteuse des marchés, de connexions mafieuses, bref de la mauvaise gouvernance.
Les partenaires qui avaient mis en veilleuse leur aide, ont exigé que les rapports de l’audit de conformité et de régularité de l’acquisition de l’avion de commandement du président IBK et des équipements et matériels et celui relatif à la vérification de conformité et de performance de l’acquisition d’un aéronef et des fournitures, aux Forces Armées Maliennes, de matériels d’habillement, de couchage, de campement et d’alimentation (HCCA) ; ainsi que de véhicules et de pièces de rechange soient publiés.
Le rapport de la Cour suprême, sur l’audit de conformité et de régularité de l’acquisition de l’avion de commandement du président IBK et des équipements et matériels militaires, atteste la mauvaise gouvernance, de même le rapport provisoire du Vérificateur général. Les partenaires financiers du Mali demandent à l’Etat de sanctionner les fautifs.
C’est dans cette mouvance que le Premier ministre a annoncé la tenue du grand procès, lors de la table ronde sur la bonne gouvernance, la transparence et le développement, co-organisée par Transparency international, l’IHEM, la Fondation forum Bamako et Frederich Elbert Stiftung.
En annonçant la tenue du grand procès en novembre 2014, avant même les tribunaux, qui sont chargés de fixer la date ne se prononcent, le Premier ministre, Moussa Mara, a franchi allégrement un pas de trop. Une telle annonce sied à la justice, après qu’elle soit saisie des différents dossiers. Même s’il avait été informé par la justice de la tenue du procès à telle date, il devait lui laisser la primauté de l’annonce. Le gouvernement, son rôle à lui, c’est notamment d’appliquer les lois. Cela au nom de la théorie de la séparation des pouvoirs.
Si ce n’est pas la justice qui a fixé le mois de novembre, le gouvernement veut alors exercer des pressions sur la justice afin que celle-ci juge ces affaires. Si tel est le cas, on va assister à un procès politique, à un règlement de comptes synonyme de justice du vainqueur.
Cela ne surprend guère aujourd’hui, car on a déjà assisté à plusieurs libérations extrajudiciaires des jihadistes et à la levée de mandats d’arrêt décernés par la justice contre des rebelles du nord coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Le Premier ministre gagnerait la confiance des uns et des autres, surtout des bailleurs, s’il avait démissionné après que son gouvernement ait été épinglé pour corruption, surfacturation, passation de marché gré à gré, trafic d’influence, etc. A défaut de démissionner, il devait se battre pour limoger au moins ses ministres qui sont cités dans ces malversations, pour ne pas continuer à tenir l’image du gouvernement.
Ces ministres doivent suivre l’exemple de Soumeylou Boubèye Maïga, qui a démissionné après les événements du 17 et 21 mai 2014 et demandé l’ouverture d’une enquête parlementaire pour situer les responsabilités.
Cette annonce de Moussa Mara nous rappelle la déclaration du Premier ministre de pleins pouvoirs, Cheick Modibo Diarra, au début de la transition. Lui aussi avait tenté de se substituer au peuple souverain du Mali, en déclarant qu’il allait organiser les élections et remettre le pouvoir à une nouvelle génération. Seul le peuple décide à travers son vote à qui remettre le pouvoir et non un Premier ministre.
Ahmadou Maïga