La crise que traverse le pays depuis 2012 a révélé des femmes qui ont refusé de se plier aux desiderata de l’occupant. Si de nombreuses femmes se sont déplacées pour se soustraire de la violence des mouvements armés au Nord, beaucoup d’autres sont restées et ont participé à la résistance au côté des hommes et des jeunes contre les occupants.
Nous sommes allés à la rencontre de ces résistantes de Gao qui ont, à un moment très critique, tenu tête au MUJUAO, bravé l’insécurité et la peur pour sauver la vie des femmes enceintes et les nouveau-nés ou permettre aux enfants d’aller à l’école.
Mme Touré Ouleymatou Maïga et Mme Touré Hani Touret sont des exemples emblématiques des dames de courage de la Cité des Askia. La première est professeur spécial d’enseignement général et directrice du Centre d’animation pédagogique de Gao (DCAP). La seconde est une sage-femme à la retraite.
Mme TOURE OULEYMATOU MAIGAo, L’ENSEIGNANTE
Cette ancienne basketteuse se souvient encore de ce fameux 31 mars 2012 où sa ville fut occupée par les mouvements rebelles et djihadistes. Ce jour là, il était 8 heures du matin quand cette native de Gao en partance pour son bureau, a dû rebrousser chemin pour fuir les violences. Dans un premier temps, se souvient-elle, la population gaoise est restée cloîtrée chez elle en attendant la suite des évènements.
Hélas, il n’y avait malheureusement pas de répondant venant de Bamako. Au début de l’occupation, les élèves étaient en congé de Pâques. Mais à la fin des congés, les écoles sont restées fermées. C’est là que notre DCAP prendra son courage à deux mains, avec l’aide du chef de division des examens et de concours de l’académie, pour rouvrir les classes. «Les enfants ne devaient pas être victimes de cette absurdité. Ils devaient donc continuer leurs études. Mon rôle en tant que mère, enseignante et citoyenne était de faire en sorte que l’avenir des enfants ne soit pas hypothéqué. Pour cela, il fallait qu’ils reprennent le chemin de l’école», explique Mme Touré.
Les radios de Gao seront mises à contribution pour informer les élèves et leurs parents, ainsi que les enseignants du fondamental, du secondaire général et du secondaire technique, de l’ouverture des classes. Heureusement, les enseignants ont répondu présents. Et sans aucune forme de négociation, les classes furent ouvertes le 24 avril 2012. «Nous avons organisé la reprise des cours dans tous les cycles», raconte Mme Touré Ouleymatou.
Il faut rappeler que le CAP de Gao compte 5 communes, dont 2 habitées par les nomades. Dans trois communes, les écoles ont été ouvertes du 1er au second cycle. Dans la commune de Gao, toutes les écoles étaient ouvertes à part celle du camp militaire.
C’est avec l’aide du cadre de concertation que les enseignants ont pu contacter les responsables du MUJUAO pour leur faire comprendre qu’au delà de tout, ils ne devraient pas prendre en otage l’avenir des enfants. Sensibles à cet argument, les djihadistes ont même donné leur contribution pour le démarrage des cours. Cependant, ils avaient exigé à ce que les filles et les garçons soient séparés. Ce qui était impossible ! La stratégie trouvée par notre DCAP était de faire des rangées des filles et des garçons. «Je passais souvent pour contrôler l’habillement des jeunes filles pour que les djihadistes ne trouvent motif à réprimander. Aussi, on devait veiller lors des récréations à faire sortir d’abord les garçons. Les filles suivaient 5 minutes plus tard. Tout cela pour que garçons et filles ne se mêlent point. Pendant ce temps, en tant que femme, on m’interdisait de me réunir avec les enseignants. Donc, c’était toujours dans la clandestinité que j’organisais mes rencontres avec ceux-ci », se souvient encore Mme Touré qui fera valoir ses droits à la retraite en décembre prochain.
Pour la petite histoire, un jour alors que notre DCAP se rendait en compagnie de quelques enseignants à Haoussa Foulane, les djihadistes l’ont fait descendre du véhicule. C’était en effet, une provocation de trop pour le MUJUAO qui interdisait tout regroupement entre les hommes et les femmes. «Comment une femme ose se montrer en compagnie des hommes dans une voiture. C’était inadmissible et méritait une punition», ont estimé les occupants. Afin de la punir pour cette bravade, Mme Touré Ouleymatou devait poireauter sous un arbre pendant 4 heures et chercher un autre moyen pour regagner son domicile.
Mais le ministère de l’Education demandera par la suite la fermeture des écoles sous prétexte que les enfants étaient en danger. La DCAP s’est opposée à cette décision avec l’aide du cadre de concertation. Au moment des examens, notre brave dame avait pu convaincre les occupants de sécuriser les écoles. Mais l’ordre viendra de Bamako d’organiser plutôt les examens à Mopti, non dans une ville occupée.
Ainsi commença pour notre DCAP une autre bataille : convaincre les parents de laisser partir les enfants surtout les filles, faire les examens à Mopti. L’une des conditions posées par les parents était que Mme Touré accompagne les enfants. «Les inquiétudes des parents étaient normales ; nous étions en insécurité totale. Il y avait parmi ces enfants, des gens qui n’avaient jamais voyagé », souligne notre interlocutrice.
En 2013, après la reconquête des villes occupées, la DCAP a continué ses efforts avec l’aide des partenaires au développement comme Save the children, l’Unicef et le PAM qui ont accompagné les écoles pour maintenir les enfants en classe. « C’est sur cette lancée qu’on se trouve actuellement. Le CAP de Gao est dans l’urgence jusqu’au moment où je vous parle. On attend toujours que nos bureaux soient réhabilités. En réalité, rien ne va encore. Nous n’avons pas de services financiers sur place ; ce qui rend difficile notre fonctionnement », souligne la DCAP.
Aujourd’hui, avec la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation, Mme Touré souhaite que l’Etat prenne ses responsabilités pour faire cesser l’impunité. Car, dit-elle, après la crise, il a été demandé aux enseignants de rejoindre leurs postes, mais jusqu’à présent cela n’est pas effectif. « Ils sont absents et sont payés sur le budget national. J’ai voulu prendre des dispositions de suspension de salaires, mais l’Etat n’a rien voulu comprendre», déplore-t-elle.
A quelques mois de sa retraite, Mme Touré Ouleymatou même si elle ne veut rien laisser paraître, s’en va déçue. Et pour cause ! Depuis deux ans, l’Etat refuse de payer le reliquat des frais d’organisations des examens, estimé à environ 4 millions de Fcfa pour l’année scolaire 2013-2014 et ceux de 2014-2015.
Mme TOURE HANI TOURET, SAGE-FEMME A LA RETRAITE
Elle a permis de sauver de nombreuses vies à Gao pendant l’occupation. Les femmes et les enfants, restés sur place, se sont retrouvés sans assistance et livrés au bon vouloir des combattants du MLNA et des djihadistes. Les agissements des occupants ont plongé cette ville bouillante dans le silence. « Ce silence m’a poussée à méditer. J’étais convaincue qu’on devait prendre notre destin en main en attendant un lendemain meilleur », explique la sage-femme à la retraite. Que faut-il faire pour sortir sa région de ce désastre ? Elle ne tardera pas à avoir une réponse. Sa première idée était déjà de rouvrir le Centre de santé de référence de la ville (CSRF) qui a été saccagé et pillé.
Elle se servira des radios pour appeler les sages-femmes, les infirmiers et les infirmières, les médecins à reprendre le travail. La population a, quant à elle, été priée de rendre les matériels emportés dans la maternité. Ils étaient nombreux les hommes de la santé à répondre à l’appel de notre sage-femme. «Je leur ai expliqué qu’il s’agit de dépasser notre peur et de venir faire notre travail qui est de secourir les femmes enceintes et leurs bébés», se souvient notre interlocutrice.
Pendant ce temps, notre brave femme a pu récupérer quelques matériels nécessaires au travail à savoir des tables d’accouchement, celles des consultations et des chaises. «C’est ainsi que nous avons commencé à travailler. On menait toutes les activités, même le planning familial. Cela avec tous les risques, car le MUJAO était farouchement contre cette pratique», rappelle Mme Touré Hani qui travaillait avec son équipe jusqu’à 18 heures quotidiennement. Ils ne pouvaient pas aller au-delà, car il n’y avait pas d’électricité. En effet, l’équipe humanitaire travaillait avec peu de moyens, sa seule motivation était la cause des mères et les bébés.
Forte de cette expérience, Mme Touré Hani regroupera aussi les femmes leaders de la région pour agir ensemble afin de dénoncer et de lutter contre les atrocités, dont elles ont été victimes par les djihadistes et les autres groupes armés. Ainsi naîtra l’Association des femmes non déplacées de Gao. Elles seront formées sur les violences basées sur le genre en cachette sous occupation par l’ONG Greffa.
Avec les autres, Hani commencera les investigations pour recenser, venir en aide et dénoncer les atrocités, dont les femmes ont été victimes. « Notre association avec le cadre de concertation et le mouvement des jeunes a tenu la résistance en jouant un rôle de garde-fou entre la population et les mouvements armés », lance fièrement notre interlocutrice qui se réjouit de la signature de l’accord de paix et invite l’Etat à rester vigilant au risque de voir l’histoire se répéter.
Pour ses actions de résistance à l’occupation, Mme Touré Hani n’a reçu aucune reconnaissance de la part de l’Etat. Les personnes qui ont risqué leur vie à porter assistance à la population, méritent un peu plus d’égard pour leur apport au maintien de l’unité nationale.
M. A. TRAORE
source : L’ Essor