Le forum de Kidal a été organisé par la CMA à l’absence notoire de la Plateforme, avec laquelle elle a cheminé, ces derniers temps, pour le service de la paix, et celle de l’État qui a financé les activités. Nul ne sait les motivations qui s’en cachent, mais la tenue de ce forum, annoncé au début comme celui des retrouvailles nationales, sous la seule tutelle de la CMA, ressemble à une trahison à la cause de la paix.
Pour la cause de la paix, le forum de Kidal, tant attendu par les nombreux acteurs engagés dans le processus de paix au Mali, aurait pu être celui des retrouvailles nationales, regroupant, outre les partenaires internationaux, les acteurs du pays, notamment les représentants de la CMA, la plate-forme, l’État et différentes sensibilités maliennes. Pour la cause de la paix. En tout cas, dès le début de ce rassemblement, il y a quelques semaines, annoncé comme étant le prolongement de la rencontre d’Anéfis, à travers laquelle, en faveur du nouveau contexte sécuritaire de Kidal, où CMA et plateforme se retrouvent dans le cadre d’une cogestion voulue de la ville, cette localité, longtemps restée retranchée de l’ensemble national, allait amorcer son retour vers le giron du pays.
Eh bien ! Erreur : ce ne fut pas le cas. Débuté avant-hier, dans un air de polémique, le forum de Kidal ne réunit que les seuls représentants de la CMA, côté malien, qui n’ont pas hésité d’entamer officiellement le démarrage de ses activités avec une nouvelle atmosphère de rupture totale vis-à-vis des acquis en faveur de la paix ; acquis ayant mobilisé de nombreux efforts, tant nationaux qu’étrangers, en faveur de cette paix retrouvée. Et pour cause ? Au moment où les représentants les plus radicaux des mouvements armés de Kidal, au plus fort de la crise malienne, eux-mêmes reconnaissent, lors des pourparlers consacrés à l’accord de paix, qu’il ne s’agit plus d’indépendance, ni de division du Mali, d’autant qu’il plus s’agit des fils d’un même pays, le soi-disant président du forum de Kidal, Alghabass Ag Intalla, membre influent de la CMA, parle, lui, dans son discours d’ouverture officielle de l’événement, des « populations de l’azawad ». En faisant allusion directement, dans un langage officiel, devant des représentants de la communauté internationale, comme la Minusma, les forces Barkhane, aux « jeunes de l’azawad », aux « femmes de l’azawad » et aux « populations de l’azawad », comme au plus mauvais temps de la déchirure conflictuelle, le président du forum de Kidal se met ouvertement à contrecourant de l’accord de paix qui est, on le sait, l’aboutissement de nombreux efforts de paix, visant simplement à rendre le Mali indivisible, uni et laïc.
Il l’a dit sans se sourciller : « Il y a encore des zones dans l’azawad où les populations ont des difficultés réelles pour se mouvoir. Ceci doit être rapidement traité par la CMA et la plateforme pour que la libre circulation des personnes et des biens soit une réalité dans tout l’azawad. C’est le lieu de rappeler que ce forum avait été convenu entre la CMA et la plateforme pour parachever cette dynamique de réconciliation chèrement acquise et soutenue par le gouvernement du Mali et la communauté internationale ». Il est clair qu’en l’absence des autorités nationales, qui ont justement bien senti le coup pour éviter pareilles surenchères contextuelles, les représentants d’autres structures internationales, parties prenantes du processus de paix au Mali, à l’image de la mission onusienne et des forces Barkhane, n’ont pas pour vocation d’aller en contresens de l’accord de paix.
On le voit bien, l’allusion directe et osée que le président du forum de Kidal, le fameux Alghabass Ag Intalla, qui n’est pas pourtant étranger à l’évolution sécuritaire de cette ville et les énormes efforts déployés par le gouvernement en la matière, à « l’azawad » dont il a attribué à l’opposer à l’ensemble national, est une grave et dangereuse trahie à la cause de la paix que nul autre acteur, présent à ce rendez-vous, en dehors des membres de la CMA, ne saurait cautionner, à l’état actuel de l’évolution sécuritaire de la ville. En dehors du fait qu’il crédibilise l’attitude de l’État, de prendre ses distances vis-à-vis du forum, alors même qu’il y a contribué à coup de centaines de millions de nos francs pour son organisation, et également de la plateforme dont des responsables ont co-organisé l’événement avec la CMA, le discours hors de propos du président du forum, Alghabass Ag Intalla, est aujourd’hui facteur de démobilisation généralisée des populations maliennes sur les initiatives de réconciliation nationale. Il est d’autant plus évident qu’une entreprise de réconciliation nationale, comme les organisateurs du forum de Kidal ont initialement souhaité, ne peut déboucher aujourd’hui sur la cause de la paix sans la nette participation des populations maliennes, d’où qu’elles viennent, indépendamment du clivage idéologique et géographique.
Et c’est bien ce genre du discours officiel, prononcé par le président du forum, Alghabass Ag Intalla, lors de ce rassemblement, qui met le feu aux poudres d’autant qu’il est de nature à désemparer les populations, les seuls bénéficiaires du fruit de la paix, lesquelles peuvent facilement s’en détourner, car servies par des messages à la fois creux et inappropriés d’un tel acteur national du processus de paix qui souffre à la fois le chaud et le froid.
Pour la bonne cause en faveur de la paix, dans la perspective de minimiser les facteurs qui menacent l’accord de paix d’atteindre son plein régime, pouvant être imputables à la responsabilité individuelle ou collective, comme ce coup-ci avec le président du forum de Kidal et son discours à contresens de la marche vers la paix, il est impératif, comme le consacrent certaines dispositions de ce même accord de paix, que la communauté internationale, à travers le conseil de sécurité de l’ONU, puisse veiller aux manquements en faveur de la cause de la paix. En prenant toutes ses responsabilités, dans le sens des résolutions fermes, en vue de prévenir et d’empêcher les obstacles contre le processus de paix, désormais enclenché au Mali.
Sékouba Samaké
Source: info-matin