Dans cette interview, Madame Diallo Fatoumata Sangaré, fervente combattante contre les mutilations génitales féminines à Kayes, dresse le bilan de la lutte de son organisation.
Selon l’enquête démographique de santé (EDS), qui se fait chaque trois ans et dont la dernière remonte à 2013, Kayes est en tête de peloton de toutes les régions du Mali avec 98%, quant à la pratique de l’excision. Pour Madame Diallo Fatoumata Sangaré, Coordinatrice de l’Association malienne pour le suivi et l’orientation des pratiques traditionnelles (AMSOPT) à Kayes, il s’agit là d’une régression sur le chemin du combat pour l’abandon.
Benbere : L’excision demeure toujours une réalité à Kayes et au-delà. Comment évolue le combat contre la pratique que mène votre ONG ?
Fatoumata Sangaré : C’est toujours un sujet sensible et un tabou dans notre société que nous traitons au quotidien. Nous menons des campagnes de sensibilisation et d’informations sur les conséquences liées à l’excision auprès des communautés villageoises pour qu’elles l’abandonnent. Pour le moment, nos champs d’interventions sont les villages de la région de Kayes.
A ce jour, combien de villages ont abandonné l’excision ?
De 2006 à maintenant, c’est plus de 300 villages qui ont été touchés par nos activités. Récemment, nous avons enregistré 80 nouveaux villages qui ont décidé, volontairement, d’abandonner les mutilations génitales. Certains sont engagés à 100%. Nous avons obtenu ces résultats grâce à l’efficacité du travail auprès de ces communautés.
Comment arrivez-vous à les convaincre ?
Les abandons n’ont jamais été en échange de quelque chose. Elles ont juste pris conscience des méfaits liés à la pratique. C’est tout.
Les victimes de complication sont-elles prises en charge ? Comment savent-elles que les complications de santé qu’elles subissent souvent sont liées à l’excision ?
Oui, les prises en charge sont gratuitement offertes par l’AMSOPT une fois que les victimes sont identifiées. Mais, nous ne sommes pas des agents de santé. Ce sont les médecins qui certifient que ces complications sont liées à l’excision ou pas. Et concernant les victimes que nous aidons, selon les médecins, c’est le cas.
Est-il arrivé une fois que des communautés ayant publiquement abandonné fassent volte-face ? Que faites-vous face à ces cas de figure ?
Nous avons eu ces cas, mais c’est rare. Parfois, certains villages un peu mitigés abandonnent et reprennent sous l’influence de certaines personnes qui mentent sur la réalité des conséquences de l’excision.
Grâce à nos missions de suivi, nous arrivons à maintenir ces villages à leur statut d’abandon, même si c’est difficile pour ces communautés villageoises. Quant aux exciseuses, elles évoquent le respect de leur culture ancestrale qui ne date pas de nos jours. A force d’être rattachées aux pratiques d’un autre âge, certaines communautés campent sur leur position quand il s’agit des coutumes et des aspects religieux. C’est leur façon à elles de comprendre de cette manière.
Que dites-vous aux personnes qui sont réticentes quant à l’abandon de la pratique de l’excision ?
Ce n’est pas facile, mais nous sommes confiants qu’un jour elles comprendront les inconvénients. Aujourd’hui, ce sont les victimes elles-mêmes qui mènent avec nous ce combat. Les personnes dont vous parlez l’accepteront tout simplement. Ces difficultés existent, mais pour autant, nous ne baissons pas les bras. Il faut que ces personnes sachent que ce qui marchait hier ne le peut pas forcément aujourd’hui. Les choses ont évolué, et il est temps d’arrêter l’excision qui fait trop de mal aux filles. Mais c’est ensemble qu’on y arrivera.
Les autorités locales vous accompagnent-elles dans ce travail ?
Oui, elles sont nos piliers et d’un apport capital dans tout ce que nous faisons. N’oubliez pas que nous sommes là pour la mise en œuvre ou du moins appuyer un Plan d’action national de lutte contre l’excision déjà élaboré par le gouvernement. Toutes nos visions sont en lien avec ce plan d’action national pour atteindre l’objectif commun. Elles nous facilitent la communication auprès des communautés, car leur voix porte.
Source: Benbere