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Fatoumata Keita, auteure de la trilogie , “Sous fer”, Quand les cauris se taisent ” et “les mamelles de l’amour” : “Pour ouvrir la porte de la liberté, je suis devenue écrivaine”

Pourtant titulaire d’une maitrise en socio-anthracologie et d’un DEA en socio-économie du développement, Fatoumata Kéïta a su tracer son chemin dans la littérature. Romancière, nouvelliste, poétesse, essayiste, elle est ouverte à d’autres genres intermédiaires comme la plusique (poésie déclamée sous fond musical). Elle est auteure de la tarologie composée de “Sous fer”, “Quand les cauris se taisent” et “Les mamelles de l’amour” publiée chez la Sahélienne. Nous nous sommes entretenus avec Fatoumata Kéïta autour ces trois ouvrages qui reflètent la société malienne, le poids de ses traditions ainsi que la condition de la femme. Lisez plutôt !

Aujourd’hui-Mali : Parlez-nous de votre trilogie !
Fatoumata Kéïta : Tous les trois livres parlent des faits et phénomènes sociaux qui déterminent nos rapports dans la société malienne ou modifient les liens sociaux. Les thèmes brûlants tels que l’excision, le mariage monogamique, le mariage polygamique dans des contextes différents, l’immigration, l’ailleurs, le chez soi, le lévirat, le veuvage… y sont abordés. D’autres thèmes comme l’amour, l’amitié, les relations parents-enfants, les relations professionnelles, la mort, la solidarité familiale, sociale autour des problèmes de survie, ont une place dans ces ouvrages.
Ma trilogie est une mise en scène de différents types de femmes, dans différents contextes de vie, avec des problèmes différents, des ressources et des visions différentes. Nous y avons également des hommes assez progressistes ou machistes (Bafing) selon qu’il s’agisse de leurs filles ou de leurs épouses. C’est pourquoi il est important de réfléchir à la condition de la femme en la mettant en lien avec le bonheur humain. Aucun homme, le plus machiste, le plus misogyne qu’il soit, ne sera jamais heureux en voyant sa fille ou sa sœur maltraitée ou violentée par son époux ou son compagnon. C’est pourquoi, j’aime à dire qu’il est plus sage de parler de condition humaine à la place de la condition des femmes. Car où la femme n’est pas bien dans sa peau, l’homme ne le sera pas. Et réciproquement. Nos enfants, filles ou garçons, ont tous besoin de bonheur. Quand l’un d’eux est malheureux, fille ou garçon, notre bonheur sera incomplet.
Pourquoi le choix de la trilogie ?
Le choix de la trilogie parce que toute l’histoire ne pouvait être racontée dans un seul ouvrage. D’ailleurs, même avec la trilogie, l’histoire n’est toujours pas finie. Je crois que j’écrirai un dernier ouvrage pour fermer les parenthèses ouvertes dans le dernier roman “Les mamelles de l’amour”.
Nous relevons une image multiforme de la femme dans votre trilogie (femme battante, soumise…), alors quel est le message que voulez faire passer dans ces ouvrages ?
Oui dans ma trilogie, des images multiformes de la femme sont mises en exergue : la femme battante, comme Fata et Tenin, la femme soumise comme la mère de Titi ou soumise par la société, comme Titi essayant de supporter la polygamie en un premier temps et comme la coépouse de Sanaba. Ensuite l’image de la femme rebelle (que j’aime) qui porte sa foi en l’autonomisation acquise grâce à l’instruction et au travail, comme Sanaba, Tenin et Titi en un deuxième lieu et enfin la femme amante et aimante, capable de se laisser mourir d’amour, sensible et fragile comme Nana.
Et enfin la femme amoureuse malgré sa rébellion, malgré son aspiration, malgré son combat et son envie d’avancer dans la vie, Titi, que j’offre comme exemple à mes futures et meilleures lectrices. Non pas comme exemple à suivre, mais comme pour leur dire : “Faites attention de ne pas avoir à vivre l’expérience de Titi”. Comme pour leur dire : “Un homme qui vous aime vous aidera à vous épanouir, à avancer. Il ne sera pas un frein à votre éclosion, en vous retenant à la maison, après que vous ayez fait des études comme lui.”
Je voulais faire comprendre qu’il n’y a pas lieu de généraliser l’image de la femme. Ceux qui disent “Les femmes” sont comme-ci ou comme ça se trompent. Il faut dépasser les généralisations. Il y a la femme, chacune avec son atout, son tempérament, ses prédispositions, son potentiel, ses forces et ses faiblesses, sa vision du monde…. Elles sont différentes les unes des autres. C’est la même chose que je dis aux femmes qui disent “les hommes sont mauvais”. Je réplique à celles-ci “Tous ne peuvent être mauvais. Comme tous ne peuvent être définitivement et totalement mauvais. Dans chacun de nous existe une part d’ombre et de lumière”. C’est cette différence qui fait que la polygamie n’est pas un problème pour les unes, comme Sanaba la mère de Kary et sa coépouse, d’autres comme la mère de Titi se résignant à la supporter, tandis qu’elle tue d’autres femmes et les poussent à la folie (comme Titi). Par contre elle incite certaines à aller réveiller leur rêve d’indépendance, à explorer leurs potentiels cachés, à avancer en apprenant à compter que sur elles-mêmes (comme le cas de Ténin). On a un choix à faire dans ce lot.
Le message que je veux faire passer avec cette multitude de situations, c’est que chaque femme est unique en son genre et les mettre toutes dans un sac pour revendiquer pour elles ce qu’on croit être leur droit commun est une erreur. Il faut faire une catégorisation pour donner à chaque catégorie ce dont elle a besoin pour son épanouissement, pour son bonheur. Une femme rurale sera mécontente si les femmes urbaines se battaient pour faire cesser le lévirat, de même qu’une femme qui ne se suffit pas à elle et qui n’a pas la volonté de se battre seule pour se prendre en charge.
De même pour une femme qui cherche coûte que coûte un mari, elle ne va pas être heureuse si l’on interdisait la polygamie. Il faut être réaliste. Certes, la polygamie est une histoire de rapport de force imposée par les hommes qui ont été les premiers à décider pour tous, mais le jour où aucune femme ne voudra être la deuxième épouse ou la 3e voire la quatrième, elle n’existera plus. Ce n’est pas une question de religion ! L’Islam a dit et contredit la possibilité d’être polygame. La preuve est que la polygamie est interdite en Tunisie depuis 1957. C’est le choix des hommes à l’être, pour ceux qui veulent l’être, c’est tout. Il ne faut faire assumer ce choix à une religion!
L’histoire relatée dans votre trilogie s’inspire-t-elle d’un fait réel ?
Il y a toujours quelque chose de créé sur quelque chose de réel dans une œuvre de fiction. Même si elle part de quelque chose de réel, cela ne peut empêcher d’avoir une part de l’imaginaire. En matière de production d’œuvre romanesque, réel, imaginaire et rêve se conjuguent.
Qu’est ce vous a motivé à devenir écrivaine ?
Pour ouvrir la porte de la liberté, je suis devenue écrivaine. La liberté n’est pas chose courante dans notre culture. Mais avec l’écriture, j’ai découvert qu’il n’y a pas un espace où la liberté peut mieux s’exprimer que sur une page blanche.
Un message à l’endroit de la jeunesse par rapport à l’écriture ?
Je demande aux jeunes de croire en eux. Personne ne leur donnera rien qu’ils ne puissent avoir par eux-mêmes. La confiance en soi, en ses capacités et en ses rêves est utile pour aller jusqu’au bout du chemin voulu. Je dis donc aux jeunes : croyez en vous-mêmes, en vos rêves. Je leur dis : ne cessez jamais de rêver de vos rêves et de chercher à les arroser. A force d’arroser une pierre, elle finit par fleurir. Chercher à arroser ses rêves, c’est simplement y croire et y adjoindre de l’action pour en faire une réalité. Si tu n’œuvres pas pour réaliser tes rêves, tu aideras d’autres à réaliser les siens. Le rêver-agir transforme la vie. Mais le socle de tout cela, c’est de se préparer pour faire face à l’avenir, c’est de se munir de compétences qui aideraient à bâtir la maison rêvée, c’est-à-dire le projet qui nous tient à cœur. Et pour avoir des compétences, il faut apprendre, à l’école, dans les livres, au niveau informel, avec le voisin, le collègue, partout où l’on peut. Il ne faut pas se borner à croire que seule l’université pourra nous aider à trouver votre voie. Surtout quand l’université devient un chemin stérile, un cul de sac, dans notre contexte.
Réalisé par Youssouf Koné

 Aujourd’hui-Mali

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