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Entre l’Accord pour la paix et la forme de l’Etat : la question de l’avenir de la IIIème République du Mali reste posée.

D’autres nous diront qu’il s’agit d’un jugement d’intention. Mais, en exprimant notre opinion, nous espérons qu’ils se donneront la peine de partager avec nous leurs pensées sur la question. Pour notre part, la finalité recherchée n’est rien d’autre que de fournir aux citoyens une description et une explication susceptibles de rendre la compréhension de l’environnement politico-juridique malien accessible au commun des mortels.

L’Accord pour la paix, qui continue de diviser l’opinion publique malienne, ne comporte-t-il pas des signes annonciateurs de la fin du « temps constitutionnel » de la  IIIèmeRépublique du Mali ? C’est avec cette question que nous tenterons d’apprécier l’avenir de la Constitution de 1992.

La question apparait dans les rapports entre l’Accord et la forme actuelle de l’Etat du Mali et trouve une justification dans le préambule et l’Annexe 1 de l’Accord. Non seulement, la reconstruction de l’unité nationale sur des bases novatrices a été reconnue et affirmée comme « une conviction » des parties signataires dans son préambule, mais aussi, la période intérimaire indiquée dans l’Annexe 1 confirme qu’elles ont trouvé un compromis sur ce qu’il convient d’appeler « l’œuvre de réconciliation des maliens » autour d’ « un Mali nouveau, démocratique et uni grâce…à la promotion de la paix, de la démocratie et de l’acceptation de la diversité culturelle ».

Prévue pour une durée allant de 18 à 24 mois, cette période devrait permettre au « Mali actuel » d’adopter « des mesures règlementaires, législatives, voire constitutionnelles nécessaires » à la mise en place de la nouvelle « architecture institutionnelle ». En effet, même si elles n’ont pas été adoptées suivant ce que David DYZENHAUS considère comme étant la « compulsion de la légalité », en ayant recours au droit qui les prévoit, notamment, à l’article 50 de la Constitution du 25 février 1992, ces mesures ont été déclarées « exceptionnelles » et, à ce titre, elles sont mises en œuvres par les pouvoirs publics maliens pour parvenir à un retour effectif de l’administration dans les régions du Nord. Il faut le reconnaitre, c’est une étape cruciale pour le retour définitif de l’ordre constitutionnel.

Rétrospectivement, de l’Acte fondamental proposé par le CNRDRE, en passant par les trois accords pour arriver à l’Entente du 16 juin 2016, on s’aperçoit que l’avenir de la IIIème République reste une question en quête de réponse. En d’autres termes, dans quel état l’ordre constitutionnel de notre pays connaitra-t-il un retour définitif ? Un ordre novateur ou un ordre rénovateur ? Un ordre qui innove ou un ordre qui rénove ?

La réponse est loin d’être évidente. La question peut paraitre même anodine si l’on refuse d’admettre la différence qui existe entre la « novation » et la « rénovation ». Tout comme « la révision » de la Constitution s’éloigne de « sa modification » par l’amélioration du texte constitutionnel qui est l’objectif visé par la première, la rénovation de l’unité nationale marque également une différence notoire avec sa novation. Certes, elles conduisent toutes à un changement et se réalisent par un acte de reconstruction mais, dans le cadre de la rénovation il convient de retenir qu’il s’agit d’un « changement en mieux ».

En admettant que la mise en œuvre de l’Accord apportera un changement au système de gouvernance institué par la Constitution de la IIIème République, on peut reformuler autrement la question. On se demande si les bases novatrices sur lesquelles les autorités maliennes comptent reconstruire l’unité nationale, y apporteront ou non un changement en mieux ? Face au changement du système de gouvernance, la République du Mali, telle que définie par la Constitution du 25 février, risque-t-elle à son tour de connaitre un changement ? Si oui, comment peut-on atteindre les objectifs de cette reconstruction sans que cela puisse déboucher sur une violation ou tout au plus un « anéantissement de la Constitution » ?

En tous les cas, on ne doit jamais oublier que le Peuple souverain du Mali, après avoir affirmé « sa volonté de préserver et de renforcer les acquis démocratiques de la Révolution du 26 mars 1991 », s’est engagé solennellement à « défendre la forme républicaine et la laïcité de l’Etat ». Une obligation constitutionnelle, elle ne peut, suivant les dispositions de l’article 118 de la Constitution, faire l’objet d’une révision. En effet, le respect de la forme républicaine s’impose au pouvoir de révision et c’est cette prescription que la Cour constitutionnelle tente d’ailleurs de traduire, du moins implicitement, lorsqu’elle apporte une précision sémantique au terme « novation ». Dans son avis n° 12-002 du 13 mars 2012, la Cour observe que la disposition du projet de Loi constitutionnelle, n° 11-056/AN-RM du 02 août 2011, qui préconisait que la révision « n’emporte pas novation de République », doit intégrer le mot changement à la place du mot novation.

Dès lors, le jugement scientifique que l’on attend porter sur l’avenir de la IIIème République sera basé sur l’hypothèse suivante :

1_ Si cette proposition de norme du juge constitutionnel malien qui consiste à faire comprendre que la révision « n’emporte pas changement de République » est toujours valable,

2_et que la reconstruction de l’unité nationale, qui est prévue dans l’Accord et qui doit s’effectuer sur des bases novatrices, apporte un changement, fut-il en mieux, à la forme républicaine,

3_ il serait donc impossible de recourir à la même technique juridique de révision pour rénover la République du Mali.

Pour vérifier cette hypothèse, on peut se mettre d’accord sur le sens à donner à l’expression « forme républicaine » et au mot « République » (I) pour démontrer en fin de compte que la révision, pour laquelle les autorités maliennes veulent opter pour mettre en œuvre certaines dispositions de l’Accord, semble être inappropriée au regard du risque de changement de la forme républicaine de l’Etat (II).

 

La « forme républicaine » ou la « République » du Mali ?

L’une ou l’autre, il s’agit de la décision fondamentale qui indique la forme de l’Etat.

 

La forme républicaine ou la décision fondamentale prise en 1992 ?

La forme républicaine est perçue d’abord comme un héritage de la tradition constitutionnelle française. L’interdiction de sa révision est prévue par l’écrasante majorité des constitutions africaines. Au Sénégal, elle est formulée d’une manière concise par l’article 103 de la Constitution du 22 janvier 2001 qui dispose que « La forme républicaine ne peut faire l’objet d’une révision ». On retrouve la même formule utilisée dans les articles 156 et 118 successivement des constitutions béninoise et malienne. Il s’agit d’une interdiction générale basée sur la vision républicaine de l’Etat que les constituants cherchent à protéger.

La généralité qui caractérise sa formulation implique une incertitude puisqu’il reste à savoir ce que signifie l’expression « forme républicaine de l’Etat ».

Signifie-t-elle simplement le refus de la transmission héréditaire du pouvoir ? Ou renvoie-t-elle en même temps aux principes et valeurs que le constituant exprime pour justifier le choix du régime républicain ?

Nous pensons que c’est là où se trouvent les éléments constitutionnels, définitoires de la République, qu’il faudrait aller chercher le véritable sens de cette expression. On remarquera qu’elle se traduit dans la doctrine de deux manières avec une portée plus ou moins étendue. Tandis que certains procèdent à une interprétation stricte d’autres admettent une interprétation large. Dans le premier cas, la République est définie comme « l’antinomie de la monarchie ». Dans le second cas, on considère qu’il s’agit ici d’un concept plus vaste qui engloberait aussi les valeurs et principes essentiels de l’ordre démocratique.

Cette dernière interprétation large a une « logique contemporaine », « constitue l’héritage républicain et… inclut toute une série de valeurs fondamentales inscrites dans l’article 2 de la Constitution et dans les ‘principes fondamentaux reconnus par les lois République» en France. En effet, elle nous semble plus appropriée en Afrique francophone car la République, telle que définie par les constituants, est également « démocratique ». Pour reprendre la définition de Michel Clapie, elle est « beaucoup plus et beaucoup mieux que la non-monarchie et c’est ce qui apparait lorsqu’on se livre à une lecture combinée des différentes dispositions constitutionnelles, lecture qui donne tout son sens et toute sa portée à la formule ».

En Afrique francophone, les constitutions sont loin d’être muettes sur la question. Très généralement dans leur préambule, dans les titres qu’elles consacrent à l’Etat, à la souveraineté et aux droits de la personne humaine ainsi que dans leurs dispositions finales, elles procèdent toutes à « une configuration », « une programmation » de l’Etat républicain. En le faisant, elles indiquent les éléments qui déterminent et caractérisent la République.

Parmi ces éléments on peut retenir quelques-uns. D’abord, au niveau du préambule, on verra que le constituant béninois réaffirme son option en faveur de la République et exprime son « opposition fondamentale à toute confiscation du pouvoir et au pouvoir personnel ». De même il s’engage solennellement à défendre la forme Républicaine au Mali. Dans le même sens, il proclame « la séparation et l’équilibre des pouvoirs »conçus et exercés à travers des procédures démocratiques, « le respect des libertés fondamentales et des droits du citoyen » comme base de la société, « le respect et la consolidation d’un Etat de droit » au Sénégal.

Ensuite, lorsqu’on regarde les titres qui sont consacrés à l’Etat, à la souveraineté et aux droits de la personne humaine, on retrouve au Bénin une précision majeure relative à l’exercice de la souveraineté qui, selon le constituant, doit se faire conformément à la Constitution. Au Mali et au Sénégal, les Institutions de la République sont clairement définies.

Enfin, dans les dispositions finales on peut constater une particularité malienne avec l’article 121 de la Constitution qui dispose que « le fondement de tout pouvoir en République du Mali réside dans la Constitution. La forme républicaine de l’Etat ne peut être remise en cause. Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’Etat. Tout coup d’Etat ou putsch est un crime imprescriptible contre le Peuple Malien » (voir l’article 25 de l’acte fondamental de 1991 au Mali).

Toute modification de ces valeurs et principes aura pour conséquence inéluctable la révision de la forme républicaine de l’Etat. Ce qui revient à dire qu’aucune révision ne peut tendre à remettre en cause l’un de ces éléments. Ainsi, le pouvoir de révision reste également limité par les dispositions qui définissent les différents aspects de la République, ce que certains ont appelé « l’ordre constitutionnel fondamental ».

C’est la raison pour laquelle on remarquera dans le paysage constitutionnel de l’Afrique francophone que le constituant, formulant cette interdiction générale, allonge parfois la liste des dispositions non modifiables à d’autres principes comme la laïcité au Bénin et encore le multipartisme au Mali. Par ailleurs, il convient de recourir à la notion de souveraineté pour comprendre que « la République » ne désigne ni moins ni plus que « la forme de l’Etat ».

 La République du Mali ou la forme de l’Etat malien ?

Un attribut juridique de l’Etat, la souveraineté exprime sa puissance. A la différence des collectivités territoriales, l’Etat est une personne morale de droit public souveraine. A ce titre, il détient le monopole du commandement politique sur son territoire, de la « violence légitime » selon Max WEBER. La souveraineté de l’Etat, en tant que monopolisation du droit positif à l’intérieur et à l’extérieur, est la signification matérielle du principe de souveraineté nationale. Un élément intangible de la constitution, elle constitue une limitation matérielle “autonome“ et “tacite“ à la révision constitutionnelle. Elle représente la traduction juridique de la souveraineté nationale et on la retrouve cachée dernière la notion de « République ».

Pour démontrer cela, il nous suffira dans un premier de transposer « l’interprétation systématique » qu’applique Olivier BEAUD à la constitution française de 1958. De façon métonymique, on s’aperçoit avec l’auteur que les constituants africains désignent l’Etat par la République. Une forme de gouvernement, cette « République » n’est ni moins ni plus que l’organisation constitutionnelle de l’Etat qui est la forme la plus achevée du pouvoir politique par l’effet d’institutionnalisation qu’elle réalise. Elle s’oppose à la monarchie ou à la dictature avant tout. Elle présuppose l’Etat qui la choisit comme type de gouvernement. Une fois que ce choix est effectué, l’Etat sera désigné “républicain“ ou “République“ tout court.

C’est de cette façon qu’il est désigné dans la plupart des constitutions africaines. Dans ces constitutions, on peut lire que « l’Etat du Bénin est une République indépendante et souveraine », que « le Mali est une République indépendante, souveraine, indivisible, démocratique, laïque et sociale », que « la République du Sénégal est laïque démocratique et sociale » ou encore que « la République du Bénin est une et indivisible, laïque et démocratique », que le peuple « s’engage solennellement à défendre la forme républicaine et la laïcité de l’Etat ». Elles consacrent toutes un titre à “l’Etat et à la souveraineté“. Par ce titre, le constituant établit une relation entre l’Etat et la souveraineté. Objet de la souveraineté, la constitution est alors la loi suprême qui régit le pouvoir politique au sein de l’Etat. Elle confère une “identité“ à ce dernier et proclame « l’inaltérabilité » de la souveraineté nationale.

En s’interrogeant sur le rapport entre l’Etat et la Constitution, on remarquera que les deux notions peuvent être dissociées. C’est une distinction entre le pouvoir -incarné par l’institution étatique- et sa limitation – consacrée par la Constitution. C’est dire qu’au fond la rule of constitution ou l’Etat de droit constitutionnel est distinct de l’Etat tout court. De même que l’individu est juridiquement identifié par sa carte d’identité nationale et acquiert certains droits grâce à son appartenance à l’Etat, l’Etat aussi, par son identification juridique, existe avant de devenir constitutionnel et grâce à la Constitution.

Cette dissociation trouve une confirmation dans la pensée de Dietrich MURSWIEK lorsqu’il affirme que « la Constitution, même de l’Etat constitutionnel, n’a pas pour seul objet l’Etat, mais elle le présuppose également. Théoriquement, il peut arriver que la fonction de l’Etat et la fondation constituante coïncident. Mais en règle générale, la constitution de l’Etat constitutionnel coexiste avec un Etat déjà formé (konstituiert) ».

Contrairement à la majorité des juristes qui identifient l’Etat à la Constitution, la souveraineté de l’Etat à la souveraineté du Peuple, nous admettons ici la thèse défendue par Olivier BEAUD et suivant la quelle « la notion de constitution n’épuise pas celle de l’Etat ». En effet, leur « disjonction » conduit à la séparation de la souveraineté constituante qui se rapporte à la maîtrise de la Constitution et de la souveraineté de l’Etat ou la puissance publique relative au contenu des pouvoirs de l’Etat qui coexistent dans l’Etat constitutionnel.

De cette séparation, on observera une antécédence de l’Etat par rapport à la Constitution, notamment de l’Etat du Mali par rapport à la Constitution de 1992. Si, la Constitution présuppose l’Etat, il faut bien que l’Etat soit souverain pour qu’elle existe, de sorte qu’à la base de la Constitution on retrouvera la souveraineté de l’Etat. Appliquée à la souveraineté nationale, qui est définie dans les mêmes constitutions, cette idée nous montre que la souveraineté de l’Etat est en même temps la condition d’existence de la souveraineté constituante.

Exprimée par la doctrine française qui oppose la discontinuité constitutionnelle à la continuité de l’Etat, l’antécédence de l’Etat par rapport à la Constitution a, d’un point de vue pratique, un apport certain dans notre analyse qui s’intéresse ici à la révision de la Constitution de 1992. Perçue sous l’angle de sa conformité à la Constitution, elle pose un véritable problème de compréhension des compétences constitutionnellement attribuées aux différents organes de l’Etat. Qu’il s’agisse de la compétence des organes chargés de la révision constitutionnelle ou celle du juge constitutionnel contrôleur de la révision, on se retrouve face à un problème d’interprétation de la Constitution.

Elle nous permettra de voir comment les textes qui décrivent la révision dans les constitutions africaines et qui prévoient tous la protection de la forme républicaine du gouvernement impliquent la protection de l’Etat. Comme nous l’avons précédemment relevé, dans ces constitutions « la République », qui permet d’identifier la forme de gouvernement ou forme d’organisation constitutionnelle des pouvoirs et de savoir le type d’Etat avec lequel on a affaire, présuppose en réalité l’existence de l’Etat.

En effet, elle nous permet de comprendre que ces textes doivent être interprétés non seulement suivant une conception libérale de la Constitution qui se soucie de la protection des droits fondamentaux mais aussi, dans un sens qui préserverait mieux la souveraineté de l’Etat. Un problème classique que nous retrouvons dans la philosophie politique, la garantie de la liberté passe par la reconnaissance de la signification étatique de la souveraineté nationale, de la puissance publique de l’Etat. Si la liberté politique, au sens de Montesquieu, est « le droit de faire ce que les lois permettent » il faudrait bien qu’un Etat législateur souverain existe au préalable. Inhérente à l’Etat, la souveraineté est cette qualité qui traduit son « étaticité » (Staatlichkeit)[1] en lui permettant de maintenir l’Unité à tous les niveaux de la vie en société et de servir l’intérêt général. A la différence de la Constitution qui détermine les règles essentielles relatives au fonctionnement des pouvoirs publics et aux modes juridiques d’exercice du pouvoir, la souveraineté de l’Etat décrit l’indivisibilité de la puissance publique c’est-à-dire un contenu des pouvoirs.

Cachée derrière la souveraineté nationale, on s’aperçoit que cette souveraineté, tout comme le pouvoir constituant, figure dans les constitutions des Etats d’Afrique qui ont en partage le français comme langue commune. Au Benin, on la découvre dans l’article 2 de la constitution qui dispose que « la République du Bénin est une et indivisible, laïque et démocratique ». Au Mali, elle est consacrée par l’article 25 de la constitution selon lequel « le Mali est une république indépendante souveraine, indivisible, démocratique, laïque et sociale ». Au Sénégal, il ressort de l’article premier de la constitution que « la République (…) est laïque, démocratique et sociale ».

Dès lors, on comprend pourquoi les différents constituants ont voulu qu’elle ne soit pas à la portée du pouvoir de révision en interdisant toute reforme touchant à la forme républicaine de l’Etat. Dans cette forme se trouve protégée la souveraineté de l’Etat. Si on la touche ca serait une atteinte à cette souveraineté.

Cependant, avec la nouvelle « architecture institutionnelle » définie dans le Titre II de l’Accord, on constate que la République du Mali connaitra un changement dont la nature reste indéterminée.

« Changement dans » ou « changement de » la République du Mali ?

D’abord, il convient de signaler que le changement en question n’est pas encore définitif. Il est en cours. De la manière dont l’Accord le décrit, on s’aperçoit qu’il y a un risque de dénaturation de la forme de l’Etat. Rappelons que cette forme est à la fois unitaire et décentralisée. Plus que la régionalisation, sa dénaturation consiste à la mise en place d’un « Etat Régional ».

Tant qu’elle reste une volonté exprimée par le Peuple souverain du Mali cette dénaturation ne posera aucun problème dans la mesure où l’on sait déjà qu’il disposera toujours du droit « de revoir, de réformer et même de changer sa Constitution » et qu’« aucune génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ».

En revanche, en suivant l’article 118 de la Constitution et l’avis de la Cour constitutionnelle du Mali précité[2], on peut retenir que la technique juridique de révision qui semble être la voie choisie par les autorités parait inappropriée pour « un changement de République ».

 

Quel changement ?

On se demande toujours si le changement conduira à une régionalisation dans la République (une et indivisible) ou à une République régionalisée avec une autonomie politique des régions constitutionnellement garantie (Etat régional) ?

De la décentralisation à la régionalisation, on risque d’avoir un Etat Régional. Ce qui présage une mutation constitutionnelle.

D’un côté, on peut signaler les discriminations créées par l’Accord au profit des populations des régions du Nord. Pour une meilleure représentation et une plus grande participation de ces populations dans les institutions et grands services publics, corps et administrations de la République, l’Accord consacre une rupture avec l’égalité des citoyens telle que définie par l’article 2 de la Constitution du 25 février 1992. D’ailleurs, c’est ce qui explique l’absence de ce principe « démo-républicain » dans le chapitre premier de l’Accord consacré aux principes et engagement.

De l’autre côté, on notera que la réorganisation institutionnelle et territoriale qui est proposée dans le titre II de l’Accord, qui consiste à transposer la nouvelle architecture dans les textes, ne doit en principe conduire qu’à ce qu’il convient d’appeler « la décentralisation poussée ».

Face à ce risque, on se demande si la République du Mali restera-t-elle finalement un Etat ou une République décentralisée ? Ce qui est clair pour le moment c’est qu’en poussant la décentralisation les auteurs de l’Accord ont opté pour une régionalisation qui fait du président de l’Assemblée régionale non seulement le chef de l’Administration mais aussi et surtout le chef de l’Exécutif dans la Région.

Combinée au principe de subsidiarité, l’attribution des pouvoirs substantiels aux différentes régions fait que la « Collectivité-Région » réapparait avec une place privilégiée par rapport aux autres collectivités territoriales. C’est ainsi que l’Etat du Mali risque de passer d’un Etat unitaire décentralisé à un Etat unitaire régionalisé. Un tel changement, s’il doit déboucher sur un Etat régional, peut intervenir, non pas par une révision, mais plutôt par une conférence nationale.

Comment changer : Révision ou Conférence nationale ?

Autrement, d’aucuns diront que les textes constitutionnels qui encadrent la révision dans ces constitutions, interdisant celle de la forme républicaine du gouvernement, ne visent que la République, qu’ils ne visent pas l’Etat. Mais pour plusieurs raisons, nous confirmons avec Olivier BEAUD que si ces textes fixent une « limitation autonome expresse » pour ce qui concerne la forme de gouvernement, il découle de leur interprétation et de celle de l’ensemble des dispositions de la Constitution que la limitation matérielle touche également tout ce qui concerne la souveraineté de l’Etat. D’abord, la « République » présuppose l’Etat, tout comme la souveraineté nationale présuppose la souveraineté de l’Etat. Ensuite, les différents constituants proclament leur attachement dans plusieurs dispositions constitutionnelles à une République voulue « une et indivisible », « démocratique », « laïque et sociale ». Il s’agit d’une décision constituante fondamentale en faveur d’un type d’Etat précis, d’un Etat Républicain, souverain et détenteur de la puissance publique.

Une telle décision fait partie des éléments fondamentaux, donc intangibles des constitutions. Elle décline l’identité de la Constitution que la théorie des limitations matérielles vise à protéger. A ce titre, elle constitue une limitation tacite valable pour tous systèmes constitutionnels. C’est pourquoi nous adhérons à la thèse suivant laquelle « seul le pouvoir constituant, et jamais le pouvoir de révision constitutionnelle, peut porter atteinte à la « nature étatique » ».

La mutation serait donc appropriée par la voie d’une Conférence nationale ou d’un Dialogue d’envergure nationale. Peu importe l’appellation c’est l’oxygène que procure cette rencontre des forces vives de la nation qui compte pour la survie et la consolidation de notre démocratie.

 

 Boubacar DIAWARA

Docteur en Droit public

Enseignant-Chercheur F. DPU/USJPB

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