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ENQUETE – « Le riz en plastique » (partie 2) : naissance et propagation d’une intox en Afrique

Depuis le début du mois de mai, une psychose s’est emparée de nombre d’internautes africains : photos et vidéos à l’appui, beaucoup essaient de démontrer que des aliments en plastique, tels que du riz ou des œufs, seraient vendus dans leur pays. C’est une théorie du complot qui trouve son origine en Asie et dont la répercussion en Afrique relève d’un réflexe protectionniste et d’une revendication identitaire.

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Cet article est la deuxième partie de notre enquête, où des experts expliquent comment et pourquoi ces intox prospèrent sur la toile en ce moment.Si vous voulez relire la première partie de cette enquête, cliquez ici !

D’où vient la rumeur de riz plastique ?

Si les allégations récentes de « riz plastique » ont refait surface, illustrées par des vidéos détournées ou manipulées, c’est que la rumeur est basée sur plusieurs scandales alimentaires.

Le premier a eu lieu en 2010, et concernait l’entreprise chinoise Wuchang, qui produit du riz de haute qualité. Elle avait été accusée de mélanger ce riz de bonne qualité avec du riz parfumé à faible qualité nutritionnelle. La production a été arrêtée, mais de cet épisode est né le terme de « fake rice » (faux riz).

Courant 2011, d’autres articles citant toujours la même source, Very Vietnam, un site vietnamien, affirment que des officiels chinois ont saisi des quantités importantes de riz composé de « mélange de pommes de terre, de patates douces et de résines synthétiques contenant des traces de plastique ». Le riz est désigné par le terme de « riz plastique » sans précision particulière sur le pourcentage de « plastique » présent. Comme le montre le site américain « Snopes », l’histoire n’a jamais pu être corroborée, mais a refait surface à plusieurs reprises entre 2011 et 2016.

ype de publication relayée par des internautes sénégalais s’interrogeant sur le riz venant de Chine.

Plus récemment, en décembre 2016, la saisie d’une centaine de sacs de « riz plastique « au Nigeria avait validé toutes les rumeurs. Mais le fantasme n’avait pas duré longtemps : après investigations, le ministre nigérian de la Santé avait annoncé qu’aucune trace de plastique n’avait été retrouvée dans le riz, mais que seuls des résidus de plastiques en quantité infime avaient été retrouvés au milieu des sachets.

Début mai, d’autres pays comme le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire ou mêmes les Comores ont également eu des alertes similaires. Dans certains cas, comme au Sénégal ou en Côte d’Ivoire, les rumeurs ont poussé les ministres eux-mêmes à publier des démentis. A ce jour, aucune analyse n’a révélé l’existence d’un riz fabriqué avec du plastique sur le marché africain.

Que révèlent ces vidéos
et comment expliquer leur popularité ?

Toutes les publications concernant des supposées preuves de riz ou d’autres aliments utilisent toutes le même argument : ces produits viendraient d’Asie, le plus souvent de Chine, ce qui serait signe de la contrefaçon évidente destinée à empoisonner le consommateur.

Sur la plupart des publications Facebook qui présentent certains riz comme étant des riz en plastique et invitent la population à ne pas les consommer – sans aucune preuve par ailleurs – on aperçoit régulièrement la mention « origine : Chine ». Souvent, les messages sont accompagnés d’invitations à consommer « local », illustrés par des vidéos dont on ne comprend pas la langue, ni le contexte, dans un objectif de dénigrement, ou plus simplement, pour faire le buzz. Ces publications s’appuient sur des représentations bien ancrées dans les mentalités autour des produits de contrefaçon chinoise.

Ces deux publications désignent un riz chinois (à gauche) et thaïlandais (à droite) comme étant du riz en plastique,
pour prouver qu’il est possible de faire une boule qui rebondit en écrasant du riz.

« On caricature la Chine au service d’une revendication identitaire africaine »

C’est également ce qu’a remarqué Nicolas Cordray, professeur en histoire-géographie et éducation civique juridique et sociale du lycée de Vire en Normandie. Il a analysé avec ses élèves cette « théorie du complot » autour du « riz en plastique » :

Dans beaucoup de vidéo publiées par des Africains sur le sujet, comme celle de TellMeMore TV [une chaine Youtube prônant la « résistance africaine] ou encore celle d’une Youtubeuse ivoirienne (à voir ci-dessous) , le vocabulaire employé est très violent envers les Asiatiques. On parle de « maudits chinois » ou encore « d’assassins ». Le propos exploite des représentations caricaturales sur la Chine, au service d’une revendication identitaire et de fierté africaine. Derrière ça, il y a clairement un objectif protectionniste teinté de racisme anti-asiatique, un cocktail qui permet de faire le buzz.

Cette youtubeuse ivoirienne a publié cette vidéo dont les premières minutes « cumulent les clichés sur les Chinois », selon Nicolas Cordray.

 

Des vidéos pour protéger l’économie locale ?

La bataille du riz est effectivement un enjeu important pour plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest : en 2016 selon la FAO, la région a produit près de 9,5 millions de tonnes de riz. Pour autant, l’Afrique de l’Ouest continue d’exporter 9 millions de tonnes de riz, ce qui représente environ 25 % des importations mondiales.

Pour Patricio Mendez del Villar, économiste et chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), la zone est un marché stratégique pour les exportateurs asiatiques :

L’Afrique subsaharienne produit environ 60 % de sa consommation en riz et importe le reste. La zone Afrique de l’ouest reste donc un marché important en volume, essentiel pour les exportateurs d’Inde, du Vietnam, du Pakistan ou de Thaïlande. La Chine est elle d’ailleurs devenue un importateur de riz récemment. L’idée selon laquelle la plupart du riz vient de Chine n’est donc pas tout à fait exacte.

Lors de mes observations dans plusieurs pays africains, j’ai pu remarquer que les consommateurs préfèrent le riz importé pour la constance de la qualité du produit : le taux d’impureté est plus faible, il n’y a pas besoin de le laver contrairement au riz local. L’avantage du riz importé, c’est qu’il est disponible toutes les semaines, au nouvel arrivage de bateau. Stocker du riz local coûte cher, car il doit y avoir une politique avec des infrastructures et des coûts importants à supporter.

La transition alimentaire dans ces pays rend donc les consommateurs plus exigeants en terme de qualité. C’est la raison pour laquelle des pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire sont les plus gros importateurs de riz de la région [avec environ 70 % à 80 % de riz importé pour ces deux pays]. A contrario, le Mali produit 90 % du riz qu’il consomme.

Existe-t-il un lien entre les données économiques et ces vidéos ? Impossible de l’affirmer. Mais il est intéressant de voir que ces polémiques de « riz plastique » ont eu plus d’écho dans des pays qui importent beaucoup de riz asiatique, comme la Sénégal ou la Côte d’Ivoire, et quasiment aucun au Mali, producteur et consommateur de riz local.

Les publications d’internautes évoquent clairement parfois le caractère « panafricain » de leur démarche, pour protéger le commerce du continent, comme sur cette publication d’un Centrafricain ci-dessus.


Quid de la qualité du riz incriminé dans ces vidéos ?

Ces vidéos, bien que manipulées, ne doivent pas empêcher de porter un regard critique sur la qualité du riz qu’on y voit, comme le souligne le docteur Fallou Sarr, directeur de l’Institut technique alimentaire de Dakar :

Les analyses menées au Sénégal ont montré qu’il s’agissait de riz qu’on appelle « déclassé » : ce n’est pas un riz impropre à la consommation, mais cela signifie qu’il a été produit il y a plus de deux ans, et donc, que le taux de sucre a fortement augmenté. Consommer trop de riz déclassé n’est pas bon pour la santé, car cela peut notamment causer du diabète.

Le riz déclassé n’est pas censé se retrouver dans les supermarchés, mais il n’est pas impossible que des commerçants peu scrupuleux l’aient déjà fait, puisqu’on a retrouvé ce type de riz lors de nos analyses.

Comme plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, le Sénégal a lancé un important programme d’autosuffisance en riz d’ici 2018, avec l’objectif de passer d’une production de 450 000 tonnes à 950 000 tonnes en l’espace de cinq ans.

Source: France24 Les Observateurs

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