En prélude à la Semaine des énergies renouvelables qui débute aujourd’hui à Bamako, nous nous sommes entretenus avec le directeur général de l’Agence des énergies renouvelables du Mali, Souleymane Berthé. Dans cette interview exclusive, il aborde un large éventail de sujets : des raisons de l’organisation de l’évènement aux stratégies de développement des énergies renouvelables en passant par les objectifs, la particularité de la Semaine, les potentialités du Mali en énergies renouvelables, le financement des équipements, la prolifération des plaques solaires.
L’Essor : Monsieur le directeur général, pouvez-vous nous expliquer pourquoi le Mali a décidé d’organiser une Semaine des énergies renouvelables ? Quels sont les objectifs de l’évènement ?
Souleymane Berthé : Le ministère de l’Energie et de l’Eau et l’Agence des énergies renouvelables du Mali (AER Mali), sur financement de la Banque africaine de développement (BAD), à travers le Projet d’appui à la promotion des énergies renouvelables au Mali (PAPERM) et l’assistance technique du Groupement DEM-EXPERCO, organisent effectivement, du 19 au 23 février, donc à partir d’aujourd’hui, la Semaine malienne des énergies renouvelables. Cette semaine qui sera célébrée à l’Hôtel Laïco de l’Amitié, a pour slogan : « Investir raisonnablement dans les énergies au Mali ». D’autre part, les raisons de l’organisation d’un tel évènement résident dans le fait que notre pays regorge d’énormes potentialités en ressources d’énergies renouvelables (notamment solaire, éolienne, biomasse, etc.) alors que, comme la plupart des pays africains, il est confronté à des problèmes énergétiques. Par conséquent, nous estimons que faire la promotion de nos potentialités permet d’attirer des investisseurs en vue de développer notre secteur de l’énergie.
L’objectif consiste à présenter l’ensemble des données sur les énergies renouvelables au Mali, à organiser des rencontres B2B en vue de nouer des partenariats et d’aboutir à des projets qu’on pourra développer au Mali. Il s’agit aussi et surtout de faire la promotion des potentialités dont regorge le Mali pour attirer des investisseurs afin de développer des projets et satisfaire nos besoins énergétiques. L’autre objectif, c’est d’attirer le grand public. Il ne s’agit pas d’une conférence habituelle. C’est pourquoi, on l’a même appelée Foire conférence. Un accent particulier est mis sur l’aspect foire afin que les gens viennent voir ce que nous faisons dans le domaine des énergies renouvelable. Les technologies que nous avons développées y seront exposées. A côté, des conférences débats seront animées par des experts sur différents thèmes. Une exposition de savoir-faire malien avec 40 stands est prévue. Les partenaires seront également là. Certains pays vont parler de leurs expériences. D’autres fabricants viendront avec leurs produits et nous invitons la population à sortir massivement pour venir voir et s’approprier ces nouvelles technologies.
L’Essor : Qu’entend-t-on par énergie renouvelable ? Quelle est la différence entre énergie renouvelable et énergie conventionnelle ?
S.B. : Les sources d’énergie considérées comme renouvelables sont des sources inépuisables ou virtuellement inépuisables et qui n’ont pas d’impact négatif sur notre environnement et sur la santé. Elles sont permanemment utilisées et le Mali en a en abondance. Par exemple, si nous transformons le rayonnement solaire en électricité ou la chaleur pour satisfaire nos besoins énergétiques, il n’y a ni dégagement de gaz à effet de serre, et ni impact négatif sur l’environnement. Donc, de nos jours, ce sont des sources d’énergie que nous devons produire pour protéger notre environnement et booster notre développement. C’est pareil pour l’énergie éolienne. Quand le vent souffle, cela fait tourner les pales d’une machine qui peut produire l’électricité. La biomasse qui a un cycle inépuisable et l’énergie hydraulique sont aussi des formes d’énergie renouvelable. Aujourd’hui, j’estime que nous avons obligation de nous tourner vers ces sources d’énergie.
D’habitude, on a recours à l’énergie conventionnelle qui provient du pétrole et ses dérivés comme le gasoil, le mazout qui sont des ressources épuisables et ayant un impact négatif sur l’environnement. Quand vous utilisez ce type d’énergie avec une machine, il dégage du gaz carbonique, nocif pour la santé et l’environnement. Donc aujourd’hui, avec le développement de la technologie, il est préférable de faire recours aux énergies renouvelables qui sont non seulement inépuisables du point de vue utilisation, mais aussi protègent l’environnement.
L’Essor : Qui sont les participants ?
S.B. : Les participants sont les partenaires multilatéraux, bilatéraux, la BAD en tant que sponsor officiel de la Semaine, l’Alliance solaire internationale, les représentants des agences internationales des énergies renouvelables, les partenaires techniques et financiers. Il y aura aussi des privés (allemands, indiens, chinois, des ressortissants des pays africains comme nos voisins : le Sénégal, le Bénin, le Togo, le Niger, le Burkina). D’ailleurs, nous allons procéder à la présentation d’une initiative commune des pays de l’UEMOA qu’on appelle initiative pilote. Ce projet a été initié en partenariat avec l’Alliance solaire internationale. L’objectif est de chercher à monter des projets ensemble afin de diminuer le coût des produits et de réaliser l’agrégation dans l’éthique. Il s’agit d’harmoniser certaines commandes d’équipement pour faire des projets dans les pays ensemble et diminuer les couts.
L’Essor : Quelles sont les potentialités du Mali en énergie solaire ?
S.B. : Elles sont énormes. L’AER- Mali a réalisé des études sur le solaire et l’éolienne. Les chiffres varient de 5,5 à 7 kw/H par m2 par jour. C’est presque le double de ce que possède l’Allemagne, par exemple, qui est considérée comme champion dans le solaire. Ainsi, quand vous mettez la même plaque ou panneau en Allemagne ou au Mali, vous obtenez deux fois plus d’énergie au Mali. Pourtant on commercialise l’énergie. Le Mali a donc l’un des meilleurs potentiels en matière de rayonnement solaire. Nous disposons aussi d’un grand potentiel en vent et surtout dans la partie septentrionale où il est établi 5 à 7 m par seconde. Ce qui peut faire fonctionner des éoliennes pour la production d’électricité. Les vents qui dépassent 5 m par seconde sont exploitables. Dans l’Est du Mali, vers Kayes, on a aussi découvert des gisements éoliens qui peuvent permettre de développer des centrales éoliennes pouvant atteindre 100 mégawatts. En ce qui concerne la biomasse, il y en a beaucoup dans la zone rizicole. On peut produire l’électricité avec les pailles de riz, les tiges de coton. Même les déchets organiques peuvent produire de l’électricité. Partout, si ce n’est pas au Sud et au Centre, le Mali dispose d’importantes potentialités. A cela, il faut ajouter l’hydroélectricité avec les barrages de Manantali et Sélingué ainsi que des potentialités pour développer des petits barrages sur les cours d’eau. Deux études en cours dans ce domaine et des projets seront présentés au cours de la semaine. Nous allons présenter un paquet de projets dans les domaines du solaire, de la micro électricité, de l’éolienne. En biomasse, l’ANADEB (Agence de développement des biocarburants) en a aussi. Nous allons chercher des partenaires. Raison pour laquelle, nous avons invité beaucoup de gens qui ont répondu favorablement à notre invitation dont des Autrichiens, Arabes, Européens, etc. Actuellement, l’ANADEB développe des projets de biomasse, biogaz et de cuisson. Elle est très active en matière d’électrification rurale. En plus, il y a des projets pour faire la cuisine avec la mélasse, la fabrication de beaucoup de foyers pour limiter les coupes de bois. Entre autres, il y a des technologies qu’on développe avec le solaire. Il convient de souligner que le solaire ne sert pas seulement à produire de l’électricité. Il est aussi utilisé pour produire de l’eau chaude pour la cuisson et le séchage. L’AER Mali a un atelier qui développe toutes ces technologies : cuiseurs, séchoirs, chauffe – eau solaire.
L’Essor : Cette technologie est- elle vulgarisée ?
S.B. : Nous développons les technologies et les diffusons à travers des projets. Nous apprenons à d’autres à le faire et à les commercialiser. On forme les gens afin qu’ils puissent les mettre sur le marché. Notre technologie est approuvée. Le Mali a sa technologie de chauffe-eau solaire qu’on appelle Consol. On l’a installée dans les CSCOM et sur le toit des maisons. C’est une production locale à 100%. Tous les équipements sont sur le marché. Ce sont nos chercheurs qui l’ont développée. En plus, il y a le cuiseur solaire en boite ou en parabole, les séchoirs solaires TAOS et ICARO. Le dernier est industriel et peut sécher de grandes quantités.
L’Essor : Ces technologies sont-elles en vente ?
S.B. : Généralement, on se les procure sur commandes à l’AER. Nous avons des projets que nous développons avec les partenaires pour la diffusion de ces technologies. Ensuite, nous allons dans les régions avec les projets et nous formons les artisans pour leur apprendre à fabriquer ces technologies sur place.
L’Essor : Les prix des équipements sont – ils abordables pour le grand public ?
S.B. : Si la technologie est maitrisée aujourd’hui, le grand problème reste celui du financement qui est lent. D’où la nécessité de se battre rapidement pour les investissements parce que la solution pour le développement passe par les énergies renouvelables. Autre problème, les gens trouvent, par exemple, que le coût initial de l’installation des plaques solaires sur les toits est très cher. En fait, c’est ce qui entrave le développement des énergies renouvelables parce que le coût initial est très lourd pour le plus grand nombre. Les gens le comparent avec la facture d’ EDM- SA à laquelle, le salaire du Malien est adapté. Si on vous demande de payer du coup 500 000 FCFA, cela devient très cher par rapport à 50 000 FCFA d’EDM. C’est pourquoi, nous avons trouvé une solution avec les banques. Ainsi, celui qui a besoin d’équipements solaires passe par l’AER, on l’inscrit dans le projet et on prend contact avec la banque. Avec son accord, la banque vérifie si la personne est solvable. Si elle l’est, elle paye les équipements et le client rembourse à la banque comme un crédit ordinaire. Par ailleurs, nous pensons que les prix sont abordables. Le Consol coûte environ 400 000 FCFA, Le TAOS familial, 85 000, l’ICARO, plus d’un million de FCFA parce qu’il est plus grand et tend vers la production industrielle. Ils ont tous été conçus par les ingénieurs locaux. Il s’agit de fabriquer avec du matériel durable, ne nécessitant pas beaucoup d’importation. Par exemple, le chauffe-eau solaire n’a aucune particule mobile. Il est fixe, entièrement en métal et il peut durer 20 ans. On le met sur le toit ou par terre. Dans les centres de santé communautaire, le toit n’est pas adapté, on les met au sol. Le réservoir est bien fermé et l’eau passe par les capteurs pour le chauffage.
L’Essor : Les opérateurs privés maliens s’intéressent-ils aux énergies renouvelables ?
S.B. : Les privés maliens sont très intéressés par ces énergies. On constate même que chaque entreprise malienne veut avoir une branche solaire. C’est l’avenir selon eux et tous les bons opérateurs s’y intéressent. Ce n’est pas le Mali seulement. Les autres l’ont compris depuis longtemps. Ce sont les pays africains qui sont à la traine dans ce domaine. Aujourd’hui, même les boutiquiers vendent des panneaux solaires. Cela veut dire que ça intéresse tout le monde. Nous faisons autre chose, mais nous savons que les sociétés maliennes s’intéressent beaucoup à ces plaques. Il y a des sociétés qui font l’assemblage. La plus grande, c’est la société HORONYA qui a son usine sur la route de Koulikoro et qui fait l’assemblage ici. D’autres importent les cellules et les assemblent. Pour HORONYA, l’AER Mali a fait un test ici. Comme je l’ai dit, nous faisons recherche et développement et nous testons les produits ici. Après notre test, la société en question est allée en Allemagne à TÜV Allemagne qui est la première société de certification internationale des panneaux. Et les panneaux testés à l’AER y ont passé la certification qui était nécessaire aussi pour que HORONYA puisse commercialiser à l’international.
L’Essor : De plus en plus, l’on constate une prolifération des plaques solaires à Bamako. Avez-vous une idée de la quantité de plaques qui entre au Mali ? Y a- t-il des risques en cela ?
S.B. : La prolifération des panneaux est réelle, mais une réflexion est en cours en vue de prendre des mesures. Il faut rappeler que les autorités maliennes ont beaucoup fait pour le développement du solaire au Mali. C’est pourquoi on voit les plaques partout. Ailleurs, on ne les voit pas comme ça. Cela est dû au fait que le Mali a créé des conditions pour que ces panneaux puissent entrer dans le pays en renonçant à des taxes avec l’adoption d’un décret d’exonération qui est renouvelé tous les 5 ans. Le pays dispose d’un laboratoire solaire depuis 1964. L’autre revers de la médaille, c’est qu’on fait passer toutes sortes de panneaux. Il y a la mauvaise qualité qui vient aussi. Et si on ne fait pas attention, cela risque de décourager les gens. D’où l’idée de mettre en place un projet qui va contrôler la qualité des panneaux et équipements solaires à l’entrée, pour limiter les dégâts.
L’Essor : Quelle est la stratégie de développement des énergies renouvelables au Mali ?
S.B. : Le développement des énergies renouvelables est au centre des préoccupations des plus hautes autorités du pays. La BAD a appuyé le pays dans le cadre de la relecture de notre politique énergétique. La révision est en cours, les documents sont en cours de validation. Les nouvelles stratégies consistent à mettre les énergies renouvelables au cœur du développement, à faire en sorte que leur pourcentage augmente à 38% d’ici 2030. Si on ajoute la production des grandes centrales hydro électriques, cela avoisine les 80%. C’est déjà beaucoup. Pourquoi ne pas envisager 100% à l’avenir ?
L’essor : Votre mot de la fin ?
S.B. : Notre situation, en termes d’énergies renouvelables, dépasse l’optimisme. Il ne s’agit pas seulement du Mali. Les énergies renouvelables sont une aubaine pour l’ensemble de nos pays. Ce dont nous disposons le mieux, c’est le soleil. Donc nous devons l’exploiter à fond. Les autres qui n’ont pas suffisamment d’ensoleillement en profitent plus que nous et cela n’est pas normal. C’est le contraire qui doit se produire. Je pense qu’en initiant des activités comme la Semaine des énergies renouvelables, la population pourra plus profiter des nouvelles technologies. Aussi, j’invite les gens à sortir massivement pour en faire connaissance. L’entrée à la Foire est libre. On peut y faire des affaires alors que la conférence et les débats sont pour des personnes ciblées. Les thèmes des débats sont: «Perspectives énergétiques du développement économique malien», «Les énergies renouvelables pour un développement éthique du Mali», « Investir avec succès dans les énergies renouvelables au Mali », « Adopter les énergies renouvelables comme leviers du développement, « Pour la valorisation stratégique des énergies renouvelables ».
Comme le soleil est là pour tout le monde, j’invite tous les maliens à profiter de cette énergie. On n’a pas besoin d’être sur le réseau pour y avoir accès. On peut satisfaire ses besoins personnels en la matière, quelques soient ses moyens.
Propos recueillis par Fatoumata Maïga
L’Essor