Après la conférence de presse qu’elles ont donné le 28 aout 2014 au siège de la commission nationale des droits de l’homme, sis à l’ACI 2000, les organisations et associations de défense des droits de l’homme ont organisé une marche pacifique, le jeudi 11 septembre 2014, pour protester contre les primes accordées à l’impunité, notamment la libération d’Ag Alhousseyni Houka Houka ex-juge « islamiste » du Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) à Tombouctou. Cette marche qui a mobilisé plus de 5.000 personnes, selon ses organisateurs, a été organisée par 39 organisations et associations de défense des droits de l’homme parmi lesquelles des têtes d’affiche comme : la Commission Nationale des Droits de l’Homme (Cndh) ; la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (Fidh) ; l’Association Malienne des Droits de l’Homme (Amdh) ; la Fédération Nationale des Collectifs d’Organisation Féminines (Fenacof) ; Amnesty Internationale-Mali (AI/Mali).
Les marcheurs s’étaient réunis devant la bourse du travail de Bamako qui est un véritable symbole de l’avènement de la démocratie au Mali, avant de rallier via les monuments de la liberté et de la paix, le ministère de la justice sis à la cité administrative. Le Ministre de la Justice, des Droits de l’Homme et Garde des Sceaux, Me Mohamed Ali Bathily, qui attendait là les manifestants, était visiblement heureux de les accueillir. M. Salim Traoré, directeur exécutif d’Amnesty Internationale-Mali, a lu une déclaration dans laquelle les protestateurs recommandent au Gouvernement :
– 1) de garantir en toutes circonstances, les droits des victimes à la justice, à la vérité et à la réparation des préjudices subis ;
– 2) d’exclure toute idée d’amnistie pour tous ceux qui se sont rendus coupables de crimes, de violences sexuelles et d’enrôlement d’enfants soldats ;
– 3) de prendre des mesures appropriées pour s’assurer que les auteurs des crimes soient poursuivi, jugés et condamnés par la justice malienne ou celle internationale ;
– 4) de garantir le principe de la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice ;
– 5) de diligenter l’adoption du décret d’application de la loi N°2012-05 du 12 juillet 2012 portant indemnisation des victimes de la rébellion du 17 janvier 2012 et du mouvement insurrectionnel du 22 mars 2012.
Le Ministre Mohamed Ali Bathily a pris la parole juste après la lecture de la déclaration, en faisant savoir à ses hôtes, qu’en matière de droit, les violations graves des droits de l’homme sont imprescriptibles.
A l’adresse des marcheurs, Me Bathily dira : « Je mène le même combat que vous chaque jour, souvent dans les plus grandes difficultés. Vous dites stop à l’impunité, moi je le dis aussi. Quand vous me dites, justice pour les victimes, je n’arrête pas de le dire aussi. Quand vous me dites d’arrêter les coupables, je dis oui, il faut les arrêter. Les accords de Ouaga le prévoient d’ailleurs dans leur applications ».
S’agissant de la libération d’Ag Alhousseyni Houka Houka qui semble préoccuper le plus les manifestants, le Ministre Bathily expliquera qu’ »il a été arrêté le 17 janvier dernier, mais n’était pas entre les mains du Gouvernement malien. Il était plutôt dans l’autre main. Ceux qui l’avaient arrêté voulaient le manipuler pour qu’il aille du côté du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (Mnla). Ils ne l’on remit (aux autorités maliennes-Ndlr) qu’en août, malgré qu’il y ait un tribunal à Gao et nous nous demandons pourquoi il n’y a pas été présenté. Mais on est venu s’en débarrasser ici à Bamako en nous disant qu’il faut l’enfermer, c’est un criminel. Cela parce qu’on allait à Alger et il ne fallait pas qu’il parle avant qu’on y aille et aujourd’hui il est en train de dire des choses à Alger qui nous intéressent ».
Après ces explications données aux manifestants, ceux-ci ont longuement ovationné l’orateur. Signe que le charisme du Ministre Mohamed Ali Bathily est monté d’un cran auprès des organisations et associations de défense des droits de l’homme. De l’avis du Ministre, même si Houka Houka a commis des crimes, il n’en demeure pas moins qu’il en sait aussi beaucoup sur ce qui s’est passé dans le nord du pays avant et pendant l’occupation des régions septentrionales du Mali.
Mais à analyser de près les propos du Ministre, le citoyen « lambda » ne peut s’empêcher de se poser des questions du genre : Pourquoi le Gouvernement malien n’a-t-il pas fait prévaloir son autorité et son pouvoir que lui confère la loi fondamentale du Mali, pour obtenir que Houka Houka soit remis à la Justice malienne aussitôt après son arrestation. Houka Houka a-t-il été libéré par le Gouvernement malien afin qu’il serve de pion à jouer en faveur de l’État malien au cours des négociations d’Alger ? La présence de Houka Houka aux négociations d’Alger est au compte de quelle délégation ? Cette dernière question mérite d’être posée dans la mesure où on sait que l’intéressé n’a d’affinité avec aucun des groupes armés présents aux assises et son nom ne figure nulle part sur la liste des délégués du Gouvernement malien.
Même pas sur la liste des acteurs de la société civile. Quoi qu’il en soit, Ag Alhousseyni Houka Houka s’est rendu coupable de graves violations des droits humains et il doit répondre de ses actes devant les juridictions nationales ou internationales. Aucune raison d’État ne pourrait être assez forte pour justifier la libération de ce criminel patenté sans l’avoir jugé. En libérant ce tortionnaire, sans fournir ne serait-ce que la moindre information au peuple malien, le Gouvernement a posé là un acte qui peut avoir des conséquences fâcheuses.