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En Libye, union avec l’ONU ou ennuis avec l’EI

Afrique. L’accord signé dimanche pour créer un gouvernement est un pas de plus vers l’union nationale. Mais le pays est divisé sur cette solution, préalable à une action internationale contre les terroristes, qui doit encore être ratifiée par le Parlement.

emissaire ONU Libye Bernardino Leon Skhirat Rabat

Un des acteurs de la crise disait dimanche : «Nous espérons que ce sera le début de la fin du conflit en Libye.» On en est loin, même si l’annonce, dimanche soir, de la formation d’un gouvernement d’union peut nourrir l’espoir d’une avancée. C’était aussi un préalable à toute action d’envergure de la communauté internationale dans sa lutte contre l’organisation Etat islamique (EI), qui a pris le contrôle de Syrte et menace d’étendre son emprise.

La liste des membres du gouvernement a donc été définie, mais elle doit encore être acceptée par le Parlement de Tobrouk, une des deux assemblées du pays qui, elle, est reconnue par la communauté internationale. Et ce n’est pas gagné, puisqu’il a déjà rejeté, le 25 janvier, un précédent projet de gouvernement. Les Nations unies appellent les parlementaires, qui pourraient se prononcer ce mardi, à approuver une«opportunité unique» – la seule aux yeux des grandes puissances susceptible de contrer l’EI et de maîtriser les flux de migrants vers l’Europe. Mais cette solution concoctée par l’ONU continue de susciter des oppositions en Libye, cinq ans après le début de la révolution.

Un pays, deux zones et deux gouvernements

Depuis la fin de l’été 2014, la Libye est divisée en deux zones, est et ouest, chacune contrôlée par un Parlement et un gouvernement. Le 17 décembre, un accord politique sous l’égide de l’ONU est signé à Skhirat, au Maroc. Il prévoit la formation d’un gouvernement d’union nationale et la mise en place de deux assemblées : une Chambre des représentants (CDR), dont les élus sont ceux qui siègent au Parlement de Tobrouk (à l’est), et un Conseil d’Etat – l’équivalent du Sénat – composé de membres du Congrès général national (CGN), l’assemblée de Tripoli (à l’ouest). L’ONU a nommé un Conseil présidentiel composé de neuf membres dirigé par Faez Serraj, le Premier ministre du futur gouvernement d’union national, en charge d’établir l’équipe ministérielle. C’est ce qui a été fait dimanche.

Mais en Libye, tout le monde attend toujours le coup d’après. Sans savoir lequel ce sera : bombardements aériens, arrivée de troupes au sol, débarquement de Casques bleus, nouvel attentat d’envergure ? C’est la question à 1,7 million de barils de pétrole journaliers (production maximale jamais atteinte, selon la compagnie nationale pétrolière), à 5 000 jihadistes (estimation de l’administration américaine) et à 1 million de migrants (d’après une étude des renseignements militaires français). Autant de chiffres qui préoccupent la communauté internationale.

Surtout, loin de simplifier la donne politique, l’accord de l’ONU l’a complexifiée. Martin Kobler, le représentant des Nations unies en Libye, le répète en permanence : le gouvernement d’union nationale est le seul légitime et il a vocation à s’installer dans la capitale libyenne. Une ville plus deux gouvernements, en arithmétique libyenne, équivaudrait à une troisième bataille de Tripoli, après celles de 2011 et de l’été 2014, qui ont débouché sur l’actuelle scission politique. «Le consensus est impossible, tôt ou tard, il y aura des affrontements à Tripoli», prédit Emhemed Chouaïb, premier vice-président de la Chambre des représentants de Tobrouk et signataire de l’accord de Skhirat.

Il suffit d’ailleurs, pour s’en rendre compte, de poser une question à Salah Smaio, vice-ministre de l’Intérieur du gouvernement basé à Tripoli : «Avez-vous une stratégie si le gouvernement d’union nationale s’installe à Tripoli avec l’aide de l’ONU pour prendre en main les ministères ?» Smaio esquive la question en affirmant que si le gouvernement a la légitimité de la population libyenne, il sera protégé par les forces armées du ministère. Mais à cette même conférence de presse, le ministre des Affaires étrangères, Ali Zakouk, se délecte d’alimenter la polémique : «Ce gouvernement [d’union nationale] n’est pas légal.» Quelques heures auparavant, dans son bureau, le chef de la diplomatie tripolitaine menaçait : «Nous ne leur donnerons pas la ville sur un plateau d’argent.»

A l’image de cette scène, le pouvoir de Tripoli se déchire entre ceux qui tentent de modérer leur position et les jusqu’au-boutistes. Les divisions touchent également les partisans d’un accord, qui en sont venus aux mains. Les photographes ont immortalisé un pugilat entre les deux vice-Premiers ministres et membres du Conseil présidentiel, Ahmed Mitig et Ali Gatrani, lors d’une réunion à Skhirat, au Maroc. Motif de la querelle : la nomination du ministre de la Défense. Ali Gatrani voulait absolument que le portefeuille, hautement sensible, revienne à Khalifa Haftar, ancien officier sous Kadhafi et bras armé du pouvoir à Tobrouk. Son adversaire, lui, est le chantre de la ligne «Tout sauf Haftar». Ce dernier n’a pas été retenu dans la liste établie dimanche.

Dialogue intra-libyen

Cet échange de coups, largement repris sur les réseaux sociaux, a fait les délices des partisans du dialogue intra-libyen. Opposés depuis le début à la solution initiée par l’ONU, ils proposent un autre plan : un comité de trente-cinq membres – sept issus des deux Parlements existants et sept provenant de chacune des trois régions du pays – chargé d’appliquer le retour à la Constitution de 1951, amendée en 1963. Avec un Premier ministre ou un président temporaire pour exercer le pouvoir exécutif, la CDR et le CGN – les deux Parlements concurrents – se partageant à égalité le pouvoir législatif.

«La communauté internationale pousse le gouvernement de Seraj pour que ce dernier autorise le bombardement du pays. Si Faez Seraj met les pieds à Tripoli, ce sera une déclaration de guerre», prévient Abdelkader Oueli, député du Congrès national. Cet élu n’est pas forcément réticent à une intervention aérienne de pays étrangers contre l’EI, notamment à Syrte, mais pas au prix de ce qu’il considère comme une perte de la souveraineté nationale.

La difficile gestation du gouvernement chapeauté par l’ONU, le sentiment nationaliste et la crise financière (le déficit du budget de 2015 s’élève à 25 milliards de dollars, soit 22,4 milliards d’euros) donnent néanmoins de plus en plus de poids au scénario alternatif, que les Nations unies ont toujours refusé de prendre en considération. Chaque vendredi, depuis septembre 2014, la ligne anti-ONU organise des manifestations sur la place des Martyrs, dans le centre de Tripoli. Les slogans ont changé au gré de l’agenda politique. Celui qui fait fureur ces derniers temps est limpide : «La Libye n’est pas à vendre, non à la tutelle internationale.»

Ce plan souffre cependant d’une faiblesse quasi rédhibitoire : la personnalité de ses promoteurs, dont les plus importants sont les présidents des deux assemblées, Nouri Abou Sahmain (CGN) et Agila Saleh (CDR). Ils sont perçus par la population comme les principaux responsables de la crise du pays. Et en coulisse, l’ONU brandit le bâton : elle pourrait geler les avoirs étrangers des opposants à son plan et les empêcher de voyager.

Retour à la monarchie ?

D’un côté, le plan de la communauté internationale est perçu comme une solution d’étrangers par les étrangers et pour les étrangers ; de l’autre, le texte intra-libyen est porté par des responsables largement discrédités et sous la menace de sanctions. A partir de ces constats, un troisième groupe, souvent raillé en Libye, commence à imposer sa voix : les monarchistes. Ils veulent installer sur le trône Mohammed el-Senussi, petit-neveu et descendant direct du roi Idriss Ier, destitué par Muammar al-Kadhafi en 1969. A 54 ans, le résident britannique possède deux atouts majeurs : il n’est apparenté à aucun groupe armé ou politique, et son image n’est pas liée à l’échec de l’après-révolution. Responsable du Mouvement national pour le retour de la légitimité constitutionnelle, Fathi Sikta milite pour un retour à la monarchie sur une période de trois ou quatre ans, le temps de pacifier le pays avant de soumettre par référendum la question du régime politique. Preuve qu’ils sont pris au sérieux, les deux Parlements devraient recevoir Fathi Sikta pour qu’il expose sa feuille de route.

Pour convaincre, le fils d’un ex-ministre du roi pointe le parallèle historique : «Le roi Idriss s’est imposé en 1951 car les Libyens avaient alors deux choix : la royauté ou l’éclatement. Aujourd’hui, toutes les solutions ont échoué ou sont en train d’échouer, donc c’est soit Mohammed el-Senussi, soit le chaos.» Sur le plan de la succession, les kadhafistes ne sont pas en reste en citant le nom de Saïf al-Islam. Après tout, il est le fils préféré de l’ancien roi des rois d’Afrique. «Ils peuvent même nommer un Israélien s’il arrive à mettre fin à nos difficultés», ironise un Tripolitain sortant d’une épicerie où le prix du pain a doublé et celui de l’huile triplé.

Mathieu Galtier

Source: liberation

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