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En Côte d’Ivoire, la discrète guerre de succession au sein du plus vieux parti du pays

Le 30 mars s’ouvre un congrès extraordinaire du PDCI qui s’annonce sans surprise. Mais l’hégémonie d’Henri Konan Bédié suscite de plus en plus de mécontents.

Rien ne va plus au sein du plus vieux parti de Côte d’Ivoire. A quelques mois des élections municipales et régionales, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) connaît, de son propre aveu, une « hémorragie », avec le départ massif de ses cadres vers le RHDP au pouvoir. Lundi 27 mars, en conférence de presse, le porte-parole du PDCI Soumaïla Bredoumy a reconnu une « période de fortes turbulences ». « Le parti a connu des départs importants, a-t-il regretté, notamment des cadres à qui le PDCI avait fait confiance en leur confiant des missions de premier rang. » Mais les turbulences sont finies et la transhumance, terminée, a-t-il juré, grâce aux talents de « fin stratège » d’Henri Konan Bédié, à la tête du plus vieux parti politique ivoirien depuis 1994.

A bientôt 89 ans, « HKB » reste la figure tutélaire du PDCI et n’a toujours pas fait mine de nommer un successeur. Outre son âge, sa santé n’est pas bonne. Témoin son malaise en octobre 2022 dans la cathédrale Saint-Paul du Plateau à Abidjan, pour la messe de célébration de la naissance de Félix Houphouët-Boigny, dont il s’est toujours réclamé. « Un coup de chaleur dû à l’humidité ambiante et à une mauvaise aération », avait alors justifié son équipe. En février, il a esquissé à Yamoussoukro un petit pas de danse sur « Magic in the air », du célèbre groupe zouglou Magic System, devant toutes les caméras du pays lors de la remise du prix Félix-Houphouët-Boigny – Unesco pour la recherche de la paix, afin de montrer à la « jeune » garde qu’il en a encore sous le pied. Car ce septième Congrès extraordinaire qui vise à organiser les échéances électorales de la fin d’année, doit déboucher sur un congrès ordinaire, au cours duquel sera élu le président du parti. Et pour l’heure, l’inamovible Bédié reste l’unique candidat.

Face au chef, les têtes se courbent, mais on murmure dans les rangs. Pourquoi ne pas devenir président d’honneur du parti, pour céder la place à un candidat plus sémillant ? « Au-delà de quelques amis et proches qui ont bénéficié de certains avantages directs, aucun des deux clans ne souhaite qu’il soit candidat en 2025 », souffle un observateur du PDCI. Même les dates du congrès, initialement prévu en décembre 2022 avant d’être reporté, ont provoqué une querelle en interne.

« Se maintenir jusqu’en octobre »

Niamien N’Goran, intime de Bédié et à la tête du comité d’organisation de la future réunion, avait annoncé la date du 25 mars auprès de quelques cadres du PDCI. Mais le secrétaire exécutif en chef du parti, Maurice Kakou Guikahué, avait aussitôt répliqué par voie de communiqué en dénonçant « la forme irrégulière de cette convocation du congrès », et Henri Konan Bédié avait dû convoquer une réunion de crise dans son fief de Daoukro le 9 mars. C’est finalement la date du 30 mars qui a été retenue et, cette fois, dévoilée à la presse, par Soumaïla Bredoumy.

Car, au sein du parti, deux clans s’opposent. D’un côté, les partisans de Maurice Kakou Guikahué, pour la plupart des alumni du Mouvement des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (MEECI), syndicat étudiant proche du PDCI et disparu en 1990. De l’autre, les fidèles du directeur de cabinet de Bédié, Bernard Ehouman, et de Niamien N’Goran. Dans les rangs des jeunes du PDCI, on les surnomme les « Camorraciens », du nom de la mafia napolitaine, car plusieurs d’entre eux auraient été mêlés à des détournements de fonds. Aucun n’a montré pour l’heure de velléité de rupture.

Si la place de dauphin se jouait à l’ancienneté, c’est à Maurice Kakou Guikahué qu’elle devrait revenir. Le cardiologue était déjà le médecin personnel du premier président de Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, avant de devenir le bras droit de « HKB ». Il a occupé le ministère de la santé dans son gouvernement jusqu’au coup d’Etat de 1999, malgré des accusations de détournement de fonds européens destinés aux hôpitaux. C’est à lui encore que Bédié a accordé le poste de secrétaire exécutif du PDCI en 2013, qu’il n’a pas lâché depuis. « A l’origine, le poste devait être tournant, mais M. Guikahué est resté le maître à bord sans être inquiété, souligne Germain Kassi, coordinateur général adjoint de la Marée verte, une organisation de jeunes militants proche du parti. Je pense que son statut est l’enjeu non déclaré de ce congrès extraordinaire. Dans le camp Guikahué, le but est d’aller de congrès extraordinaire en congrès extraordinaire pour qu’il n’y ait pas de congrès ordinaire et qu’il puisse se maintenir jusqu’en octobre. »

L’hégémonie de M. Guikahué a commencé à vaciller lors de la débâcle de la présidentielle 2020, où il était le directeur de campagne d’Henri Konan Bédié. La stratégie de boycottage actif n’a pas empêché la réélection d’Alassane Ouattara. Jadis matrice politique de la Côte d’Ivoire, le PDCI n’est jamais parvenu à reconquérir le pouvoir depuis 2010 et se trouve désormais exclu de la plupart des instances dirigeantes. Or, c’est à Maurice Kakou Guikahué, plutôt qu’au vénéré patriarche, qu’une bonne partie des cadres et militants reprochent cet échec. Henri Konan Bédié lui-même a fini par le lâcher en acceptant de le remplacer à la présidence du groupe parlementaire par Simon Doho, que Guikahué a immédiatement pris en grippe.

« Bataille larvée »

Trois nouveaux rivaux ont ensuite débarqué fin 2021, avec une vague de nominations décidée par « HKB » qui élèvent trois cadres du parti à la dignité de vice-président. L’ancien ministre du pétrole Thierry Tanoh, chargé des finances du parti, le maire de la commune d’Agnibilékrou Roger Mandodja M’Bia et l’ex-directeur de cabinet d’Henri Konan Bédié, Narcisse N’Dri Kouadio, arrêté pendant les troubles post-électoraux de novembre 2020 et incarcéré jusqu’à août 2021. Un rival de taille, mais de courte durée puisqu’il rejoint le RHDP, au pouvoir en janvier 2023. « Pour l’heure, nul n’a ouvertement osé faire front à Bédié sur le congrès à venir, observe un connaisseur du parti. C’est une bataille larvée, une bataille de positionnement. Mais les différents courants ne se font pas de cadeaux. Toutes les stratégies sont possibles : mieux embrasser Bédié afin de l’étouffer, ou le défendre envers et contre tous afin de mieux se positionner.  »

Deux autres noms reviennent sur les lèvres quand on évoque le renouveau du parti. Il y a d’abord l’héritier Jean-Louis Billon, fils de Pierre Billon, le fondateur du groupe industriel Société immobilière et financière de la Côte africaine (SIFCA) et l’une des plus grandes fortunes du pays. Ministre du commerce de 2012 à 2017, il tente depuis des années de se positionner dans l’ordre de succession au PDCI. Mi-janvier, il avait osé déclarer sur RFI son intention d’être candidat à la présidentielle de 2025. Pis, il avait demandé le retour de la limite d’âge à 75 ans pour les présidentiables, ce qui aurait écarté de facto son propre leader. Autant dire un crime de lèse-majesté.

Et puis il y a Tidjane Thiam. Economiste de renom, l’homme a pour lui son ascendance, étant le neveu de l’ancien président Houphouët-Boigny, donc son successeur dans la loi matrilinéaire baoulé, ainsi qu’un CV prestigieux dans la fonction publique et le secteur privé. Sorti major de Polytechnique en France, il a exercé comme ministre du plan et du développement dans le gouvernement d’Henri Konan Bédié avant de poursuivre une brillante carrière en Europe et devenir le premier président noir du Crédit suisse, qu’il redresse en moins de cinq ans. Mais Tidjane Thiam a bâti sa vie hors de Côte d’Ivoire depuis vingt ans, et en dépit des ambitions qu’on lui prête, n’a jamais manifesté son intention de vouloir plonger dans l’arène politique. Sauf retrait surprise d’Henri Konan Bédié et faute d’un candidat alternatif suffisamment solide et consensuel, le congrès extraordinaire du 30 mars s’annonce comme un non-avènement.

Source: Le Monde

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