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Dr Nacouma Augustin Bomba se prononce sur la crise éducative : « Pour tout pays qui se respecte, le domaine de l’éducation, de la santé et de l’armement doit être pris au sérieux »

Le Mali rencontre divers problèmes notamment en milieu scolaire parfois du côté des professeurs soit de celui des élèves et étudiants. Ils revendiquent tous leurs droits et la réponse du Premier ministre ne les a guère enchantés. Comme nous l’a si bien dit Fidel Castro, « si dans un pays tu n’as pas accès à la santé, l’éducation, la justice et la culture, tu as le droit de te rebeller ». Ces propos peuvent-ils justifier cette rébellion des enseignants et élèves ? Face à cette situation déplorable, notre équipe s’est rendue à l’université des Lettres et des Sciences humaines de Bamako plus précisément à la Faculté des Sciences humaines, Sciences de l’éducation, pour rencontrer Dr Nacouma Augustin Bomba, professeur au département de philosophie, il est également chef de département philosophie. Nous vous proposons de lire l’interview !

Le Pays : monsieur le chef de département, aujourd’hui des écoles fondamentales aux écoles supérieures, nous constatons des mouvements de grèves, tantôt de la part des élèves tantôt de la part des étudiants. Comment comprendre ces situations aujourd’hui ?

 Dr Nacouma Augustin Bomba : la grève est un droit, mais elle doit être faite dans les limites de l’acceptable. La situation qui prévaut actuellement n’est pas une question de revendication, mais plutôt de justice, d’application de la loi, d’application de ce qui était convenu ou bien un consensus si on peut le dire ainsi. Donc je ne vais pas totalement dire que la faute incombe aux enseignants ou au gouvernement, mais si chacun respecte ses engagements, je pense qu’on n’en serait pas là. Parce que l’enseignant est le travailleur, c’est lui qui fournit plus d’efforts, je ne dirais pas que les autres ne font rien, mais celui qui fournit plus d’efforts, mérite d’être dans les conditions. Pour tout pays qui se respecte, le domaine de l’éducation, de la santé et de l’armement doit être pris au sérieux. Mais si dans un pays il y a toujours des débrayages dans l’éducation, ça mène à se poser la question : quel est le degré de priorité de cette aire éducative pour les dirigeants de ce pays-là ? Ce n’est pas souhaitable qu’on parte en grève, mais si les accords ne sont pas respectés, si les gens ne sont pas dans les conditions, que faire ? On ne peut pas non plus leur demander de ne pas faire la grève puisque c’est un droit objectif.

On parle beaucoup dans les rues voire dans les familles de la baisse du niveau des élèves et des étudiants. Aujourd’hui, est-ce qu’on ne pourrait pas dire que cette baisse de niveau est liée à ces grèves intempestives à tous les niveaux ?

Oui d’une part, la baisse du niveau est liée à ces sorties, à ces grèves, mais je dirais plus fondamentalement que cette baisse est tributaire du système même adopté par notre pays. Qu’est-ce qui fait qu’avant le niveau était quand même acceptable ? Donc, c’est le système qui n’est pas adapté. C’est comme si notre pays est devenu une sorte de cobaye dans lequel ceux qui détiennent le financement viennent essayer tous les systèmes. Je situerais la baisse des niveaux à cette pratique. Quand tu pars dans les primaires, les fondamentales, même les enseignants qui dispensent les cours n’ont pas assez de niveaux. On se demande comment ils font pour enseigner nos enfants. Le problème, c’est vraiment le système.

Et vous en tant que chef de DER, un professionnel du domaine de l’éducation, est-ce que vous essayez d’interpeller le gouvernement par rapport à cette situation afin que vous puissiez vous asseoir autour d’une table et discuter du contenu même de ce système éducatif pour rehausser le niveau des élèves ?

Quand on dit le système, c’est plus politique que technique ou bien pédagogique. Qu’est-ce que nous, on peut dire ? On n’est pas des hommes politiques et on n’a pas le pouvoir de décision. On n’a rien.

Mais les philosophes sont connus quand même pour ne pas avoir la langue dans la poche ?

Oui, mais on en parle lors des débats, lors des soutenances, mais ça s’arrête là parce qu’on ne sait pas à qui exactement il faut s’adresser finalement. Même si on s’adresse aux structures appropriées, est-ce que ça va aller loin, parce que c’est une question quand même de manque de financements et de volonté politique.

Nous savons que depuis un moment, il y’a un mouvement de grève au niveau des écoles fondamentales, déclenchées par la synergie syndicale signataire du 15 octobre 2016 et le week-end surpassé, le Premier ministre a fait part de la décision de recruter de 15 mille volontaires sortants des IFM, par le gouvernement. Quelle analyse faites-vous de ce bras de fer ? Pensez-vous que ce recrutement pourrait être une solution à cette crise ?

Il y a un problème, au lieu de faire face à ce problème, on en ajoute davantage. Est-ce que le recrutement de ces 15 mille enseignants va permettre de faire face à ce problème-là d’autant plus que ce n’est pas recruter en supplément, mais recruter en remplaçant. D’ailleurs, vous n’avez pas donné toutes les informations puisqu’on parle de radiation des enseignants présents et du recrutement de nouveaux enseignants. C’est alors un retour à la case de départ. Cela ne changera rien. Au contraire, ça ne peut que créer d’autres problèmes, parce que les nouvelles recrues seront dans les mêmes conditions que ceux qui sont là actuellement et qui ont un statut particulier dont l’article 39 dit qu’à chaque augmentation sur la rémunération des autres fonctionnaires, ils seront concernés. Dans ces contextes, la radiation ne résoudra le problème, puisque ceux qui seront recrutés en remplacement des radiés, une fois dans de mauvaises conditions, vont aussi revendiquer.

Donc l’école malienne se trouve aujourd’hui confrontée à un problème politique ?

C’est une question de décision politique, d’orientation politique.

Au niveau du supérieur aussi on sent que ça ne va pas trop, notamment avec l’introduction du système LMD, beaucoup d’étudiants pensent que ce système est devenu un enfer pour eux dans la mesure où au lieu de passer une année dans une classe on passe deux ans et qu’en plus de cela il y’a des grèves tout le temps et qu’il y’a aussi un problème de documentation alors que ce système demande beaucoup plus de travail aux étudiants qu’aux professeurs. Quelle explication pouvez-vous nous donner à ce sujet ?  

Par rapport au système LMD, les gens doivent comprendre que l’année ne sera plus comptée en termes d’année universitaire, mais en termes de semestres. Du premier semestre au sixième semestre, pour la Licence, et du septième au dixième semestre pour le Master. Les semestres continuent en termes d’année. Si entre temps, il y’a des ruptures dues aux débrayages, aux grèves, si le nombre de semaines déterminées pour valider un semestre n’est pas atteint, on ne doit plus dire que c’est telle année ou telle année, car en ce moment, on n’est plus dans le cadre 2018-2019, 2019-2020, mais plutôt dans le cadre des semestres. C’est ce que les gens doivent se mettre en tête.

Par rapport à la documentation, aux livres. Depuis que l’université du Mali d’abord, ensuite de Bamako, est créée, nous sommes dans ce problème-là. On a créé l’université sans penser à une bibliothèque. Il n’y a pas de bibliothèques. Je pense que c’est la plaie même du système éducatif malien. C’est pour dire qu’au niveau supérieur, on ne trouve pas de livres. Chez nous au département philosophie, on est en train de tisser des partenariats avec des gens, des professeurs et d’autres personnes pour nous faire parvenir des livres. Mais chaque année, le rectorat nous demande d’envoyer une liste des livres dont nous avons besoin, mais rien depuis là. Ce n’est pas parce qu’on ne fait pas la demande, on fait la liste chaque année. Finalement, on a constitué une base de données qui est là, chaque fois qu’on nous demande d’exprimer nos besoins, on imprime et on les leur donne. Mais il n’y a rien. Pas de livres.

Pourtant par rapport à cette histoire de documentation, il y a aujourd’hui beaucoup de voix qui se lèvent pour accuser les professeurs, notamment ceux au niveau de la philosophie de ne pas être productif en matière de rédaction de livres. Que répondrez-vous à cette critique-là ?

Il y a d’abord deux revues dans lesquelles les professeurs publient : Recherches africaines et Revue malienne de langues et de littératures. Je pense alors que nous produisons suffisamment. Si les gens veulent savoir si les professeurs écrivent ou pas qu’ils se tournent du côté de ces revues-là pour s’en procurer et ils verront s’ils écrivent ou pas. Maintenant par rapport à la rédaction des livres, il va falloir mettre en place une politique d’aide à l’édition parce que l’édition d’un livre coûte très chère. Mais, s’il y avait des politiques de soutiens à l’édition, cela aiderait les professeurs à publier des livres surtout qu’en philosophie, on ne publie pas un livre comme un roman. Ici, le livre est quand même le fruit d’un travail de recherche. On sait qu’il n’y a aucune subvention accordée aux professeurs pour la recherche. Les primes accordées pour la documentation atteignent à peine 20 mille FCFA. Alors qu’en Côte d’Ivoire, par trimestre, les professeurs ont 500 mille francs comme primes de recherche. Ainsi, les professeurs n’ont pas besoin de se tuer à chercher des heures supplémentaires. Ils se consacrent non seulement à l’enseignement, mais aussi à la recherche et à la production des documents. Mais si tu es trop pris par les cours, tu n’as pas trop de temps pour écrire. Donc il va falloir mettre en place un système de soutiens à la recherche et à la publication. Une fois que cela se fera, les gens verront comment nous produirons.

Par rapport à l’aide à l’édition, dans certains pays de la sous-région on constate aussi qu’il y a des Presses universitaires, mais qu’est-ce qui fait que chez vous ici il n’y en a pas encore ?

Vraiment, je ne sais pas pourquoi il n’y en a pas encore ! Je ne saurais répondre à cette question, mais je sais quand même que dans la Cité universitaire de Kabala Phase deux, dans les projections, une place, un bâtiment est réservé pour cette Presse universitaire. C’est prévu dans Kabala deux.

Quel sera votre mot de la fin ?

C’est un mot de remerciement à l’endroit du journal Le pays et d’encouragement à l’endroit de mes collègues. Je leur demande de persévérer dans le travail. Que Dieu bénisse le Mali !

Réalisée par Fousseni Togola

Oumou Cissé, stagiaire

LE PAYS

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