Le directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S) livre son analyse sur la prise du pouvoir par les Talibans en Afghanistan. Même, s’il reconnaît que cette nouvelle donne pourrait galvaniser les groupes terroristes qui opèrent au Sahel, il écarte la possibilité que le même scénario se reproduise dans notre pays
Le dimanche 15 août dernier, après plusieurs jours de combats, l’Afghanistan est tombé entre les mains des Taliban après l’effondrement des forces gouvernementales et la fuite à l’étranger du président Ashraf Ghani.
Le fulgurant triomphe des insurgés islamistes, qu’ils ont célébré dimanche soir en investissant le palais présidentiel à Kaboul, a déclenché des scènes de panique dans le pays. Le même sentiment d’inquiétude anime aujourd’hui les populations des pays du Sahel dont le nôtre qui fait face, depuis près d’une décennie, à la montée en puissance des adeptes de l’islam radical à l’image des nouveaux maîtres de Kaboul.
Sur le sujet, Dr Aly Tounkara estime qu’à première vue, l’on peut penser que la situation afghane pourrait avoir des répercussions sur l’insécurité au Sahel et au Mali de façon particulière. Mais à regarder de plus près, dit-il, on se rend compte que les Talibans sont des acteurs qui n’ont pas eu dans leur parcours, cette ambition d’étendre leur mode de gouvernance à d’autres pays. «Ils ont toujours voulu que l’Afghanistan soit gouverné par leur façon de voir les choses. De Mollah Oumar à aujourd’hui, c’est toujours le combat que mènent les Talibans», souligne Dr Aly Tounkara qui reconnaît que cette situation pourrait avoir des répercussions sur le terrorisme dans le Sahel et au Mali en particulier.
EFFET DOMINO- À cet effet, le directeur du CE3S pense que l’on pourrait assister à une sorte d’effet domino. Le chercheur rappelle que les Talibans ont été combattus par une coalition menée par les Américains pendant 20 ans. Les Américains ont formé l’armée afghane et investi plus de 2.000 milliards de dollars dans diverses opérations malgré tout ils ne sont pas parvenus à empêcher le retour des Talibans au pouvoir.
Dr Tounkara estime que cela pourrait être perçu par les groupes radicaux violents dans le Sahel comme une sorte de gage de mobilisation, même de galvanisation des troupes. En somme, analyse notre interlocuteur, Al-Qaïda ou l’État islamique au Sahel pourraient demander à leurs hommes de patienter, de rester déterminés, en se référant au cas afghan, pour dire que tôt ou tard, ils finiront par appliquer la charia au Mali ou dans le Sahel de façon plus étendue.
L’autre face de la médaille dans cette situation afghane que Dr Tounkara a signalée est que les Talibans ont toujours impacté le quotidien des populations locales. Le spécialiste soutient qu’avec le cas afghan, trois scenarii sont plausibles avec un départ non concerté de l’armée française. Le premier scénario qu’il a souligné est une avancée des groupes armés terroristes dans le Sahel et au Mali notamment dans les Régions du Nord vers les villes. À ce niveau, il précise que jusqu’ici, le terrorisme malien est rural. Et cette hypothèse pourrait amener les terroristes à occuper certains centres urbains qui, aujourd’hui, échappent à leur contrôle.
VELLÉITÉS INDÉPENDANTISTES- Pour le directeur du CE3S, le deuxième scénario qui pourrait se produire dans le contexte malien dans la durée avec la structuration de la Force Takuba, c’est de voir que de groupes radicaux violents arrivent à avoir des poches à partir desquelles, ils pourraient appliquer ce qu’ils entendent par « la charia ».
Dr Aly Tounkara prévient que le scénario catastrophe qui pourrait arriver au Mali avec un départ non concerté de la France toujours sous l’effet domino du cas afghan, c’est de voir l’ex-rébellion de la Coordination des mouvements de l’Azawad (qui reste encore armée) continuer à nourrir des ambitions indépendantistes. Pour lui, il n’y a rien d’étonnant qu’avec une présence affaiblie des forces étrangères sur le territoire malien, de nouvelles velléités séparatistes refassent surface.
En résumé, le chercheur est convaincu que le scénario afghan ne peut se produire de façon systémique au Mali parce que déjà, les Talibans étaient au pouvoir avant la venue des Américains et des autres pays de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord). Aussi, ils restent ultra majoritaires en Afghanistan contrairement au Mali où les groupes radicaux violents sont en majorité des étrangers. Ainsi, même s’ils ont de plus en plus des nationaux dans leurs rangs, ils restent en nombre extrêmement bas au regard du reste de la population malienne.
TENSIONS ENTRE LES COMMUNAUTÉS- Autre différence évoquée par le chercheur : le conflit malien est fortement émmaillé par des tensions entre les communautés à cause de l’accès aux ressources naturelles, la gestion du foncier et la question de la gouvernance locale. Mieux, Dr Tounkara dira que dans le cas afghan, l’on a affaire à un ennemi commun que sont les États-Unis d’Amérique. C’est pourquoi, il soutient qu’il n’est pas évident que le même scénario se reproduise dans notre pays.
Cependant, le chercheur est formel : le plan de sécurisation intégrée des régions du Nord en passant par celles du Centre peinent à avoir un ancrage susceptible d’impacter positivement le quotidien de la population.
Ces insuffisances en termes de réponse, de lenteur quant à la reconstitution ou une redynamisation de l’Armée malienne pourraient favoriser une possible poussée des groupes radicaux violents vers les centres urbains.
C’est pourquoi, dans la durée, il reconnait que certains centres urbains dans le Nord et le Centre du pays ainsi que le Sud pourraient être administrés par des philosophies qui n’ont rien à avoir avec la démocratie et la laïcité. Toutefois, il précise que ces éventualités étaient déjà d’actualité dans le contexte malien avant la situation en Afghanistan.
A. T.
Source : L’ESSOR