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Djihadisme au Sahel : Mamadou Diallo propose ’une alternative face à l’impuissance de l’Etat-national post-colonial

A travers cette analyse, Mamadou Diallo s’inquiète de la montée du djihadisme au Sahel malgré les combats menés par l’État qui s’avère presque qu’impuissant face à ce fléau. C’est d’après lui, une ‘’impuissance bien réelle qui en dit long et qui appelle à de nouveaux paradigmes d’action.

Depuis le 30 septembre 2019, mon village Kanrgo dans la commune de Zimtenga, province du Bam, Région du Centre Nord a été la cible d’une attaque de groupes djihadistes déferlant depuis le nord du village qui a fait plusieurs victimes. C’est face à cette situation qu’est née au Bam, l’idée de groupes d’auto-défense à présent traduite par la mise en place et en action des Volontaires de Défense de la Patrie (VDP). Malgré plusieurs tentatives de retour, les populations, ont dû, suite à la dernière attaque djihadiste du 24 décembre 2021 abandonner le village en attendant des jours meilleurs.

La grande majorité des populations des communes au Nord de la province du Bam, frontalières des provinces du Lorum et du Soum sous le feu nourri des attaques et exactions des groupes djihadistes ont quitté leurs villages ; elles sont à présent des Personnes Déplacées Internes (PDI) essentiellement localisées dans la ville de Kongoussi.

A titre personnel, dans la cour familiale, il ne reste plus que des maisons vides et la tombe de mon cher père tous envahis pour ainsi dire par la brousse. Les miens qui vivaient au village sont à présent des PDI dans la ville de Kongoussi naturellement à la charge des autres membres de la famille à Ouaga et Bobo.
La communauté peulh du village à laquelle j’appartiens, est aujourd’hui dispersée qui à Kongoussi, qui au Ghana, qui dans la Sissili, qui à Boussé et qui, je ne sais où encore !

Cette situation personnelle oblige à la réflexion que je me permets de livrer à vos lecteurs.
Bien naturellement, cette réflexion s’inscrit dans l’exploration d’une sortie de crise crédible de la situation sécuritaire globale au Sahel et tout particulièrement au Burkina, au Mali et au Niger. Il nous faut sous peine de lendemains encore plus catastrophiques surmonter la panne d’imaginaire collectif.

Il suffit simplement d’observer que la situation d’échec politique et militaire de Barkhane, l’exacerbation sans précédent de la crise sécuritaire, les coups d’Etat au Mali et au Burkina, la nouvelle donne du mercenariat russe dans le Sahel, sont assurément le résultat de la pression des djihadistes qui doivent comme on l’imagine sans peine boire leur petit lait. Ils le savent, ils ont le temps pour eux, eux qui, comme dit un chef djihadiste « aiment la mort comme nous, nous aimons la vie », cité dans l’ouvrage très instructif de Marc Hecker et Elie Tenenbaum : « La Guerre de Vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle ». Il peut être téléchargé gratuitement à l’adresse Z-lib.org.

J’avais soumis à vos lecteurs quelques réflexions sur la rénovation de l’action politique en Afrique ; ces réflexions ont été approfondies dans un Essai sous le titre « Fondements et dynamique de la rénovation de l’action politique en Afrique » que les éditions Harmattan international m’ont fait l’honneur de publier depuis le 7 mars 2022. Le livre sera bientôt disponible au Burkina.

Dans le prolongement de l’Essai, et comme épreuve de ‘’vérité’’ pour ainsi dire de ses fondements épistémo-politiques, ceux-ci devraient pouvoir articuler et accompagner la mise en chantier de nouveaux paradigmes qui nous ouvriraient une perspective crédible dans la perspective de mettre fin au djihadisme au Sahel en, en donnant l’élan au Burkina.

Lignes de forces de la rupture vers la refondation de l’Etat.

La faillite de l’Etat-National post-colonial est aujourd’hui consommée ; sans entrer dans l’analyse structurelle d’un tel aboutissement qui est faite dans mon Essai, il suffit simplement, pour s’en convaincre, d’observer devant la grave crise que traverse le Sahel, l’incurie et plus encore l’indécence fétide de l’élite gouvernante politique et militaire tant au Mali qu’au Burkina et leur base sociale, les classes moyennes et supérieures occidentalisées.

Certains demandent un retour rapide à une vie constitutionnelle normale afin de renouer avec la fête des élections et de la démocratie parlementaire leur gagne-pain ; les autres veulent — après avoir ‘’mouiller le maillot’’ afin de réussir un coup d’Etat—une transition qui dure le temps qu’il faut pour s’ouvrir la caverne d’Alibaba et pouvoir participer qui sait, en tout cas à la ‘’loyale’’ financièrement à la fête à venir des élections. Et nul doute que ce sera ‘’reparti comme en 14’’.

La Communauté internationale, l’UEMOA, la CEDEAO et l’Union Africaine y sont certainement pour quelque chose dans ce ‘’tournage en rond’’ funeste à notre société et à notre vivre-ensemble. L’essentiel cependant du problème est ici et les solutions aussi sans doute : au sein de l’élite, une large majorité pense avec beaucoup de sincérité que l’Afrique devrait et pourrait s’occidentaliser et que c’est la seule voie de salut. Tout ce qui est fait au plan culturel, politique, militaire, économique, sociale et sociétale, l’est, dans cette perspective. La comédie des bonnets rouges et autres chefs traditionnels en politique n’y change rien.

Les analystes les plus perspicaces tant au Burkina qu’ailleurs soulignent sans ambiguïté les racines profondes des insurrections villageoises portées les djihadistes au Sahel : l’adoption sous contraintes et injonctions diverses, des catégories du politique, de l’économique, de l’Etat-Nation, de la géopolitique propres à l’Occident en passant par pertes et profits celles de nos sociétés villageoises contemporaines dans lesquelles se reconnaissent au moins 90% de nos populations, a conduit aujourd’hui nos sociétés dans l’impasse. On ne peut rien construire de crédible et de solide ainsi à vouloir poursuivre la mission civilisatrice de l’Occident.

Au salafisme (prosélytisme universaliste radical) et ‘’soft cruelty’’ de la civilisation occidentale, les djihadistes sahéliens opposent avec un certain succès pour notre malheur, le salafisme islamique et sa ‘’hard cruelty’’. Les devanciers des djihadistes sahéliens (Nasr El-Din, Malick Si, Souleyman Baal, Usman Dan Fodio, El hadj Omar Tall, Muhammad Ahmad se proclamant le Mahdi de l’eschatologie islamique) d’obédience soufie, ont modelé l’Afrique de l’Ouest et tout particulièrement le Sahel en posant les bases de la conversion de la majorité de la population à l’islam. De même, l ’Afrique de l’Est jusqu’au Soudan au bord du Nil en fut profondément influencée à travers Sokoto avec la création de l’Etat mahdiste en 1884.

Etat qui a résisté avec un certain succès reconnu à la progression colonialiste Anglo-egyptienne.
Ainsi, comme le rappelait dans son article « Les empires djihadistes de l’Ouest africain aux XVIIIe XIXe siècles », Paul. E. Lovejoy : « En 1835, presque toute l’Afrique de l’Ouest se trouvait sous la domination de régimes djihadistes ou était organisée dans la résistance au djihad, résistance qui devait continuer jusqu’à l’occupation européenne et l’établissement des gouvernements coloniaux. Le djihad était l’expression idéologique d’un militantisme musulman justifiant une stratégie militaire de conquête, une réforme intellectuelle et un développement économique fondé essentiellement sur l’esclavage ». Il estime ainsi que « A l’échelle de l’Afrique de l’Ouest, les djihads africains ont eu un impact aussi important que la Révolution Française en Europe et aux Amériques…, et affirmé la centralité de l’islam dans ces sociétés comme jamais auparavant ».

Ainsi Usman Dan Fodio une des figures emblématiques du Djihad au Sahel, son fils et sa fille ont selon Lovejoy « collectivement écrit plus de 1 000 traités et textes divers, principalement en arabe, mais aussi en fulfulde et en haoussa … » qui traitent du « djihad du cœur, du djihad de la langue et des mains et du djihad de l’épée ».

Sans nul doute, les chefs djihadistes actuels d’obédience Salafiste— à contre-courant du soufisme de ses devanciers encore majoritaire et considéré aujourd’hui comme corrompu et au service de l’Etat-National post-colonial— sont partie intégrante de l’élite intellectuelle musulmane ; ils ont été nourris par de tels écrits qu’ils recontextualisent sans doute aujourd’hui avec les injustices vécues par les populations, la violence de l’Etat post-colonial qui a pris la relève de l’Etat colonial en ce domaine, les conflits communautaires autour de la gestion des ressources naturelles, la corruption celle des aristocraties traditionnelles et musulmanes, les dérives sociétales portées par la civilisation occidentale, l’esclavage domestique et les discriminations de castes encore vivaces dans certaines communautés, etc.

Ainsi, s’explique leur ancrage social plus que significatif et les formes de gouvernement indirect qu’ils mettent en place dans les zones sous leur contrôle ; leur ambition d’une nouvelle reconfiguration de l’Afrique de l’Ouest est ainsi en marche.
La fin du djihadisme au sahel appelle ainsi on en conviendra aisément, de nouvelles modalités du politique, de l’économique, de l’Etat autres que celles de l’Etat-Nation post-colonial et de ses partenaires de toute obédience ; elles doivent, sous peine d’inefficacité, être ancrées dans la plénitude culturelle des sociétés villageoises contemporaines.

Pour ceux qui veulent réfléchir, il suffit d’observer tant au Mali qu’au Burkina, les stratégies diverses de digestion ou de ‘’containment’’ des djihadistes dans les zones sous leur contrôle, articulées par les populations qui y vivent et constituent encore l’immense majorité des populations gravement affectées par la crise sécuritaire ; elles peuvent sans doute aussi permettre d’anticiper dans les zones non encore gravement atteintes et alimenter ainsi, le renouveau de la décentralisation sous un modèle délibératif et participatif ; cela à contre-courant du modèle de la décentralisation, bureaucratique, affairiste et corrompue promue par l’Etat-National post-colonial ces derniers années et qui ont accentué et diffusé à la base pour ainsi dire la mauvaise gouvernance.

Ces stratégies de digestion avaient du reste, déjà opéré sous la colonisation et face aux religions du livre qui ont déferlé en Afrique subsaharienne y compris le djihad des XVIIIe et XIXe siècles.

Qu’est-ce à-dire ? Il nous faut rompre avec le modèle actuel de gouvernance politique ; autrement dit mettre les sociétés villageoises et l’économie réelle-celle des millions de burkinabè, au poste de commandement afin de construire dans le feu même de la crise sécuritaire que nous vivons, un Etat Multinational, Délibératif et Participatif comme modèle alternatif à l’Etat post-colonial des islamistes en émergence et celui des élites urbaines occidentalisées en faillite.

Par où commencer ? : Engager sans plus tarder notre mouvement collectif sur le chemin de la renaissance.

Ce mouvement doit d’abord s’enclencher au sein de l’élite qui croie sincèrement à la Renaissance Africaine et qui se bat déjà sur le terrain au travers d’initiatives crédibles diverses, et au sein de notre élite déçue de la politique politicienne, remise de ses illusions démocratiques ou révolutionnaires qui cherche à ‘’servir et non se servir’’.
Ces élites sans l’autorisation de personne et sur la base de leurs moyens propres et endogènes pourraient mettre en chantier des plateformes de réflexions et d’appui aux secteurs devant articuler concrètement la rupture et la refondation de l’Etat.

Tout ce mouvement peut être organisé autour d’une transition politique construite autour de 10 secteurs d’initiative et d’action politique et de modalités nouvelles et efficaces dans la lutte contre la corruption et la réduction du train de vie de l’Etat (modèles de coordination de l’action gouvernementale, d’organisation des administrations civiles et d’organisation de l’administration du territoire).
En ce qui concerne les secteurs de notre mouvement collectif vers la renaissance, ils sont articulés comme suit :

1. Secteur des Populations Affectées par la crise sécuritaire et de la Décentralisation
2. Secteur de l’Economie Sociale et Solidaire
3. Secteur de la Renaissance culturelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

4. Secteur des Services Sociaux de Base (Enseignement primaire et secondaire, Santé, Eau potable, Assainissement)
5. Secteur de l’Economie Villageoise : Agriculture, Elevage, Pêches, Forêts, Pistes rurales et Artisanat
6. Secteur de l’Administration et des Finances publiques (Administration du territoire, Fonction publique, Travail, Sécurité sociale, Trésor, Budget, Douanes, Impôts)

7. Secteur de l’Economie formelle (Grandes industries et entreprises, PME, Banques, Assurances, Energie, Transport, aménagement urbain, TIC)
8. Secteur de la Défense et de la Sécurité (Etat major général-COIA, Etats majors-Terre, Air, Gendarmerie et Affaires sociales, Police)
9. Secteur de la Justice, des Réformes institutionnelles et de la Coopération Africaine
10. Secteur des Affaires étrangères et de la Coopération internationale
Je ne puis en dire d’avantage car du haut de mes soixante-dix ans, je sais qu’ensemble on est toujours meilleur et plus créatif que tout seul !

DIALLO Mamadou
74 50 18 59.

 

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