Unis par l’amour et par le talent, ils représentent l’Afrique d’aujourd’hui, urbaine, entre son attachement à son histoire et la furieuse envie de croire en l’avenir. Ils sont à la fois à l’aise sur les mélodies traditionnelles que sur les rythmes des musiques urbaines
C’est un jeune couple, uni dans la vie comme dans la musique, qui est en train de donner un nouveau souffle à la musique malienne, particulièrement celle du khasso. En effet, après avoir été lauréat chacun du concours de chant d’une émission intitulée : « Tounkagouna », ils ont entrepris de se frayer un chemin dans l’univers de la musique. Le destin les a amenés à se croiser. Ainsi, du fait de la proximité de leur feeling, le courant est très vite passé. Le duo chante à l’unisson, explique Fousseiny Sissoko. Et du coup les festivals, notamment en France, se les arrachent. Ils se sont déjà produits à deux reprises sur deux éditions successives d’Africolor, trois fois au grand théâtre de Grenoble et d’Annecy. Ils ont égayé le public à Marseille, à Mulhouse, au Festival de Budapest en Hongrie.
Ce nouveau couple de la musique malienne, originaire de la Région de Kayes, s’est forgé une réputation dans toute l’Afrique de l’Ouest par le biais des télé-crochets « Tounkagouna » et « L’Afrique a un incroyable talent ».
« Kayeba Khasso », leur premier album, est enraciné dans la tradition griotique dans laquelle ils ont grandi l’un comme l’autre, tout en s’autorisant de délicats pas de côtés qui font le charme des neuf titres de cet album. Les autres titres de l’album sont en plus du titre éponyme de l’album « Kayeba khasso », « Yiriyoro », « Miniamba », « Mangoya » de Djénéba, « Kono », « Salimou » et « Djougouya » featurin avec Iba One.
Ce premier album vient asseoir la notoriété naissante du couple présenté par la comédienne Claudia Tagbo et membre du jury de « L’Afrique a un incroyable talent », comme « le nouveau couple malien », en référence à Amadou et Mariam. Ancrés dans la tradition musicale mandingue, les 9 titres de cet album abordent tout autant des thèmes ancestraux que des thèmes d’actualité.
« Kono » dont le titre en bambara signifie oiseau, évoque le « macari kono », un oiseau pitoyable dont le cri décrypté par les anciens peut annoncer la mort, un cri porteur de mauvaises nouvelles. « Miniamba » est une chanson traditionnelle réorchestrée ici pour accueillir le violoncelle de Valentin Ceccaldi, et dont les paroles ont été modifiées pour parler aux migrants de la douleur de leurs parents et leur rappeler que nul ne peut échapper à la mort explique Djénéba.
Djénéba est une des voix les plus fascinantes du Mali d’aujourd’hui. Ce visage juvénile masque à peine son impressionnante maîtrise de la science des Djéli, les Kouyaté, descendus tout droit de Balla Fasséké Kouyaté, premier griot de l’empereur Soundiata Keita. Son art de l’improvisation et de la louange a charmé le Mali lors du fameux télé crochet national « Tounkagouna » qu’elle remporta haut la main en 2010.
Quant à Fousco, guitare à la main, il rejoint la lignée des grands faiseurs de chansons de la région de Kayes, les Habib, les Kar Kar. à l’ombre de ces géants, il a rencontré Djénéba après lui avoir succédé au palmarès de «Tounkagouna ». Voix affirmée et timbre mandingue assumé, il sait déjà conjuguer douceur et blues, mélodie et groove, dans ses compositions.
INFLUENCES MUSICALES- Portés par ces deux voix, les rythmes du Mandé trouvent ici une nouvelle vigueur en flirtant avec des influences musicales proches comme le blues touareg et ses guitares électriques remarquables sur Fousco & Djénéba ou plus lointaines comme les accents reggae de Kono.
« En 2005, Djeneba qui n’avait pas encore treize ans est venue à Kayes, travailler cinq mois avec mon père, afin de préparer la Biennale artistique et culturelle. C’est lors de cette manifestation que s’affrontent par le biais de présélections locales et régionales et de sélections nationales, tous les talents du Mali. Moi, j’avais 17 ans et venais d’obtenir mon diplôme de l’Institut national des arts (l’INA) à Bamako où j’avais passé quatre ans. En vacances pendant plusieurs mois chez mon oncle à Sikasso, je ne l’ai pas rencontrée. C’est ma grande sœur qui, plus tard, m’a parlé d’elle, car Djénéba avait animé son mariage », se souvient Fousco.
Pendant ses années à l’INA, Fousco s’est lié d’amitié avec Sidiki Diabaté, le fils du virtuose de la kora, Toumani Diabaté. « On nous prenait pour des jumeaux, mêmes habits, mêmes motos. Après l’INA, Sidiki était devenu beat-maker pour la scène hip hop et m’a proposé de faire un featuring avec Iba One, un rappeur très célèbre au Mali. « Djougouya » (La Méchanceté) a été un succès et m’a permis de tourner dans les 8 régions du Mali. Ensuite, avec Sidiki, on a monté Djeliya, notre propre groupe. Malheureusement, ses activités de producteur et les tournées à travers le monde avec son père ne lui ont pas laissé de temps pour notre aventure. Un groupe qui ne répète pas, n’est pas un groupe”, lâche-t-il résigné.
« Sur les conseils de Toumani, son fils et moi avons alors postulé au concours d’entrée au Conservatoire Balla Fasséké Kouyaté dans le but de poursuivre notre formation, afin de ne pas se limiter à l’INA. Nous avons été admis. J’ai été jusqu’au bout du cursus. Sidiki, faute de temps, s’est arrêté en 2è année. Ensemble, nous avons enregistré Salimou, une chanson qui parle aux buveurs d’alcool. Au pays, peu de personnes savent que c’est moi qui chante. Nombreux sont ceux qui pensent que c’est un Guinéen parce que je chante en bambara et en malinké. Ce n’est qu’en m’entendant chanter maintenant avec Djénéba que le public fait le lien”, explique Fousco.
Sébastien Lagrave, le directeur du festival Africolor lors d’un de ses séjours sur le continent, cherche à rencontrer les deux lauréats dont il a suivi les épreuves sur TV5, sans savoir que depuis ils ont uni leurs voix et leurs destins. « Un rendez-vous est organisé au Studio Bogolan, suivi d’une écoute dans un club où nous nous produisions. Deux jours plus tard, il nous téléphonera pour savoir si nous avions nos passeports à jour et nous a invités à nous retrouver à l’ambassade pour les visas. Ce sera notre premier voyage à deux », se souvient Fousco.
L’aventure internationale du couple démarre d’autant que Christophe Daubrée, chauffeur sur l’édition 2014 du festival, succombera au charme des voix du couple et deviendra leur producteur, enregistrant ce premier opus entre Ouagadougou et Paris. Leur passage remarqué l’an passé lors de la deuxième saison de « L’Afrique a un incroyable talent » fera le reste. Membre de jury, le Congolais Fally Ipupa les envoie directement en demi-finale.
Selon de nombreux confrères, ce couple représente l’Afrique d’aujourd’hui, urbaine, entre son attachement à son histoire et la furieuse envie de croire en l’avenir.
Loin des clichés habituels sur les musiques africaines, Djénéba et Fousco sont branchés sur l’Afrique électrique, transformant allègrement les mélodies inspirées de la tradition griotique en chansons aux gimmicks terriblement actuels. Autant à l’aise pour raconter la grande épopée mandingue que pour évoquer les douleurs des aventuriers (les «Tunkarankés, les migrants), ils clament haut et fort les envies de fête et d’avenir de la jeunesse bamakoise (Samedi Soufé) aussi bien que la nostalgie du berceau kayésien qu’il a fallu quitter pour trouver du travail.
Youssouf DOUMBIA
Source : L’ESSOR