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Destitution et inéligibilité immédiates pour Trump

Il y a un an, juristes et commentateurs débattaient de la question de savoir si destituer un président américain constituait une démarche de droit ou plutôt de politique. Les deux dimensions entrent évidemment en jeu, et il n’y a rien de problématique avec la dimension politique. En vertu de la Constitution des États-Unis, ce sont les acteurs politiques, et non les tribunaux, qui sont censés déterminer si un président a commis des « délits et crimes graves », et, aspect essentiel, si le chef de l’État représente ou non une menace réelle pour la république.

 

À moins de deux semaines de la passation de pouvoir entre Donald Trump et Joe Biden à la Maison-Blanche, le sujet est à nouveau sur la table, la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi ayant clairement affirmé  que le président devait être démis de ses fonctions, soit au travers du 25e Amendement, soit par une procédure d’impeachment.

Encouragée par Trump, l’insurrection violente survenue au Capitole représente quelque chose de nouveau et de profane dans l’histoire des États-Unis. Même à l’approche de l’investiture de Biden le 20 janvier, la fonction de président n’est plus en sécurité dans les mains de Trump. Il doit faire l’objet d’une procédure d’impeachment (à nouveau), être démis de son poste, et ne plus jamais pouvoir exercer quelque fonction publique que ce soit.
Le Congrès est en droit de procéder à un impeachment, mais il n’est pas tenu de le faire. Il peut arriver que les législateurs se résolvent à tolérer certains écarts de conduite de la part du président, considérant que le coût associé au lancement de procédures serait supérieur aux bénéfices. Mais ne nous y trompons pas, ce n’est pas de cela dont il s’agit aujourd’hui.

De la même manière que le prononcé d’une sanction contre un responsable public adresse comme message la nécessité d’un engagement moral dans le domaine politique, l’absence de sanction envoie le message inverse. En votant l’acquittement de Trump l’an dernier, après le lancement d’une procédure d’impeachment par la Chambre des représentants autour du scandale ukrainien, les Républicains du Sénat ont fait savoir qu’ils n’avaient aucun problème avec la présence d’un président criminel de carrière, quelles que puissent en être les conséquences. Certains soutiens de Trump tels que la sénatrice du Maine, Susan Collins, espéraient que ces procédures serviraient de leçon  à Trump. Et la leçon a eu lieu : Trump a appris qu’il ne s’exposait à aucune conséquence pour ses manœuvres consistant à contraindre illégalement autrui à lui concéder des faveurs, ou à biaiser les élections dans son propre intérêt.

Rappelons-nous le coup de téléphone « irréprochable  » passé par Trump au président ukrainien Volodymyr Zelensky à l’été 2019, dans lequel le premier menace de suspendre l’aide militaire américaine à moins que l’Ukraine annonce l’ouverture d’une enquête contre le fils de Joe Biden, Hunter. Non inquiété pour cet abus de la fonction présidentielle, Trump poursuit son œuvre dans le cadre d’une autre discussion irréprochable  à l’hiver 2020, lors de laquelle il tente un chantage  auprès du secrétaire d’État républicain de Géorgie, Brad Raffensperger, pour que celui-ci falsifie en sa faveur les résultats de l’élection de novembre. Tous les Républicains qui ont condamné ce deuxième appel téléphonique devraient se demander pourquoi ils ont fermé les yeux sur le premier.
Si aucune sanction n’a lieu concernant l’insurrection  au Capitole, les Républicains du Congrès signaleront à nouveau leur propre complicité dans ce crime. Le message sera alors de dire qu’ici encore, la situation est acceptable : un président en fonction peut, sans être inquiété, inciter à la violence contre l’un des trois piliers politiques de la république.

Certains font valoir le risque de voir un second impeachment et une inéligibilité permanente venir simplement provoquer la « base » de Trump. Or, cet argument ne tient plus. Quoi que fassent ou ne fassent pas les Démocrates ou les Républicains un minimum raisonnables tels que le sénateur Mitt Romney, Trump et ses soutiens des médias de droite continueront d’inciter le mouvement.

Le populisme de droite ignore en effet tous les rappels à la réalité ; un décompte pourtant bien réel des votes importe peu aux yeux de ceux qui se considèrent comme les seuls « vrais Américains » (et par conséquent comme les seuls qui comptent). La mobilisation des supposés « vrais Américains » contre les élites malfaisantes et les minorités (qui devraient toutes retourner dans leur « pays de merde  ») constitue le modèle politique de Trump depuis le premier jour, de la même manière que son modèle d’affaires en tant que promoteur immobilier reposait sur le mensonge et la fraude. À maintes reprises, l’escroc de l’Amérique d’abord et Républicain opportuniste a investi dans cette entreprise politique, et il faudra plus qu’un léger épisode de sédition, accompagné d’une poignée de cadavres à Washington, pour le conduire à renoncer aux fruits de cette entreprise.

L’étape cruciale doit désormais consister non seulement à destituer Trump, mais également à l’interdire à vie de tout exercice d’une fonction politique. Bien que cela signifie anéantir définitivement les droits politiques fondamentaux d’un individu, de nombreuses démocraties prévoient cette possibilité. Selon la Loi fondamentale allemande, par exemple, ceux qui abusent de la liberté d’expression et d’autres libertés fondamentales pour mettre à mal la démocratie libérale peuvent se voir retirer leurs droits. Cette disposition n’a toutefois jamais été appliqué, notamment parce que les néo-nazis pour lesquels cette privation de droits était envisagée avaient d’ores et déjà été chassés de la sphère politique via des condamnations pénales.

Certes, la perspective d’une inéligibilité permanente vient contrarier une idée fondamentale de la démocratie : les individus peuvent changer de mentalité. Contrairement à ce qu’affirmait Hillary Clinton dans son célèbre discours  de 2016 décrivant les trumpistes comme une « bande de déplorables », personne n’est totalement « irrécupérable ». Si vous comptez parmi les nombreuses personnes favorables à la restauration du droit de vote  pour les criminels condamnés, comment justifier une telle interdiction pour quelqu’un comme Trump ? Et si Trump venait à se repentir, à se réinventer lui-même ? Ne devrions-nous pas faire preuve de cohérence, et ainsi refuser de rendre inéligible quiconque à vie ?

Seulement voilà, cette repentance n’aura jamais lieu. Trump a toujours cherché à contourner le processus démocratique. Il ne s’agit pas d’un délit ou d’un crime comme les autres. Ce n’est pas non plus comparable aux affaires commerciales survenues avant (et pendant) sa présidence, pour lesquelles il pourrait être poursuivi. Non, lorsqu’un individu refuse  de suivre les règles du jeu (notamment la règle selon laquelle « le candidat qui obtient le plus de voix remporte l’élection »), il est parfaitement acceptable que le joueur en question soit exclu.

Les Républicains accepteront-ils une telle démarche ? Nombre d’entre eux, tels que les sénateurs Josh Hawley pour le Missouri et Ted Cruz pour le Texas, font politiquement le pari de l’allégeance au mouvement d’extrême droite  qui monte en puissance aux États-Unis. Mais d’autres pourraient chercher à s’extraire de la gueule du monstre Trump. Le chaos survenu au Capitole démontre qu’il ne peut y avoir de mouvement QAnon  à la carte ; ni Trump, ni ses collaborateurs républicains ne peuvent contrôler les forces qu’ils ont déchaînées. La révolution dévore toujours ses propres enfants, et parfois même ses parents. Si les Républicains ne se détrumpisent pas pleinement et immédiatement, ils finiront par le comprendre – une fois la situation devenue beaucoup plus chaotique encore.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Jan-Werner Mueller, professeur de sciences politiques à l’Université de Princeton, et membre de l’Institut d’études avancées de Berlin, est l’auteur de l’ouvrage à paraître intitulé Democracy Rules  (Farrar, Straus and Giroux, 2021).

Source : LEJECOM

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