Dans trois pays, l’islamisme radical a voulu s’imposer en 2013. Il a été arrêté par l’armée en Egypte et contré par une intervention extérieure, au Mali et en République centrafricaine.
Une analyse de Michel Carlier, ancien ambassadeur de Belgique à Alger, Rabat et Tunis; et Caroline Bosschaert de Bouwel, journaliste.
Depuis le 5 décembre, avec l’opération Sangaris en République centrafricaine, Paris se retrouve en première ligne, sous mandat de l’Onu, dans une affaire africaine. Un guêpier et un bourbier dont les militaires français ne sortiront pas indemnes. Un imbroglio où sont mêlées la rivalité récente entre chrétiens et musulmans ainsi que l’ambiguïté de l’intervention de la MISCA (Mission internationale de Soutien à la Centrafrique) composée de militaires africains. Le malheur veut qu’ils se battent entre eux à Bangui au lieu d’instaurer la paix. Des Tchadiens, favorables aux musulmans Seleka en décousent avec des Burundais qui soutiennent les chrétiens largement majoritaires dans le pays. A quoi cela rime-t-il ?
Quant aux Français, comment pourraient-ils réussir à remplir leur mission qui est, en premier lieu, de désarmer les deux factions opposées ? Paris appelle ses partenaires européens au secours. Sans réel succès. On l’a vu lors du dernier sommet européen des 19 et 20 décembre.
Le 11 janvier, la France se lançait dans une autre opération militaire. Le Mali, divisé en deux depuis des mois, était en passe de devenir une république islamiste. Le nord se trouvait sous la coupe de terroristes stipendiés par al Qaeda et soutenus par des Touaregs dévoyés et exaspérés par le pouvoir central de Bamako. L’opération Serval a réussi. Apparemment, en tout cas. Les villes du nord, comme la cité historique de Tombouctou, ont été libérées et les anciens maîtres ont été repoussés dans les montagnes et le désert. Des élections ont eu lieu. C’était un combat pour une bonne cause. Le Mali est redevenu un pays démocratique, comme qui dirait un pays normal. Merci Monsieur Hollande.
Depuis la chute de Khadafi le 20 octobre 2011, la Libye est un Etat écartelé entre Tripolitaine et Cyrénaïque. Les tribus ont repris les pouvoirs que l’ancien dictateur leur avait confisqués. Les marchands de canons, en tous genres, ont saisi l’opportunité du chaos pour s’emparer des butins avant de les revendre aux jeunes seigneurs de la guerre avides d’exporter la terreur islamiste dans des pays, tels que le Mali et la République centrafricaine. Deux ans après la mort du guide, bien malin serait celui qui pourrait dire ce qu’il adviendra de ce pays !
Le retour de l’Iran à l’international
L’Iran, ostracisé par les Etats-Unis depuis 1979, est heureusement en train d’amorcer son retour sur la scène internationale. L’accord provisoire, signé à Genève le 24 novembre par le régime des ayatollahs et les grandes puissances, est supposé mettre un terme à la querelle concernant le développement nucléaire iranien. Pour l’instant, rien n’est acquis. Le renforcement des sanctions par Washington demeure une éventualité. Mais, on peut espérer que les négociations aboutissent. Ce qui aurait un effet pacificateur sur tout le Moyen-Orient.
En Syrie, la guerre civile fait rage depuis mars 2011. Les pays voisins ne se privent pas d’intervenir en faveur des belligérants, du pouvoir en place et des groupes rebelles, qui se déchirent. Leurs factions islamistes, financées par certaines monarchies pétrolières, recrutent, jusque dans nos villes européennes, des combattants et notamment des jeunes convertis (cinq mille djihadistes en provenance des pays de l’espace Schengen, d’après une source de sécurité belge). Le régime de Bachar el Assad, quant à lui, est soutenu en armes et en hommes par l’Iran chiite et le Hesbollah libanais.
Le 22 août, c’est la consternation. Des armes chimiques ont tué, la veille, plus de 1 400 civils, dans la banlieue de Damas. Washington et Paris sont prêts à intervenir avec des frappes chirurgicales pour punir Bachar el Assad qui a, dit-on, passé la ligne rouge. Au dernier moment, Barack Obama recule devant l’obstacle. Il se range derrière la Russie qui obtient du chef syrien qu’il livre ses armes chimiques pour qu’elles soient détruites. Une crise majeure est évitée et une autre guerre dans la guerre est épargnée au peuple syrien déjà martyrisé. Mais nous sommes loin d’un retour à la paix. Une seule lueur d’espoir : la conférence de Genève 2 qui pourrait se réunir début 2014.
Et l’Egypte ? Le coup d’Etat du 3 juillet était inévitable et, sans doute, souhaitable. Certes, Mohamed Morsi avait été élu démocratiquement. Mais, après un an de pouvoir, le régime des Frères musulmans, franchement rétrograde, avait démontré son incompétence, voire son irresponsabilité. Il voulait abolir certains droits des femmes, radicaliser l’islam et brimer, non sans violence, la grande minorité copte. Tout comme à Alger en janvier 1992, avec l’interruption du processus électoral par l’armée, les généraux égyptiens ont mis un terme brutal à l’expérience islamiste de Morsi.
Début décembre, la commission constituante approuve la nouvelle loi fondamentale qui sera soumise à référendum en janvier 2014. A retenir : interdiction de la formation de partis politiques sur base religieuse, égalité entre hommes et femmes, maintien des privilèges des militaires et élection présidentielle avant le scrutin législatif. La réponse des opposants est immédiate : manifestations et attentats. Les Frères musulmans, que l’on veut exclure du jeu politique et dont la confrérie est depuis les événements de ces derniers jours déclarée organisation terroriste par les militaires, ne désarment pas. L’Egypte entre-t-elle dans une décennie noire, comme l’Algérie des années 1990 ?
Incertitudes en Tunisie
La Tunisie, quant à elle, est en proie à de grandes incertitudes. Le pouvoir islamiste, en place depuis plus de deux ans, a fait étalage de son incompétence, rechigne à céder la place et ne parvient pas à rédiger une constitution. L’économie va à la dérive et les salafistes prospèrent dans les villes et les campagnes. L’armée doit se battre contre des rebelles radicalisés réfugiés dans les montagnes. Mais, tout espoir n’est pas perdu. Les oppositions pourraient s’unir et proposer au peuple, acquis aux idéaux démocratiques, des projets d’avenir mobilisateurs.
Cela fait plus de quarante ans que l’Europe et la Turquie négocient. Les discussions en vue d’une adhésion sont engagées. En juin 2013, Istanbul et d’autres villes du pays sont secouées par des manifestations contre l’autoritarisme du gouvernement d’Erdogan. Différentes dérives de ce dernier sont mises en cause. Parmi elles, la volonté de restaurer dans le pays un islamisme militant aboli depuis les grandes réformes laïques de Mustapha Kemal Atatürk. Exemples de retour en arrière : des lois rétablissant le port du voile dans les universités et les écoles et les cours de religion obligatoires. Mais le voile se déchire. Le premier ministre islamo-conservateur doit se séparer brusquement de la moitié de son gouvernement pour cause de corruption à grande échelle. Voilà que s’éloignent pour Erdogan et ses amis de l’AKP les temps heureux et faciles où ils cartonnaient à chaque élection.
Visiblement, la Turquie actuelle, forte de son développement économique incontestable, n’est plus l’Etat de progrès et de justice que l’on croyait. Faut-il, dans ces conditions, élargir notre Union européenne à ce pays presque totalement asiatique ? Il est évident que non. Dans trois pays, l’islamisme radical a voulu s’imposer en 2013. Il a été arrêté par l’armée en Egypte et contré par une intervention extérieure, au Mali et en République centrafricaine. Sur ces fronts et d’autres, le monde musulman voit, désormais, ses fameux printemps arabes transformés en hivers islamistes.
Michel Carlier, ancien ambassadeur de Belgique à Alger, Rabat et Tunis; Caroline Bosschaert de Bouwel, journaliste