Le déni de grossesse est l’inconscience de savoir qu’on est enceinte. Il est considéré par les professionnels de la santé comme une pathologie à plusieurs aspects. Par ce que pas très connue, toutes les femmes peuvent être victimes de cette pathologie. Au Mali, la proportion de femmes victimes de cette pathologie n’est pas élevée. Cependant, elle pourrait en être, si une prise de conscience et une sensibilisation n’est pas faite. En service au Centre Hospitalier Universitaire du Gabriel Touré, le Dr Sidi Traoré, a bien voulu partager son expertise sur le sujet, dans le cadre d’une interview, qu’il nous a accordé. Lisez !
Le Sursaut : Qu’est-ce qu’un déni de la grossesse ?
Dr Sidi Traoré: Le déni de la grossesse est un sujet qui n’est pas trop connu chez nous, car rare chez nous. C’est juste le fait qu’une femme enceinte n’ait pas consciente de l’être. C’est-à-dire qu’une femme en état de grossesse ne l’a pas accepté consciencieusement. Comme son nom l’indique, déni comme nier, refuser la grossesse dans la conscience en tant que telle.
En termes de signes, quelles sont les manifestations chez une femme enceinte et chez une femme victime de ce phénomène qui est le déni de la grossesse ?
Dr Sidi Traoré : Comme son nom l’indique, le déni de la grossesse va au-delà de la personne même. A savoir que déni est un conflit psychique, ça concerne surtout le psychisme de la femme alors que l’organisation de l’être humain est d’abord le psychisme. Il faut que tout soit coordonné, programmé dans le cerveau pour que les choses se manifestent.
C’est la conscience qui dicte les règles et la conduite à tenir. De ce fait, c’est possible que ça mime et agit sur l’interprétation, la perception des signes habituels de la grossesse que l’on reçoit, parce que ces signes sont les phénomènes, les réponses de la commande donnée par le cerveau. Ces réponses sont hormonales. Ce sont les hormones qui vont agir sur le corps et les manifestations vont être les vomissements et les signes de la grossesse qu’on connait. Mais dans ce cas de déni de grossesse, c’est comme s’il y a un blocus au niveau du psychisme, donc ça peut interférer sur les signes ordinaires de la grossesse, la femme peut ne pas ressentir ces signes, le plus souvent.
Quelles sont les causes de cette pathologie ?
Dr S T : C’est déjà un conflit psychique. De là, les causes sont un peu du psychisme (la psychiatrie). D’abord, la victime de cette pathologie a un conflit entre son corps et son esprit. Et elle se dit non, est-ce que je suis enceinte ? Non, je ne le suis pas, est-ce que je veux une grossesse maintenant ? Non, je n’en veux pas ; est-ce que je veux des enfants maintenant ? Non, je n’en veux pas ? Ça, c’est primo.
Secundo, c’est surtout la crainte des répercussions psycho-sociales. Par exemple si elle est dans un environnement où elle n’est pas bien d’avoir un enfant à ce moment, cela peut jouer sur elle. Le fait de s’auto-questionner va créer une crainte et sa conscience ne va pas l’accepter même si son corps le veut le plus souvent. Il y a plusieurs aspects, ce n’est pas seulement que psychique mais il y a l’environnement, il y a le social, le stress et la crainte d’être une bonne maman.
Avez-vous eu des cas de déni de grossesse, personnellement ?
Dr S T : Personnellement dans mes expériences, je pense que j’ai réussi un seul cas. C’est une pathologie qui est très rare chez nous car c’est un peu plus fréquent dans les pays développés où la vie est animée que de stress. Le fait qu’il y a un peu de social chez nous, on partage les problèmes avec les uns et les autres, c’est difficile de voir ce phénomène ici. Et le plus souvent, on le découvre qu’à l’accouchement puis que la femme, qui n’accepte pas la grossesse, n’est au courant de la grossesse jusqu’à son arrivée à certains termes, donc c’est difficile de faire le diagnostic de cette maladie. Le cas que j’ai eu, la personne était à 7 mois de grossesse, et quand elle a découvert, il y a eu un grand accompagnement psychique. Elle, d’abord, il faut la convaincre, sensibiliser les parents ainsi que l’entourage pour qu’elle puisse avoir l’effet. La sensibilisation ne se limite pas seulement à la grossesse, il y a l’accouchement et après celle-ci.
Est-ce que toutes les femmes peuvent être victimes du déni de grossesse?
Dr S T : Je dirais ‘’Oui’’ et ‘’Non’’. Parce qu’en réalité, la grossesse en tant que telle, ça doit se préparer, ça se prépare ; chose qui se fait pas chez nous. Sinon, quand on veut avoir un enfant, actuellement, c’est possible de planifier et programmer sa grossesse. Si on veut tomber enceinte, on doit réunir un certain nombre de bagage pas seulement sur le plan psychique mais sur les plans social, financier et corporel-moral. De la sorte, on doit réunir un tas de contingents. C’est possible ! Par contre, c’est très difficile parce que présentement la science, la médecine est développée de telle sorte qu’on sait qu’est-ce qui peut entrainer la grossesse, qu’est-ce qu’il faut faire pour l’éviter, on peut le savoir aussi. Mais c’est possible que ça arrive à toutes les femmes.
Quels conseils pouvez-vous véhiculer ?
Dr S T : Les conseils que je peux donner comme je l’ai eu à le dire, c’est une pathologie psychique alors que l’homme, c’est le psychisme, l’humanité, c’est le psychisme, il faut que chacun se mette dans la peau du psychologue avant tout. Nous-mêmes, étant personnel de santé on doit se mettre dans cette peau, on ne doit juger la patiente car toute personne normale ne va pas avoir cette réaction face à la grossesse. Certes la grossesse peut la surprendre mais il faut tenter toujours de se mettre à leur place, se mettre dans leur milieu pour pouvoir les comprendre et les amener à ce qu’on peut leur faire comprendre, c’est ça, la particularité. Pour pouvoir traiter la personne qui a un problème psychique, il faut venir dans son monde, se familiariser avec elle et essayer de l’amener dans ton propre monde. Je dis aux femmes surtout de s’informer, tout se prépare dans la vie, il ne faut pas que les choses viennent à l’improviste, maintenant tout ce programme, l’information est disponible partout que ça soit dans les hôpitaux et sur internet. Puisque la conséquence la plus imminente du déni de grossesse est l’infanticide, car je n’ai pas accepté d’être enceinte, j’accouche et je vais tuer l’enfant. A défaut on ne parvient pas à convaincre la patiente d’accepter les choses, on doit au moins avertir l’entourage pour pouvoir faire un suivi psychiatrique. On doit chercher à les comprendre, essayer de les guider, les aider et les sensibiliser.
Propos recueillis par Mariam SISSOKO
Source: Journal le Sursaut-Mali