Confinement, couvre-feu, exclusion, état d’urgence, narcoterrorisme, putsch, précarité, racisme. Ces mots sont horribles, mais incontournables pour qualifier 2020. Une année pas comme les autres. Une année accélératrice de crises où se sont sédimentées frustrations, humiliations, isolements, traumatismes, tristesses, violences… Quelle année ! Nos vies tiennent à un fil.
De la confiance en la science à la peur de servir de cobaye
Désormais, nous savons que nous sommes fragiles. Un virus, Covid-19, venant de Wuhan (Chine), nous contrôle. Et pour toujours, nous porterons ses cicatrices : près de 2 millions de morts dans le monde. Si nous admettons ce qui précède, nous comprenons que nous sommes condamnés à agir ensemble pour chasser nos démons. En Afrique, la deuxième vague de la Covid-19 terrasse les politiques de santé si tant est qu’elles existent. Près de 30000 morts en Afrique du Sud, et 284 décès au Mali. Sans conteste, le rebond est là. Les exécutifs font un tour de vis : confinement, couvre-feu, fermeture des écoles… Il règne une atmosphère de fin du monde. Pour reprendre la main sur le virus, des vaccins sont trouvés en Amérique, en Asie ou en Europe. Mais, une partie des populations se méfient de ces vaccins par crainte de supposés effets secondaires. La confiance en la science fait place à la peur de servir de cobaye. L’inconstance des décideurs nourrit les craintes des populations. Le discrédit à l’égard des exécutifs gagne de l’audience. En attendant, on constate que cette crise sert de révélateur des distensions entre les citoyens et les gouvernants. A la crise sanitaire, une crise économique, sociale et politique plane toujours.
Oser dire non
2020 a aussi été l’année chape de plomb sécuritaire au Sahel où les narcoterroristes rodent toujours. La guerre n’est pas gagnée à cause de la pénétration des extrémismes dans les interstices des sociétés. Le massacre des civils au Burkina Faso, au Mali, au Niger, ou au Nigéria font légion. La mort de Georg Floyd (46 ans) en 8 mn 46 secondes sous le genou du policier américain Derek Chauvin et la décapitation de Samuel Paty (47 ans) par le terroriste Abdoullakh A. Anzorov témoignent de l’irrespect de la vie humaine. La mise sous cloche par les narcoterroristes des habitants du village de Farabougou (région de Ségou) illustre également d’une tentative d’imposition d’une idéologie sanguinaire et totalitaire sans nom. Que voulons-nous léguer aux générations futures ?
Partout, dans le monde, nous observons des crises de mal-être des individus et des groupes, menaçant notre existence. De l’intérieur, comme de l’extérieur, ces crises nous mettent sous contrôle et nous divisent. Mais, elles nous rappellent aussi que nous devons nous lever comme un seul homme pour dire stop. Stop à l’idée de mettre le droit en prison ; or sans respect du droit, c’est la porte ouverte à l’injustice et à la loi du plus fort. Stop aussi à l’idée que l’éducation, la santé ou la liberté de penser ou de vivre ne soient bafouées. Oser dire non tout simplement.
Créer des ilots de vie
Que devenons-nous si l’esprit républicain ne préside pas à toute forme d’organisation humaine ? Certes, les contestations postélectorales en Côte d’Ivoire, en Guinée Conakry ou au Mali, secrétées par la mauvaise gestion et l’opacité des scrutins, aiguisent les oppositions. Certes, de plus en plus, la politique se limite à une lutte de pouvoir pour le pouvoir sans humanité. Or la politique, c’est avant tout la volonté d’améliorer un système éducatif, sanitaire, avoir une souveraineté alimentaire, enfin offrir des meilleures conditions de vie à ces concitoyens. C’est aussi les liens que l’homme politique crée entre les concitoyens pour anticiper les risques de division. Un défi que les exécutifs et les citoyens doivent relever ensemble en 2021 en créant des ilots de vie, c’est-à-dire des espaces de paix sécurisés, pour émerger des toxicités de 2020. Par exemple, au Mali, les autorités de la transition doivent travailler concrètement à l’organisation d’un scrutin propre et transparent pour 2022. D’ailleurs, un des enjeux de l’exécutif est de transmettre le pouvoir dans une atmosphère paisible et sans secousses politiques. A ce propos, deux défis sont à relever.
Briser les verrous de la corruption
Le premier défi est d’innover le Mali sans exclure les Maliens. Les Maliens – politiques, associatifs, journalistes, syndicalistes, élus – doivent être associés aux politiques de réformes. C’est une des solutions pour éviter le rejet des réformes par une partie de la population comme par le passé. Par exemple, les projets de révision constitutionnelle (2017) et d’éducation à la sexualité (2018) ont échoué faute d’une adhésion populaire. A ce sujet, le régime d’IBK a perdu quelques plumes. Autrement, l’exécutif actuel doit aussi briser les verrous et les codes de la corruption. Une des conditions nécessaires pour que le combat contre la corruption devienne un effort conscient pour tout Malien dans la conduite des affaires publiques. Car, aujourd’hui, chez les Maliens prédomine un sentiment, celui de se sortir des entrailles des monstres de la corruption, ces arrangements entre amis, ou encore ces détournements des fonds publics au profit des intérêts privés. Par conséquent, le Mali est démuni pour livrer une bataille digne contre l’insécurité et les maladies.
Incarner le Mali
Le deuxième et dernier défi, c’est d’incarner le Mali et assurer une certaine continuité avec l’esprit d’innovation. Les réformes politiques, institutionnelles, électorales et administratives doivent être un incubateur pour que phosphore un sentiment de conscience nationale. C’est une autre façon de pénétrer l’imaginaire des Maliens et de gagner la guerre contre le narcoterrorisme. Enfin, 2021 va être une période charnière pour les autorités de la transition où il ne s’agit pas seulement de gouverner le Mali, mais surtout le faire vivre collectivement sans passion, tout en gardant le cap : faire en sorte que les Maliens se retrouvent. Leur capacité à se remettre en question et à jouer le rôle de leader sera des indicateurs de réussite de la transition. Enfin, l’exécutif doit éviter la contagion du syndrome complotiste, un des talons d’Achille de ses prédécesseurs.
Un combat citoyen et générationnel
L’articulation de ces deux défis permet de maintenir des ilots de vie nécessaires à la stabilité du Mali en 2021 et pour les années à venir. C’est un combat citoyen et générationnel que nous devons tous mener, sans attendre en retour une quelconque gratification. La noblesse du soutien que l’on peut s’apporter les uns et les autres résiderait dans notre capacité à penser demain, à nos héritiers. Et comme le dit bien Seydou Badian, «cette bataille doit être celle des jeunes. C’est la bataille du destin. Vous montrerez si vous êtes capables de faire fructifier le champ que nous avons labouré». Il nous enjoint à agir en conséquence pour le devenir du Mali en faisant simplement notre part de travail.
Mohamed Amara
Source : Mali Tribune