ÉCOLE MALIENNE
De mal en pis ou les tares d’un système
Un maître bien formé, c’est la garantie d’un enseignement de qualité pour le pays. L’affirmation est d’une évidence telle, qu’il serait inutile de la rappeler si l’on n’était pas dans le contexte malien où la piètre qualité de l’enseignement est en grande partie due au fait que les enseignants (mal formés) n’ont eux-mêmes qu’une faible maîtrise de la langue de Molière.
Dans notre livraison du 30 mai 2022, nous avions essayé de démontrer (de manière franche et lucide mais sans prétention d’exhaustivité) les conséquences du choix de la langue sur la qualité de l’enseignement dans notre pays.
Nous y avions évoqué, également, les bonnes raisons qui doivent inciter nos gouvernants à accorder le statut officiel au bamanankan et pourquoi il devient impérieux d’ériger cette langue en support linguistique d’apprentissage pour les enfants du pays. Une des raisons qui doivent motiver cette décision « politique » est la recherche de la nécessaire unité nationale qui serait autrement difficile à réaliser dans un contexte plurilinguistique comme le nôtre. L’unité de langue est la base des grandes nations. Les enfants d’un même pays, étudiant dans une même langue qu’ils vivent et pratiquent au quotidien, et pas seulement dans le contexte scolaire, partent presqu’à égalité de chance dans les études. Le déséquilibre initial dû au fait qu’une minorité d’enfants scolarisables ne seront pas bambaraphones au départ ne doit pas nous inquiéter outre mesure. En effet, tant qu’à faire, le bamanankan sera, pour ce départ, un substitut légitime au français et s’imposera en écrasant la langue maternelle d’une minorité et non de l’ensemble des enfants comme c’est le cas pour le français depuis la colonisation.
Des moyens devront être affectés pour faciliter ce rééquilibrage et permettre aux enfants concernés de combler leur retard sur le moyen et le long termes. Les générations suivantes connaîtront moins de difficulté que les premières ; en quelques années d’exercice, si la langue choisie est vraiment ancrée dans les terroirs, elle deviendra, de fait, celle de tous les enfants. Une autre politique d’alphabétisation intensive en bamanankan pourrait être envisagée pour les adultes de toutes les contrées, mais avec plus de rigueur et de professionnalisme, pour faciliter l’intégration linguistique nationale.
Alors, les programmes de formation d’enseignants seront centrés, d’une part, sur la maîtrise du support linguistique qu’est le bamanankan et, d’autre part, sur l’apprentissage et l’appropriation, dans la même langue, des terminologies relatives aux connaissances et autres domaines pédagogiques.
Les ravages du dilettantisme
De la réforme de 1962, ce qui semble acquis de nos jours, c’est le fameux « enseignement de masse », au détriment du volet « enseignement de qualité » prôné depuis cette date. L’école publique est donc, initialement, vouée à recevoir les enfants du pays et à leur donner un enseignement de qualité. Mais, depuis des décennies, cette qualité s’est à ce point détériorée que beaucoup de nos compatriotes, notamment dans les centres urbains, préfèrent se ruiner à inscrire leurs enfants dans les écoles privées. Ce flux et cette ruée vers le privé laisseraient croire, a priori, que la qualité ayant déserté le public, est garanti dans le privé. Il n’en est rien ! Toutefois, certaines écoles privées s’en sortent mieux que d’autres. En attestent leurs résultats aux différents examens organisés par le ministère en charge de l’Education nationale. Même si, on le sait, le taux de réussite à ces examens n’est pas un indicateur de l’excellence mais la récompense du sérieux et du professionnalisme dans la conduite et l’encadrement des activités pédagogiques. Sur ce plan, beaucoup d’établissements privés « dament le pion » aux publics : les premiers sont plus regardants sur le professionnalisme, alors que le laisser-aller est devenu le mal chronique rédhibitoire pour les écoles étatiques ou communautaires.
Ce sont, précisément, ce sérieux et ce professionnalisme qui font la différence en faveur des privés. Sinon, les deux structures puisent dans le même creuset : la plupart de nos enseignants actuels sont sortis de nos instituts de formation et traînent plus ou moins les mêmes insuffisances. Beaucoup d’entre eux maîtrisent mal ou peu le principal outil de transmission qu’est le français. Quand un enseignant manque d’assurance sur sa langue de travail, il faut que son office soit totalement basé sur la technicité des matières enseignées pour être efficace. Or, la formation des maîtres, faite entièrement dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas, ne peut leur permettre d’user du savoir technique suffisant pour enseigner à bon escient les matières inscrites au programme. Le dilettantisme dans lequel baignent la formation des maîtres et la conduite des affaires scolaires et universitaires en général, est mortel pour la formation et l’avenir de nos enfants. Aussi longtemps que l’Etat n’assumera pas ses responsabilités en matière d’éducation et d’enseignement, l’école ne fera que plonger dans les abysses de l’ignorance et de l’obscurantisme.
La formation, le nœud gordien du problème
Il faut donc revoir entièrement la formation en privilégiant prioritairement celle des formateurs eux-mêmes et en dotant les programmes de ladite formation d’un contenu pédagogique consistant. Le formateur doit être à la fois un spécialiste de ce programme et un connaisseur chevronné de la langue d’exercice des futurs enseignants. Il doit savoir initier ses disciples aux différentes méthodes rondement éprouvées et reconnues pour leur efficacité. Chaque formateur doit être rigoureusement soumis à un recyclage périodique et continu, qui lui permettra de revisiter les anciennes méthodes, de les réviser au besoin et d’acquérir de nouvelles approches innovantes. Pour cela, il est nécessaire de créer des structures dédiées à la formation des formateurs et animées par des experts – nationaux et expatriés – reconnus en matière d’innovation pédagogique. Un maître bien formé, c’est la garantie d’un enseignement de qualité pour le pays.
NB : La suite dans nos prochaines parutions.
Tiécoro Sangaré
Source: journal les Échos Mali