Les quelque 2 500 participants du Forum économique mondial réunis à Davos entament ce vendredi 24 janvier leur troisième jour de travaux, en partie consacré au réchauffement climatique. Le Premier ministre britannique et le chef de la diplomatie américaine y participeront. Jeudi, c’est l’intervention de l’Iranien Hassan Rohani qui a retenu toute l’attention.
Avec notre envoyée spéciale à Davos, Mounia Daoudi
Hassan Rohani, star du jour. Jeudi 23 janvier à Davos, le président iranien s’est employé à charmer un parterre de décideurs économiques venus du monde entier et représentant tous les secteurs d’activité ou presque. De potentiels investisseurs dont l’Iran a grand besoin, alors que la communauté internationale a commencé à suspendre les sanctions qui frappent le pays.
« La République islamique d’Iran est prête à participer à la sécurité énergétique mondiale, a notamment déclaré Hassan Rohani. L’Iran réitère sa volonté de participer à une coopération constructive en s’appuyant sur ses vastes ressources et dans une structure d’intérêts mutuels. »
Et de préciser sa pensée : « Nous sommes prêts à engager un processus sérieux pour établir une institution fiable pour ce partenariat à long terme. La sécurité de la production et les approvisionnements en énergie sont les principaux facteurs pour faire de l’énergie un outil de la promotion de la paix et de la sécurité. »
Téhéran et la bombe atomique
L’Iran n’a jamais voulu développer de bombe atomique, a assuré le chef d’Etat iranien, qui a ajouté par ailleurs que son pays avait toute sa place dans le cercle des pays émergents. En gage de bonne volonté, il propose de mettre en place une nouvelle organisation pour regrouper pays producteurs et consommateurs de pétrole, et de nouvelles règles qui devraient profiter à chacun.
A Davos, M. Rohani a rencontré les dirigeants des grandes compagnies pétrolières, parmi lesquelles l’Italienne ENI, la Britannique BP et le Français Total. On ne sait en revanche pas si l’Américain Exonn Mobile était présent à cette rencontre. La délégation iranienne a certainement croisé aussi des responsables de l’industrie automobile ; Téhéran a besoin d’importants investissements dans ce secteur.
Avis partagés chez les patrons
Globalement, la réaction était plutôt positive chez les entrepreneurs. Tous admettent les énormes potentialités de l’Iran. Certains doutent néanmoins de l’ambition affichée par ce pays de faire partie des dix premières puissances économiques au monde d’ici trente ans, comme l’a affirmé son président. D’autres se montrent sceptiques à propos des ouvertures annoncées sur le nucléaire.
C’est le cas de John Neil est le PDG, d’Unipart Group of Companies, qui emploie 10 000 personnes dans la logistique avec un chiffre d’affaires de plus d’un milliard et demi de dollars. Pour ce Britannique, « c’est dur de comprendre pourquoi les infrastructures nucléaires sont enterrées dans les montagnes si elles sont destinées à des fins civiles. Mais je salue le retour de l’Iran dans le concert des nations, c’est une bonne chose. »
L’Américain Rick Aubry, qui dirige un fonds d’investissements, a été plus séduit, même s’il reste méfiant aussi. « C’était très intéressant d’écouter ce discours où chaque mot était pesé, même si un discours n’est jamais suffisant, assure-t-il. Le résultat des négociations sur le nucléaire et le rôle que joue l’Iran sur la Syrie seront déterminants sur les investissements étrangers. »
Main tendue au monde
L’économie n’est pas le seul angle par lequel Hassan Rohani dit vouloir ouvrir son pays au monde. « Aucun pays ne peut vivre seul, isolé », a-t-il martelé. Il s’est donc engagé à améliorer les relations avec ses voisins du Moyen-Orient. Pas seulement ses voisins de la région d’ailleurs, puisqu’il a affirmé vouloir rétablir les liens avec tous les pays du monde. C’est une main tendue aux Etats-Unis, avec qui les relations sont rompues depuis plus de trente ans.
En amont, le président iranien avait déjà fait sensation en annonçant dès son arrivée dans un entretien à la télévision suisse qu’aucune inimitié n’était éternelle. Reste donc, à ce sujet, la question qui fâche le plus : Israël fait-il partie des pays concernés par la main tendue ? Posée à deux reprises par le professeur Klaus Chwab, hôte de ce forum, cette question a trouvé réponse en Anglais : « All of them », a répondu le président iranien.
Tous les pays sont concernés, donc ; ces trois petits mots ont déclenché un tonnerre d’applaudissements, même si l’ambiguïté demeure puisque le président iranien avait précisé juste avant qu’il parlait des pays reconnus par l’Iran. La nuance est de taille, d’autant qu’à aucune reprise le mot « Israël » n’aura été prononcé.
Réponse lapidaire de Netanyahu
Qu’à cela ne tienne, un chef d’entreprise palestinien présent à Davos se dit convaincu de la volonté du pouvoir iranien de normaliser ses relations avec Tel-Aviv. « Ce qu’il n’a pas dit envers Israël, il l’a dit indirectement, considère-t-il. Je crois aussi que les Israéliens doivent prendre ça au sérieux pour changer leur attitude et être plus positifs. Je crois que M. Rohani pense sérieusement et sincèrement au futur de son pays. »
Sauf que la réponse du principal intéressé n’a pas tardé. Présent lui aussi à Davos, le Premier ministre de l’Etat hébreu a multiplié les signes de scepticisme à l’égard du président iranien. Benyamin Netanyahu accuse Téhéran, notamment sur la Syrie, d’entretenir les tensions en soutenant directement le régime de Bachar el-Assad. Pour lui, les discours de Hassan Rohani ne sont que des mots. Et il n’y va pas par quatre chemins pour y répondre :
« Cela n’a juste aucune connexion avec la réalité, dénonce le chef du gouvernement de Tel-Aviv. Par exemple, l’Iran dit qu’il est opposé à une intervention en Syrie. Opposé à une intervention en Syrie ? Mais l’Iran intervient en Syrie ! L’Iran, avec ses Gardiens de la révolution, est sur le terrain en Syrie. L’Iran envoie le Hezbollah combattre et tuer en Syrie. Bien sûr, Rohani peut dire des choses, mais cela ne les rend pas réelles pour autant. Ça sonne bien, mais c’est faux. »
Réunir dans un même lieu deux ennemis jurés, cela fait partie de la magie de Davos. Mais ce n’est vraisemblablement ni ici, ni maintenant, qu’Israël et l’Iran renoueront le dialogue.
rfi