« T’as une seringue pour moi ? », lance d’une voix fluette une grand-mère filiforme. Elle tend ses longs bras maigres et attrape un kit dans les mains d’un médiateur social : des lingettes désinfectantes et une seringue conditionnée, pour les jours où l’appel de l’héroïne sera trop fort. Depuis sept ans, la femme aux lèvres tatouées soigne son addiction à la poudre blanche, qu’elle sniffait, et au crack. Comme près de 300 autres usagers de drogues injectables, elle suit un traitement à base de méthadone, un substitut aux opiacés, au Centre de prise en charge intégrée des addictions (Cepiad) de Dakar.
Perdu au cœur du labyrinthique hôpital de Fann, dans la capitale du Sénégal, l’établissement public – premier du genre en Afrique de l’Ouest – accueille en cette matinée d’hiver quinze hommes et deux femmes dans leur cinquantaine. Ils arrivent en silence par une porte dérobée, à l’abri des regards curieux. Dans un pays où même la consommation de tabac vaut une forte réprobation sociale, la structure leur offre un espace de répit salutaire. Ici, on se charrie, on s’interpelle et on chahute quand une dose de méthadone se volatilise furtivement lors des groupes de parole.
Animées par deux médiateurs, eux-mêmes anciens usagers, ces causeries libèrent et informent. « Quand un camarade pique du nez brusquement ou s’il a des difficultés respiratoires, restez avec lui et appelez les secours ! C’est qu’il fait une overdose. Et ne consommez jamais seul votre came ! », lance, en wolof, un grand échalas au visage marqué, affairé à pratiquer la position latérale de sécurité sur un volontaire couché au sol. L’instructeur novice a été formé quelques jours auparavant lors d’un atelier, il prend sa mission de partage d’informations très à cœur et n’hésite pas à rabrouer les plus dissipés.
Parmi eux, un architecte, un professeur d’université à la retraite, un musicien renommé et quelques chauffeurs de taxi. Leurs mises sont élégantes, soignées. « Qui pourrait s’imaginer que je suis un ex-usager de drogue ? », s’amuse presque un ancien enseignant en gestion de 64 ans, veste grise sur pantalon à pinces, mocassins en daim. Il a pourtant cheminé pendant deux décennies avec l’héroïne et la cocaïne. La première fois, c’était lors de ses années parisiennes. En 1983, l’étudiant dakarois, fumeur occasionnel de cannabis, traîne dans les squats du 19e arrondissement. « Un jour, en allant chercher de l’herbe, des copains m’ont proposé de l’héro. J’ai commencé par la sniffer, puis je suis passé à l’injection et au deal », relate-t-il sur un ton professoral. L’ancien revendeur demeure trois ans en détention à Fleury-Mérogis (Essonne) pour trafic de stupéfiants, avant d’être expulsé.