Face aux délestages ces derniers temps, la ministre de l’Energie et de l’Eau, Mme Bintou Camara, s’est faite inviter sur le plateau de l’ORTM, le 25 octobre 2023. Pour la circonstance, elle ne se contentera pas de simples excuses auprès des Maliens pour les désagréments causés par les coupures intempestives d’EDM-SA.
La ministre s’est également à une longue explication de la crise énergétique qu’elle attribue à la mauvaise gestion, au vol de carburant et à la surfacturation. Selon elle, en seulement 4 jours, 59 citernes se sont volatilisées entre Balingué et les différentes centrales de Bamako et des régions. «Ces carburants détournés, sont revendus à certaines stations, des industries de la place, à des particuliers à des prix moins chers», a-t-elle renchéri en accusant les agents de l’EDM-SA de complicité. C’est à cause de ce vol de carburant, argumente-t-elle, par ailleurs, que l’administration de l’EDM-SA a abandonné l’utilisation du fuel au profit du gasoil, notamment au niveau deux grandes centrales de Balingué et de Sirakoro, selon ses explications. Et comme si cela ne suffisait pas, ajoute-elle, l’EDM-SA dans sa gestion a laissé tomber tout ce qui est hydroélectricité, solaire au profit du thermique.
La ministre Camara en a profité pour rendre public le contenu de ses enquêtes notamment sur les cas de surfacturation. À l’EDM-SA, relève-t-elle, au lieu de faire une seule facture, on retrouvé 2 à 3 factures liées à un seul récépissé pour une citerne de 45 000 litres. C’est ainsi qu’en deux mois, selon ses explications, 1,6 milliards F CFA supplémentaires ont été facturés pour le compte d’un seul et même fournisseur. Au cours de l’exercice 2022, elle dit avoir constaté 52 factures supplémentaires d’un montant de 18 milliards F CFA, une somme que l’EDM a payée à un autre fournisseur. À la date d’aujourd’hui, selon ses estimations, la société EDM-SA doit 600 milliards de dette à 800 fournisseurs dont les plus gros sont les pétroliers ainsi que des fournisseurs d’électricité comme Albatros, la Compagnie ivoirienne d’électricité et la Sogem.
Et ça ne sont pas les seules révélations accablantes faites par la ministre. Selon elle, l’argent des factures payées par les consommateurs n’est également jamais encaissé dans sa totalité. En plus de s’engager à mettre un terme aux malversations, la ministre Bintou Camara a fait la promesse au public d’identifier leurs auteurs et de les traduire devant la justice. Et selon elle un comité de crise, piloté par le président de la Transition en personne, est à pied d’œuvre pour juguler la crise.
Accusés de malversations : la part de vérité des comités syndicaux de l’EDM-SA
Deux jours après les accusations de la ministre de l’Energie et de l’Eau sur les médias publics, c’était au tour des syndicats d’Énergie du Mali (EDM), le SYNACOME (Le Syndicat national des constructions civiles, des mines et de l’énergie), le SYLSEM (le Syndicat Libre du Secteur de l’Énergie du Mali) et le Syndicat Unique des Travailleurs de l’Eau et de l’Electricité (SYTEELEC), de faire face à la presse pour confronter leurs versions des faits aux révélations de la ministre Mme Bintou Camara.
Selon Baba Dao du SYLSEM, le problème de l’EDM, contrairement à ce qu’a avancé la première responsable de la tutelle, réside essentiellement dans le défaut d’investissements ainsi que dans la forte disproportion entre l’offre et la demande. La croissance annuelle de la demande est d’environ 10%, explique-t-il, et la production d’électricité pour la satisfaire nécessite l’utilisation de 25 citernes de carburant par jour, soit une vingtaine pour la seule ville de Bamako, pour un montant 1,2 milliards. En contrepartie, selon le secrétaire général, la société ne réalise qu’environ 700 millions par jour avec une perte d’au moins 500 millions de FCFA imputable à l’écart entre le coût de production et le prix de cession du kw/h. Or l’Etat à qui il revient de combler le gap n’assure pas convenablement cette obligation. En définitive, l’EDM ne peut donner ce qu’elle n’a pas, a martelé M Dao, en précisant au passage qu’EDM que le Kilowatt/heure vendu en moyenne à 90 FCFA est produit à 200 FCFA.
Un autre problème auquel est confrontée la société, selon le syndicaliste, c’est la négligence des projets structurants dont la plupart concernent l’hydroélectricité et dont les études faites depuis des années. Enfin, il a pointé du doigt l’instabilité des directeurs précédents ainsi détaillée : « de 2012 à 2023, l’EDM a connu 10 directeurs généraux…. certains n’ont même pas fait 8 mois ». Et de conclure que les travailleurs ne peuvent rien contre le délestage si les moyens adéquats ne sont pas mis à leur disposition.
Les syndicalistes mettent par ailleurs la ministre Camara au défi de prouver la culpabilité des travailleurs impliqués dans cette affaire du vol de carburant et de rendre public les résultats de son enquête annoncée. «Tout ce que nous voulons c’est qu’on nous apporte des preuves et que tout agent impliqué dans une situation similaire soit châtié à hauteur de souhait par la justice et qu’il sert d’exemple aux autres», a ainsi martelé Aba Soufiane Diallo, secrétaire général de la section de Bamako du SYNACOME.
Quant à Boubacar Kebe du SYTEELEC, il a laissé entendre que les travailleurs de l’EDM souffrent eux-mêmes des délestages en même temps que la population et a rassuré les travailleurs qu’aucun acquis ne sera compromis.
Amidou Keita
Le Témoin