La coupe du monde de football est l’un des plus grands événements sportifs de la planète. Sa récente organisation en Russie s’est conclue par le sacre de l’équipe de France de football. Pendant un mois, l’on a parlé football sans compter la réussite de l’organisation par la Russie qui constitue un succès personnel pour ce pays.
La victoire de l’équipe de France (les Bleus) donne lieu à un très grand débat dans les réseaux sociaux et dans la presse. Voici quelques leçons dont on peut en tirer :
- La France est championne du monde grâce au travail et… à l’Afrique
A l’entame du tournoi, la France ne paraissait pas objectivement en position de gagner cette coupe du monde. Elle s’est améliorée au fur et à mesure de la compétition et a livré une lutte acharnée pour battre successivement l’opiniâtre Argentine, le solide Uruguay, l’extraordinaire Belgique et l’exceptionnelle Croatie. C’est moins la victoire que le travail collectif accompli pour gagner qu’il faut saluer à notre avis.
Personne ne peut nier que la France est championne du monde avec des joueurs complètement français, nés ou ayant grandi, formés et encadrés en France même si certains ont des origines africaines. Peut-être que quelques-uns d’entre eux ne connaissent même pas l’Afrique.
On ne peut pas non plus nier une autre réalité, à savoir une part d’Afrique dans cette victoire française. Soyons clair : la Croatie aurait gagné cette coupe du monde que personne n’y aurait revendiqué une part d’Afrique. Un Africain passablement éméché l’avait brutalement rappelé aux Français dans le métro parisien après la victoire de la France en demi-finale contre la Belgique en affirmant haut et fort que la France ne peut rien sans l’Afrique, ce qui semblait avoir consterné quelques passagers du métro… Plus sérieusement, dans les médias internationaux, certaines personnes ont soutenu que c’est l’Afrique qui a remporté la coupe du monde, ce qui a déclenché la colère de certaines autorités françaises qui ont notamment invoqué la diversité de la société française. En réalité, Afrique et France ne s’excluent pas nécessairement puisqu’on peut être à la fois Africain et Français et, à notre avis, c’est cette diversité et surtout cette symbiose franco-africaine qui sont célébrées par ceux qui rendent hommage au triomphe des Bleus.
En outre, avant même le sacre des Bleus, les réseaux sociaux ont charrié des messages ouvertement racistes et favorables à l’équipe croate au prétexte que cette formation serait, elle, « véritablement européenne ». Ce qui importune alors les racistes avec cette victoire française, c’est de voir une équipe majoritairement composée de joueurs d’origine africaine battre très nettement une des meilleures équipes européennes composée exclusivement d’Européens, ce qui déconstruit leur préjugé sur l’infériorité de l’homme africain. Ce qui les incommode davantage, c’est de voir la France, pays d’Européens, s’il en est, s’approprier cette victoire.
Il faut également souligner que ce n’est pas nouveau que des joueurs d’origine étrangère fassent gagner la France. En effet, les meilleurs footballeurs français du 20e siècle sont d’origine étrangère : Feu Raymond Kopa, de son vrai nom de famille Kopaszewski (ses parents étaient Polonais), Michel Platini (d’origine italienne), Jean Amadou Tigana (d’origine malienne), Zinedine Zidane (d’origine algérienne). Ça continue au 21e siècle avec les Griezmann, Mbappé, Pogba et autres. De même, beaucoup d’autres grandes nations de football ont des joueurs d’origine africaine : Angleterre, Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Brésil, Colombie, Italie, Suède, Danemark…etc. C’est pour cela que nous croyons qu’il ne faut pas faire une fixation particulière sur la France, grand pays cosmopolite parmi d’autres.
- L’Afrique est capable d’être la meilleure à condition de mettre les moyens nécessaires
La victoire de l’équipe de France montre également que lorsque des Africains bénéficient de l’encadrement et des infrastructures nécessaires, ils peuvent être les meilleurs. C’est un message clair pour l’Afrique qui doit changer pour s’améliorer dans tous les domaines afin de se hisser au niveau des meilleures nations du monde sous peine de voir ses cerveaux et ses talents continuer à la fuir au plus grand détriment du continent. En effet, aucun continent ne peut se permettre de laisser ses meilleures ressources le quitter sans agir pour stopper cette hémorragie comme le laissent faire les dirigeants africains. Le résultat en est que les meilleures compétences africaines dans tous les domaines profitent à d’autres nations qui leur donnent des moyens pour exceller davantage. L’Afrique a des atouts indéniables mais ce sont les Africains qui n’en font pas bon usage. Il appartient alors aux dirigeants africains de mettre en place des politiques appropriées pour retenir les compétences et les talents africains en Afrique et attirer sur le continent ceux qui l’ont quitté ou qui veulent venir y exprimer leurs talents.
Le football est devenu une industrie et en tant que telle il nécessite la mise en place de moyens adéquats ainsi que le travail requis pour développer cette industrie. Il n’y a pas de secret pour la réussite. Il faut les moyens et le travail. Ce n’est pas un hasard si l’Europe domine la planète football suivie de l’Amérique latine : c’est parce que l’Europe y a mis, plus que tout le monde, les moyens nécessaires y compris l’encadrement qu’il faut. C’est ainsi que sur les 21 éditions de coupe du monde de football organisée jusqu’ici, l’Europe en a remporté 12 (4 titres pour l’Italie, 4 titres pour l’Allemagne, 2 titres pour la France, 1 titre pour l’Angleterre et 1 titre pour l’Espagne) et l’Amérique latine a de son côté remporté 9 titres (5 titres pour le Brésil, 2 titres pour l’Uruguay et 2 titres pour l’Argentine). C’est encore plus édifiant si l’on prend les 30 dernières années, période au cours de laquelle l’Europe a accéléré le développement de son industrie du football. Pendant cette période en effet, l’Europe a gagné six fois la coupe du monde (l’Allemagne en 1990 et 2014, la France en 1998 et 2018, l’Italie en 2006 et l’Espagne en 2010) contre deux fois seulement pour l’Amérique latine (le Brésil en 1994 et en 2002). Dans contexte, il n’est pas surprenant que les cinq pays qui représentaient l’Afrique à cette dernière coupe du monde soient éliminés dès le premier tour de la compétition malgré la présence de nombreux joueurs professionnels évoluant dans les championnats européens.
C’est la raison pour laquelle l’Afrique doit mettre en place de vrais de centres de formation de football et les accompagner avec l’infrastructure et l’encadrement nécessaires pour avoir des championnats locaux à la fois professionnels et compétitifs faute de quoi les rares centres de formation dont elle dispose continueront à servir de simple pépinière aux clubs européens de football et aux nations européennes comme c’est malheureusement le cas actuellement.
- La victoire de l’équipe de France doit servir à une meilleure cohésion nationale
La deuxième victoire de la France en Coupe du monde de football doit servir à une plus grande cohésion nationale française et notamment à la reconnaissance que les Français d’origine africaine sont des Français à part entière (pas seulement à certaines occasions comme celle qu’on célèbre actuellement) et non des Français entièrement à part. Il faut que cette victoire contribue à améliorer la situation de tous les Français quelle que soit leur origine et à lutter contre les discriminations sous toutes leurs formes. Malheureusement, les pays ont souvent la mémoire courte et retrouvent facilement leurs vieux démons. Il ne faut pas non plus se faire beaucoup d’illusions. La France ne changera pas radicalement du fait de sa deuxième victoire en coupe du monde. Il convient de rappeler à cet égard que la victoire de l’équipe Black-Blanc-Beur à la coupe du monde de 1998 organisée en France et unanimement saluée à l’époque n’avait pas empêché Jean Marie Le Pen et son parti d’extrême droite d’accéder au second tour de l’élection présidentielle de 2002. C’est pour cette raison qu’il faudra accomplir le travail nécessaire pour assurer une meilleure cohésion nationale pour éviter d’aggraver les frustrations de toutes les personnes concernées qu’il s’agisse aussi bien des acteurs politiques responsables du mieux-vivre ensemble que les citoyens qui attendent des actions concrètes pour y parvenir.
Publié dans l’Œil du Sahel (Cameroun) No. 1102 édition du 27 juillet 2018
Source: Aujourd’hui Mali