Le procès relatif au controversé marché d’acquisition de l’avion présidentiel et de matériels militaires, actuellement en cours devant la Cour d’assises spéciale de Bamako, a pris une nouvelle tournure ce mardi 18 juin 2025 avec l’audition de trois témoins de premier plan. Il s’agit de hauts responsables ayant joué des rôles techniques ou décisionnels dans l’exécution du contrat liant le ministère de la Défense à la société Guo-Star.
Bamada.net-Ces auditions ont mis en lumière des dysfonctionnements administratifs graves, des pratiques financières discutables et des procédures ignorées, dans un dossier estimé à près de 69 milliards de Fcfa. Pour la Cour et l’opinion publique, il ne s’agit pas seulement d’un contentieux administratif, mais d’un révélateur des failles dans la gestion des ressources de l’État.
Première déposition : un directeur financier face aux contradictions
Appelé à témoigner, le Colonel-major Amadou Makan Sidibé, ancien directeur des finances et du matériel au ministère de la Défense, s’est trouvé en difficulté face aux interrogations de la Cour. Il lui est notamment reproché d’avoir apposé sa signature sur des bons de commande non datés et non chiffrés, éléments pourtant fondamentaux dans la commande publique.
Interrogé sur sa participation dans la validation du protocole d’accord avec Guo-Star, qu’il affirme ne pas avoir rédigé, le ministère public a présenté des documents annexes portant sa signature. « Si vous n’étiez pas impliqué, pourquoi vos paraphes figurent-ils dans les annexes du protocole ? », a insisté le procureur.
L’ex-directeur s’est défendu en expliquant que ces signatures répondaient à un besoin de « régularisation » d’une procédure déjà engagée, tout en reconnaissant que ces bons n’étaient pas issus de sa propre direction, mais émanaient du cabinet ministériel de l’époque.
Des pratiques jugées irrégulières par la Cour
Le témoignage du Colonel-major Sidibé a mis à nu une série de pratiques administratives préoccupantes. Il a reconnu qu’il lui arrivait de signer des documents sans mention de date, ce qui a suscité la stupéfaction des juges. Il a également reconnu que le marché, compte tenu de son montant, aurait dû obligatoirement être soumis au Conseil des ministres – ce qui n’a pas été fait.
À Lire Aussi : Avion présidentiel et le contrat d’équipement militaire : Les deux affaires étaient… sales
À Lire Aussi : Affaire d’equipements militaires et d’avion présidentiel : Le colonel-major Dabitao et le général Drabo se disculpent
S’agissait-il d’un marché militaire ? À cette question, le témoin a répondu que bien que certains équipements soient sensibles, le protocole n’indiquait pas expressément la nature militaire du contrat. Un flou juridique qui continue de nourrir la controverse.
Deuxième témoin : confirmation de la réception des véhicules
Le Colonel Badara Aliou Diop, actuel directeur général de la Direction du matériel, des hydrocarbures et des transports des Armées (DMHTA), a lui aussi livré sa part de vérité. À l’époque des faits, il était directeur des transports dans cette même direction. Il a confirmé la livraison de 281 véhicules, parmi lesquels figuraient 14 blindés.
29 milliards d’écart, des documents flous : le scandale budgétaire décortiqué à Bamako
Selon lui, tous les engins ont été effectivement réceptionnés par les services compétents de l’armée malienne, ce qui soulève une autre interrogation : si les biens ont été livrés, pourquoi tant d’irrégularités dans le montage administratif et financier du contrat ?
Troisième témoignage : les dates et chiffres qui dérangent
Seydou Dicko, en sa qualité de délégué du contrôle financier auprès de la commission de réception du contrat, a apporté des précisions sur les délais de livraison. D’après lui, les opérations de réception se sont étalées entre août 2014 et juillet 2015, couvrant la totalité des matériels prévus.
Cependant, l’un des éléments les plus troublants reste l’écart de près de 29 milliards de Fcfa entre le montant d’une facture proforma initiale et le montant finalement déboursé par l’État. À ce sujet, aucun des trois témoins n’a pu apporter d’explication cohérente ni document justificatif, suscitant de nombreuses interrogations dans la salle d’audience.
Un contrat à multiples visages, une affaire aux conséquences profondes
Le procès ne se limite pas à une simple vérification comptable. Il met en lumière une gestion opaque des fonds publics, l’absence de rigueur dans les procédures contractuelles, ainsi que la faiblesse des mécanismes de contrôle au sein même des institutions de défense.
Comment un marché aussi colossal a-t-il pu échapper à une validation formelle du gouvernement ? Pourquoi les documents essentiels comportent-ils autant de vices de forme ? À qui ont profité les marges injustifiées ? Autant de questions que la Cour devra trancher dans les semaines à venir.
En attendant, d’autres témoins et anciens responsables gouvernementaux sont attendus à la barre. La justice malienne semble déterminée à aller au fond de cette affaire, qui reste l’un des plus gros scandales financiers de la dernière décennie.
Une affaire à suivre sur Bamada.net
Pour ne rien manquer des rebondissements de ce procès historique, la rédaction de Bamada.net continue de vous informer avec rigueur et impartialité. À travers nos analyses, nos reportages et nos enquêtes, nous nous engageons à porter la vérité au grand jour et à contribuer à l’exigence de transparence dans la gestion publique.
Bons non datés, contrats non validés : révélations accablantes au procès des équipements militaires
NB : Toute reproduction, intégrale ou partielle, sans une autorisation explicite de notre part est strictement interdite. Cette action constitue une violation de nos droits d’auteur, et nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour faire respecter ces droits.
Ladji Djiga Sidibé
Source: Bamada.net