Après un premier épisode gênant pour une autorité judiciaire aux ordres et guidée par les volontés politiques biaisées, le procès de l’avion présidentiel et des commandes militaires a repris avec le retour à la barre, il y une dizaine de jours, de la plus célèbre des inculpés, l’ancienne ministre Fily Sissoko.
Les circonstances inédites de comparution en rajoutent au discret du dossier ainsi qu’à la hideur des procédures judiciaires sous la Transition.
En effet, l’ancienne ministre de l’Économie et des Finances – non moins ancienne commissaire du Mali à l’Uemoa – a été retirée du lit qu’elle garde depuis un mois environ pour être présentée devant des juges apparemment indifférents à son état et pour répondre de faits accablants comme le faux et l’usage de faux, entre autres chefs d’inculpation. Le rendez-vous a raté pour cause de présomptions d’incapacité physique, mais les juges de l’institution suprême devront décider aujourd’hui de son aptitude à comparaître à nouveau, sur la base d’une expertise commanditée pour ce faire.
En attendant, ses avocats ainsi que ceux d’autres coaccusés sont restés droits dans leurs bottes et continuent de prétendre, ni plus ni moins, au renvoi du procès sine die ainsi qu’à sa libération et celle du colonel Dabitao. Quoique la requête soit rejetée par les assises, on peut en déduire que les auditions de nouveaux témoins de luxe – dont l’ancien PM Moussa Mara – n’ont guère bouleversé outre mesure les tendances et positions, depuis les premières comparutions conclues sur un camouflet pour la partie poursuivante.
Annoncé comme emblématique de la lutte contre l’impunité et instruit au forceps par la Cour suprême au mépris des privilèges de juridiction, le dossier avait en effet tourné court lors des précédentes audiences publiques où l’accusation a éprouvé grand mal à adosser les chefs d’inculpation sur des faits et témoignages solides. En cause, une impréparation manifeste du procès qui aura plutôt conforté les présomptions d’un dossier tiré par les cheveux, depuis son exhumation aux dépens de l’ancien PM Soumeylou B. Maïga mort en détention sans avoir eu l’occasion de se défendre.
Des connexions avec l’affaire Sanogo
Pour les plus initiés et observateurs avertis de l’histoire, le rebondissement spectaculaire de cette affaire préalablement classée sans suite ne doit rien au hasard. Il est intervenu notamment dans la foulée d’une autre affaire gênante que l’autorité politique de l’époque, assez frileuse en son temps, a préféré étouffer pour s’en épargner les ébruitements et évolutions incontrôlables. Il s’agit du célèbre dossier des «bérets rouges» dont l’enrôlement était apparu un torchon brûlant entre les pouvoirs judiciaire et l’exécutif, à l’expiration des délais légalement admis de la détention préventive des hauts gradés impliqués. L’autorité judiciaire entendait le conduire à son terme, tandis que l’exécutif semblait avoir des raisons inavouables de préférer un arrangement extrajudiciaire à des assises publiques porteuses d’éventuels malaises. C’est ainsi qu’au bout d’âpres négociations entre les deux parties, une certaine «Loi d’Entente nationale» sera mise à profit pour justifier l’extinction des actions publique et civile d’un crime de sang par un désintéressement des ayants-droits des 21 «Bérets Rouges» assassinés. En échange de quoi, le ministère public, sous la férule d’un certain Garde des Sceaux Me Malick Coulibaly, a requis et obtenu des autorités la caution politique de réouvrir le dossier des «équipements militaires et de l’avion présidentiel» préalablement par deux fois classé sans suite. La caution d’une impunité plus criminelle aura ainsi été monnayée contre le gage d’une volonté politique de sévir contre l’impunité à col-blanc.
Procédures mitigées et tirées par les cheveux…, un tissu d’incohérentes
L’ancien Directeur de Cabinet de la présidence, Mamadou Camara, sera le premier cobaye de cette expérimentation bancale, qu’il allait payer par un séjour carcéral mitigé, au mépris de la procédure convenable à son rang de ministre. Il lui est notamment reproché une correspondance émise au nom de son employeur, IBK, à l’ordre de qui un certain conseiller de la présidence, Mamadou Kagbassy, est désigné comme représentant attitré de l’Etat dans le processus d’acquisition de matériels et équipements militaires pour 69 milliards de nos francs. Quelle est, en définitive, la partition personnelle de leur employeur, IBK qui, de son vivant, n’a jamais contesté sa responsabilité dans la démarche imputable à son ancien Directeur de cabinet ? La question aura été habilement éludée par la justice, au détour d’une libération de ce dernier et en vertu du privilège de juridiction inhérent à son rang de ministre. Les ennuis judiciaires de l’ancien ministre de la Communication n’en seront que différés. Il va renouer avec l’expérience carcérale, suite au rebondissement du dossier par des nouveaux leviers juridiques tirés par les cheveux, dans le sillage notamment de l’inculpation de Soumeylou B. Maïga par la Cour suprême sans passer par les voies légales d’une Haute Cour de Justice, instrument sine qua non de la poursuite d’anciens ministres. Quoique disparue avec le parlement dont elle est l’émanation, le procureur général près la Cour suprême ne l’entend pas de cette oreille et a beau jeu de s’y prendre par une acrobatie judiciaire qui n’aura contribué qu’à révéler la justice malienne sous ses facettes les moins enviables. Pour la première fois, depuis Modibo KEÏTA, un homme d’Etat meurt en détention préventive, pour des chefs d’inculpation dont l’inconsistance sera mise à nu par la comparution publique des survivants. En cause, une procédure pénale rattrapée par les incohérences d’une institution judiciaire où le dossier «des matériels et équipements militaires» avait été précédemment tranché par sa Section administrative au profit des accusés. Un dénouement qui devrait contrarier toutes prétentions accusatrices, d’autant qu’il repose sur la reconnaissance de l’Etat malien comme redevable a l’attributaire dudit marché du même montant (69 millards F CFA) dont la moralité est contestée par le parquet.
La procédure de l’avion présidentielle ne respire pas une posture meilleure pour l’accusation. Celle-ci s’adosse notamment sur les paiements d’avances que la ministre des Finances a autorisé en vertu de la même raison d’urgence politique ayant sous-tendu la «lettre de garantie» qu’on lui reproche dans le cadre de la commande des «matériels et équipements militaires». Sauf que pour tous les deux dossiers, on est en droit des interroger sur les raisons pour lesquels la démarche procédurale a toujours consisté à éluder le mobile déclencheur qu’est la raison politique, un élément assez déterminant pour que son exclusion déteigne sur la manifestation de la vérité. IBK s’est servi pour renvoyer l’ascenseur à ses soutiens financiers de 2013 par l’attribution des marchés de l’avion et des matériels militaires, les autorités de la Transition en profitent probablement pour utiliser les boucs émissaires du régime défunt comme gage d’une volonté politique mitigée de sévir contre les impunités du passé. Comment expliquer autrement qu’on prenne de protéger des faits poursuivables de même nature par des mesures réglementaires dérogatoires, au mépris de toute orthodoxie en matière de gouvernance ?
A. KEÏTA
Source: Le témoin