La question a été posée depuis la fin de la Conférence d’Entente Nationale, mais elle a suscité une polémique qui a défrayé la chronique. Et pourtant, cette proposition de dialoguer avec les jihadistes Maliens dont Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa a été l’une des principales recommandations de l’International Crisis Group (ICG) dans un rapport publié le mois dernier. Le groupe d’analyse recommande d’établir un dialogue avec les jihadistes pour mettre fin aux violences dans le centre du pays.
En effet, depuis quatre ans, l’État peine à défaire par la force les combattants islamistes, qui ont multiplié les attaques. A cela, s’y ajoutent des violences entre communautés, avec son lot de nombreuses victimes parmi les populations civiles. Pour sortir de ce qu’il qualifie d’ « impasse », le groupe de réflexion recommande donc comme piste de solution possible au gouvernement d’engager un dialogue avec les djihadistes Maliens. Certains défendent la même démarche, comme recommandé sur noir et blanc au cours de la conférence d’entente nationale tenue à Bamako en mars et avril 2017.
L’ICG préconise cette démarche parallèlement aux efforts militaires pour imposer la paix. Une telle idée avait été proposée il y a deux ans lors d’une conférence nationale, mais elle a été rejetée par le gouvernement et surtout le président IBK pour des raisons obscures et inconnues du Malien lambda. Selon le rapport, les actions menées sur le plan politique jusqu’à présent « s’enlisent et il reste peu de bonnes options. Pour ce faire, le gouvernement malien devrait envisager d’échanger avec les islamistes et leurs partisans, que ce soit en établissant des lignes de communication avec les dirigeants de Katiba Macina ou en lançant un large dialogue avec les couches sociales les plus favorables à leur cause ». Conscient qu’une telle démarche se heurte à de nombreuses difficultés, certains admettent qu’elle risque d’être confrontée non seulement à une résistance au sein des communautés durement affectées par les attaques des djihadistes Maliens et ceux venus de l’étranger, mais également « au fait qu’Amadou Kouffa lui-même a, jusque-là, rejeté le dialogue ». Réagissant aux recommandations d’ICG, le gouvernement a indiqué que des passerelles pour dialoguer étaient déjà établies au niveau local. Il est d’ailleurs en train d’étudier la meilleure méthode pour formaliser cet échange et d’identifier ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas, a affirmé Boubacar Bah, le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation.
« On a des expériences dans la région du Centre : à Djenné, à Mopti, à Dialloubé, où les représentants de nos chefferies locales ont pris langue avec certains membres de ce Groupe-là (Katiba Macina). Donc, le dialogue existe. Maintenant, comment le formaliser ? Quelle pédagogie employée ? Il faut qu’il y ait un dialogue véritable entre eux et nous, au plus haut niveau de l’administration. Nous y travaillons, nous n’avons pas encore trouvé la bonne formule pour nous parler et trouver des points sur lesquels on peut discuter » a déclaré le ministre Bah.
Faut-il les désarmer par la force ? Les experts de l’ICG pensent que cette perspective a suscité des réserves. Ainsi, pour Alou Campo, chef de la mission de réconciliation entre Dogons et Peuls, la recommandation du groupe ICG est marquée par des insuffisances. ‘’Le Mali a opté pour la laïcité et je crois que le dialogue avec ceux qui veulent imposer la charia n’est pas compatible’’, estime-t-il. ‘’Il faut que l’État s’impose, il faut désarmer ces groupes armés’’, insiste-t-il. Mais au contraire, cette idée de dialogue est la bonne et la seule valable, réagissent d’autres. ‘’Ce n’est pas avec les militaires qu’on peut ramener la paix sur le long terme’’, estime Ousmane Sy, ancien ministre de la Décentralisation et directeur du Centre d’études et de réflexion au Mali (CERM). L’Islam est présent dans cette zone depuis des siècles, alors face aux évolutions actuelles, il faut faire discuter les adeptes d’un islam rigoristes avec les modérés, les autorités locales et nationales, conseille Ousmane Sy.
Dans leur rapport, les analystes d’ICG reconnaissent que l’initiative de dialogue qu’ils recommandent n’entrainera pas une cessation immédiate des hostilités et pourrait même prendre du temps à porter ses fruits. Cependant, jugent-ils, il serait louable de lui donner une chance pour réduire les effusions de sang dans le Centre du Mali » actuellement la région de Mopti qui est la plus affectée par les violences perpétrées dans le pays, qui ont fait des milliers de morts au cours des quatre dernières années. L’attaque barbare très meurtrière survenue dans le village de SOBANE DA, ce dimanche 9 juin 2019 dont le bilan dépasse déjà une centaine de victimes en est la parfaite illustration. Il serait judicieux de privilégier une autre piste plutôt que l’option militaire, notamment le dialogue pour éviter un conflit intercommunautaire voire même la guerre civile dans notre pays.
Seydou Diarra
Source: Le Carrefour