En Mauritanie et au Mali, pays membres du G5 du Sahel avec le Burkina Faso, la chute de Blaise Compaoré a été abondamment commentée. Cet événement suscite de nombreux questionnements dans une société où les tripatouillages constitutionnels et les coups de force des armées sont de moins en moins tolérés.
Par Amadou Sy, Zeinab Mint Ahmet et Alhoudourou A. Maiga
Omniprésente dans ces trois pays, l’armée a joué ou joue encore un rôle prépondérant dans la conduite des affaires. Militaire de carrière, le président burkinabé déchu avait prévu de se maintenir au pouvoir en modifiant la Constitution, après 27 ans d’un règne presque sans partage. En vain, il a dû céder sous la pression de la rue. Mais l’armée, qui a fait main basse sur la révolte populaire, reste à ce jour aux commandes.
Réélu pour un second mandat le 21 juin avec plus de 81% des voix, le chef de l’Etat mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, lui aussi militaire de carrière, a été pressé de faire la lumière sur ses intentions. «C’est mon dernier mandat», répondait-il à la presse française qui le questionnait sur le sujet, quelques jours après sa réélection. «Il est encore trop tôt pour émettre un jugement sur les intentions de l’actuel président Mohamed Ould Abdel Aziz par rapport à une éventuelle tentative de se maintenir au pouvoir, estime Ahmeddou Ould Telmidy, directeur du journal en ligne mauritanien Essahra et du centre d’étude et de consultation SADEC. Il vient d’entamer un deuxième mandat de cinq ans. Il n’est pas encore comparable à un Blaise Comparé qui voulait s’accrocher au pouvoir après 27 ans de règne».
En Mauritanie, les articles constitutionnels 26, 28 et 29, modifiés au cours d’un référendum le 25 juin 2006, précisent que le Président de la République est «élu pour cinq ans», «rééligible une seule fois» et doit, avant d’entrer en fonction, jurer par Allah de ne «point prendre ni soutenir, directement ou indirectement» une initiative visant à réviser ces deux articles. Depuis sa réélection, le chef de l’Etat mauritanien a réitéré sa promesse à plusieurs reprises, sans toutefois parvenir à convaincre les partis d’opposition qui ont boycotté la dernière présidentielle. Ladji Traoré, secrétaire général de l’APP (Alliance Populaire Progressiste), le parti de l’ex président de l’Assemblée nationale, Messoud Ould Boulkeir, estime que «la Mauritanie est dirigée par un régime issu d’un coup d’état comme au Burkina Faso. Le régime de Blaise et celui de Ould Abdel Aziz ont organisé des élections pour légaliser un système dont le grand soucis consiste à s’accrocher au pouvoir et à accumuler des richesses».
«Il est temps que les africains comprennent que la démocratie est une vertu»
De leur côté, les jeunes maliens partagent, sans réserve, les aspirations démocratiques de leurs voisins. Pour Mamadou Dembélé, étudiant à l’Université de Bamako, il s’agit d’une«révolution légitime. Il est temps que les africains comprennent que la démocratie est une vertu». Là aussi, l’omniprésence de l’armée est contestée. «Depuis 1967, le Burkina Faso est toujours dirigé par des militaires», rappelle le DR Mohamed Saliha Maiga, directeur général de l’Institut National de Formation en Equipement et Transport. Pour Seydou Tangara, journaliste à L’Essor, «le règne militaire doit cesser. La modification de la constitution pour briguer un troisième mandat ne doit plus être acceptée. Les Burkinabés ont montré qu’ils ne voulaient plus de cela. Cet exemple doit être suivi dans les autres pays africains.»
Les étudiants de l’Université de Nouakchott portent, eux, un regard sévère envers les dirigeants omnipotents. Boubou, 25 ans, prépare sa licence en sociologie. Les politiciens et les militaires ne lui inspirent «aucune confiance». Le jeune homme se méfie des doubles discours:«Blaise disait qu’il fallait partir un jour. Pourtant, il a tenté de se maintenir au pouvoir 5 ans de plus!». Pour son camarade, Samba, étudiant en ingénierie culturelle et médiation, «de manière générale, les présidents africains ne veulent pas quitter le pouvoir. Ils n’appliquent qu’une démocratie de façade et la Mauritanie ne fait pas exception».
Ndiaye, étudiant en réseaux et télécommunication, ne partage pas le même avis. Selon lui, il serait «malhabile» de la part du régime mauritanien de vouloir se maintenir au-delà du délai constitutionnel. Ce scénario pourrait se révéler «difficile» à mettre en œuvre, estime, pour sa part, Ahmeddou Ould Telmidy. Toutefois, le journaliste d’Essahra n’exclue pas que «des voix au sein du régime appellent à son maintien, mais sans rencontrer beaucoup d’écho, vu le scénario burkinabé et le refus français de voir des chefs d’Etat africains s’accrocher au pouvoir. La position française a été très clairement exposée dans la correspondance du président Hollande à Blaise Compaoré le 7 octobre dernier». Dans cette lettre, dévoilée par la presse parisienne, le président français mettait en garde son homologue burkinabé contre «les risques d’un changement non consensuel de Constitution».
«Espérons qu’une pareille situation ne se produise pas ici»
«Est-ce que Compaoré a été balayé pour avoir tenté de modifier la Constitution ou est-ce en raison de ses 27 années passées au pouvoir?», s’interroge le directeur de publication de l’hebdomadaire mauritanien La Tribune, Mohamed Fall Ould Oumère. «Le président Compaoré a déjà triché plusieurs fois sans que cela suscite une révolution populaire comme celle-là». Pour le journaliste, «le cas mauritanien n’est en aucun cas comparable à celui du Burkina». La Mauritanie est-elle à l’abri du scénario burkinabé? «Espérons qu’une pareille situation ne se produise pas ici, souhaite Tandia, un étudiant en droit. Car je ne suis pas sûr que le peuple de Mauritanie soit pour le moment capable de faire front commun contre l’insolence d’un quelconque dirigeant». Faut-il pour autant juger ainsi un peuple «qui s’est opposé longtemps à la dictature et qui a pu mettre fin à deux décennies de règne de Maaouya?», s’interroge Mohamed, un autre étudiant en droit, en faisant référence à l’homme qui a présidé aux destinées du pays d’une main de fer durant près de deux décennies.
Les inquiétudes sont les mêmes au Mali voisin où la chute de Blaise Compaoré rappelle à certains le coup d’Etat de 2012 ayant fait tomber Amadou Toumani Touré. «Il était temps. Après le Mali, on s’attendait à ce que le Burkina subisse la même chose. Mais le peuple burkinabé doit aller vite pour trouver une issue à cette crise. Nous avons peur d’être atteint par d’éventuels troubles. Notre pays est encore fragile», s’inquiète Fatoumata Touré, agent commerciale à Bamako.
Source: Le Courrier du Sahara