Pour échapper à la mauvaise corde qu’on lui prépare là-haut, à Koulouba, l’ancien ministre de la Défense se défend pied à pied, tel un combattant azawadien. Sa stratégie ? Celle de la terre brûlée et du déluge universel…
Soumeylou Boubèye Maiga a du flair à revendre. Du flair, il en faut beaucoup, en effet, pour détecter, tel un drone-radar américain, la direction des vents porteurs de soupe et venir poser sa valise de nomade politique chez le candidat Ladji Bourama dès les premières lueurs de l’année 2013. Premier transhumant arrivé, premier servi: Boubèye rafle le ministère de la Défense alors que les nomades retardaires, qui avaient perdu leur temps à lorgner de gauche à droite, se retrouvent le bec dans l’eau. Boubèye aurait probablement arraché la primature s’il entendait quelque chose aux chiffres économiques mais, hélas !, il a toujours gratté du papier ou espionné. Mais il ne perd pas trop au change: le ministère de la Défense est un gigot bien gros et bien gras; secret-défense aidant, les inspecteurs, contrôleurs et consorts n’y mettent jamais le nez.
Pour mériter (et consolider) sa somptueuse croûte – du pain au raisin agrémenté de lait Nido-, notre grand homme sort le bâton, et quel bâton ! En deux petits mois, il liquide les ex-putschistes du CNRDRE qui, tapis dans leur quartier général de Kati, pensaient effrayer Bamako où, par le passé, ils laissaient (ou faisaient) allègrement bastonner les présidents intérimaires. Cet exploit permet à Ladji Bourama de mesurer tout le savoir-faire de son super-ministre et d’égrenner son chapelet en paix, sans craindre l’intrusion d’un quelconque capitaine ou général aux commandes de son cher bateau.
Mais s’il y a une chose que Boubèye déteste, c’est de servir de mouton de Tabaski. Son petit doigt lui dit (et il dit vrai, en général!) qu’un mouton de Tabaski ne se réveillera plus sur terre et n’a pas de garantie particulière d’accéder au Paradis d’Allah soubhana wa taala. C’est pourquoi il suffit d’agiter un couteau, même plastique, sous les yeux de Boubèye pour qu’il fasse un vacarme de tous les diables, un brouhaha digne de « Bob Marley and the Wailers ». On en eut un avant-goût quand, le 21 avril 2014, l’armée malienne fut chassée de la ville de Kidal à coups de turban et de gourdin. Ladji Bourama, qui ne voulait pas se débarrasser de Moussa Mara, fraîchement nommé à la primature, enfonça de vive force sur la tête de Boubèye l’épineux chapeau de la défaite en le renvoyant, sans sommation, du gouvernement. On entendit alors, dix mille kilomètres à la ronde, les hauts cris du ministre déchu. Sur les ondes de « RFI », il déclarait détenir des SMS compromettants sur ceux qui ont ordonné l’attaque de Kidal (sous-entendu Ladji Bourama ou Moussa Mara) et exigeait la formation d’une commission parlementaire d’enquête sur les événements. Aux dernières nouvelles, les membres de ladite commission, en bons élus nationaux, dorment comme des loirs. Voyez-vous, un député, sous nos cieux, ça vote des deux mains et ça se tait, n’est-ce pas ?
A présent, Boubèye craint comme le virus Ebola de devoir porter un tout nouveau chapeau: celui des marchés douteux du Boeing présidentiel et des armements. Or il semble bien que dans les forges de Koulouba, où réside le plus illustre des Tisserands, un très méchant chapeau soit en phase de finition avec l’étiquette « Soumeylou Boubèye Maiga ».
Sur injonction du FMI, les audits réalisés par le Vérificateur Général et la Cour Suprême indiquent de gigantesques marchés passés en catimini, des garanties illégalement offertes par l’Etat, des surfacturations de 29 milliards et mille choses charmantes du genre. Et comme c’est Boubèye le signataire de ces nourrissants documents, les juges, policiers et gardiens de prison commencent à le regarder d’un drôle d’air. Cet air-là, le compère le connaît parfaitement et en mesure tout le danger pour avoir été, sept ans durant, le maître espion du pays. Du coup, il a sorti l’artillerie lourde pour assurer sa défense. Sachant qu’il vaut mieux prévenir que guérir, il a vidé son sac dans la presse avant même que le Vérificateur Général publie son rapport. Et que dit le fameux sac de plaidoirie ?
D’entrée de jeu, Maître Soumeylou Boubèye Maiga, qui a dû passer son doctorat en droit lors de sa récente garde à vue française, soulève une exception procédurale : le Vérificateur Général, à l’en croire, n’a pas le pouvoir légal de venir fouiner dans les achats de l’armée, lesquels seraient couverts par le secret-défense.
L’argument vaudrait son pesant d’or dans un Etat de droit comme la Norvège ou le Danemark, mais il ne pèse que des haricots dans une République bananière comme la nôtre, où le ministère de la Défense, au lieu de défendre le territoire et de sanctionner les militaires déserteurs, passe le plus clair du temps à passer des marchés de gré à gré et à faire les beaux jours des marchands de chaussures. Par ailleurs, le Vérificateur Général ne s’est pas auto-saisi du sulfureux dossier (il tient à sa peau, le pauvre !): il fut saisi par le Premier Ministre sur ordre du FMI, le sourcilleux tuteur des Etats mendiants. Enfin, le secret-défense, si secret soit-il, n’a pas valeur de permis de surfacturation, n’est-ce pas ?
Deuxième tir de barrage de Boubèye : on ne saurait parler de surfacturation puisqu’il n’y a pas de prix légal des équipements militaires au Mali.
Certes, aucune loi malienne ne fixe un barème obligatoire des équipements militaires; mais point n’est besoin d’un barème officiel pour savoir qu’une paire de chaussettes, à moins d’être climatisée ou imperméable aux bombes, ne peut coûter 20.000 FCFA ! Le sachant, l’ancien ministre de la Défense tente de nous faire croire que le fournisseur est libre d’imposer ses prix dès lors qu’il préfinance le marché. Je n’ai d’estomac assez solide pour digérer des salades de cette nature. De fait, le fournisseur n’a-t-il pas volontairement accepté de préfinancer le marché ? N’a-t-il pas, de surcroît, obtenu une garantie étatique de 100 milliards de nos francs ? A-t-on placé à sa porte Iyad Ag Ghali ou le fantôme de Ben Laden pour lui arracher une signature ? D’ailleurs, c’est pour obliger les fournisseurs potentiels à baisser les prix que la loi impose un appel d’offres en matière de marchés publics et, dans le cas des marchés couverts par le « secret-défense », une consultation restreinte.
Troisième et principal moyen de défense de l’ancien ministre : Ladji Bourama aurait donné son accord préalable à toutes les transactions. Si l’argument a pour but d’effrayer Ladji Bourama, c’est, à mon avis, raté d’avance car ceux que le pèlerin national aurait pu craindre se trouvent soit dans une sombre cellule (grâce à Boubèye lui-même, Alhamdoulillah!), soit en exil à Dakar. Et puis, sans blague, vous imaginez un juge, un policier ou un gendarme du pôle économique débarquer à Koulouba à la recherche du locataire des lieux ? Cela dit, si Ladji Bourama a donné son accord à la passation des contrats, a-t-on la preuve qu’il a autorisé les surfacturations ? Boubèye pourrait nous édifier là-dessus !
En somme, la stratégie de Boubèye est simple comme bonjour: embarquer dans la même barque l’ensemble de la coalition « Mali d’abord, inch Allah » et couler tout ce beau monde en plein fleuve Niger.
On appelle cela la stratégie de la terre brûlée ou, pour remonter plus loin dans le temps, la stratégie du déluge universel. Problème : Boubèye n’est ni l’Almamy Samory Touré, expert en terre brûlée contre les soldats coloniaux français, ni le prophète Noé qui, contre les eaux, se reposait sur le bras d’Allah soubhana wa taala.En vérité, depuis que le monde est monde, l’équité a foutu le camp: tout le monde ne paie jamais pour une faute, même collective. Vous en doutez ? Eh bien! Jetez un coup d’oeil au dictionnaire « Petit Larousse » et vous y lirez l’expression « bouc émissaire » qui veut dire ce qu’il veut dire. Relisez ensuite Jean de la Fontaine qui a légué à la postérité de bonnes vieilles fables comme « le loup et l’agneau » et « les animaux malades de la peste ». Encore un détail qui a pu vous échapper: la potence ne comporte qu’un noeud, ce qui signifie que malgré l’infinité des crimes et des coupables, elle est réservée à un seul cou.
Tiékorobani