Commentant en 2012 la chute du président malien Amadou Toumani Touré, l’atypique diplomate du Quai d’Orsay, Laurent Bigot prédisait le tsunami sur Ouagadougou, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Pour Bigot, Bamako et Ouaga avaient ceci de commun : l’Etat y avait foutu le camp au profit de la mafia de la coke et du rapt tapie jusque dans les palais. Att était tombé en quelques heures. Compaoré résistait encore à l’heure où nous écrivions cette chronique. Mais il a vécu ce 30 octobre 2014, sa journée la plus infernale.
JAMAIS IL N’A ETE AUTANT AFFAIBLI
Hier, il est descendu de son piédestal, tentant de sauver son pouvoir défié. Il a dissout le gouvernement en début d’après-midi. Rien n’y a fait : l’opposition a maintenu la pression et exigé purement et simplement la démission du président affaibli qui, à ses yeux, s’était disqualifié par son autisme et sa décision de réprimer dans le sang une manifestation aux bilans contradictoires.
Et surtout, même si en fin d’après-midi, Compaoré a voulu reprendre la main en instituant l’état d’urgence, il avait fait retirer, dans la matinée, le projet de loi dont le vote pouvait lui ouvrir la voie d’un autre quinquennat. C’est ce retrait que demandaient les manifestants se comptant par centaines de milliers mardi dernier dans une méga-marche d’avertissement qui a manqué de mettre la puce à l’oreille d’un président décidé à faire passer son projet en force. Dans le réveil tardif et peut être mou de la communauté internationale. John Kerry n’y est pas allé par quatre chemins pour signifier au président burkinabe le niet de Washington à son projet de déverrouillage constitutionnel.
Et dans une lettre maintenant rendue publique, François Hollande, dans des termes courtois mais fermes, a déconseillé tout changement non consensuel de constitution. Mais Compaoré était avancé dans son projet et le hic, en tout cas pour la Cedeao et l’Union africaine, est que si on pouvait lui opposer l’angle de la légitimité et de la nécessité du consensus , la manœuvre du Sioux moré est difficile à attaquer au plan légal.
EN FAIT, COMPAORE SUBIT LES EFFETS DE L’USURE
Il est au pouvoir depuis vingt sept ans, il a changé la constitution trois fois, il n’était pas venu démocratiquement mais par les armes, et son peuple lui avait passé jusque-là nombre de parenthèses sanglantes : les Sankara, les Lingani, les Zongo, pour n’ouvrir que les placards les plus connus.
En retour, Compaoré peut être crédité d’avoir fait du Burkina Faso un petit havre de stabilité là où les vulnérabilités sécuritaires, écologiques et socioéconomiques malmènent d’autres pays du Sahel. Il pouvait partir en 2015, après vingt huit ans de règne et avec les honneurs. Désormais, son défi est de boucler sa vingt-septième année de pouvoir.
S’il tombait, ce serait l’aboutissement logique du bras de fer pour lequel il a opté. Ce n’est pas face à son opposition mais à son peuple qui le défie et déferle dans les rues du pays tenu d’une main de fer depuis 1987.
Le chaos était apocalyptique, les sièges d’institutions en feu, le débordement des forces de l’ordre, la violence de la répression face à la détermination des manifestants, tout cela c’est pour dire : « partez président, le cimetière est plein d’indispensables ». Les peuples sont comme ça : aimables souvent, souvent sables mouvants.
De Tunis au Caire, l’histoire immédiate enseigne que les pouvoirs qui ont absorbé leur contre-pouvoirs, peinent à réaliser ce qui leur arrive, réagissent par les mesures qu’il ne faut pas et tombent presqu’à leur grand étonnement. Compaoré se trouve face à une telle menace. Il a l’avantage d’avoir vu naître et mourir une multitude de « timoniers ».
Tout est de savoir désormais jusqu’à quand il tiendra, à quel prix, ce que sera le Burkina à partir d’aujourd’hui, comment se comportera la sous-région dans un Burkina en turbulence, et si Compaoré remontait le courant, ce que vaudrait désormais son pouvoir.
Adam Thiam
Source: Lerepublicainmali