Près de l’aéroport de Bangui: une douzaine d’hommes sont allongés par terre, bras sur la tête, devant une foule survoltée. Près d’eux, des lance-roquettes, des fusils AK-47, et quelques couteaux. Ce sont des combattants Séléka qui viennent d’être désarmés par les soldats français.
Suivant les ordres reçus, les militaires français les relâchent presque aussitôt.
Quelques instants plus tard, des tirs éclatent près des soldats. Ils ripostent aussitôt et se lancent dans une manoeuvre d’encerclement du quartier par des chemins de terre, entre les maisons en bois.
Les échanges de tirs sont nombreux: mais il n’y pas de blessé côté français, et il ne semble pas y en avoir parmi les Séléka.
Au PK4 (point kilométrique 4) un quartier situé non loin du principal marché de Bangui, trois VAB (véhicule blindé) et un camion français avancent lentement sur l’avenue Boganda et s’arrêtent devant une fabrique de savon.
En soutien, un hélicoptère de combat tournoie en permanence au dessus de la patrouille française.
« Nous allons d’un point A à un point B, en contrôlant tous les véhicules, en contrôlant certaines maisons, en faisant du +rens+ (renseignement) », explique l’adjudant Ludo. « On prend toutes les armes », souligne-t-il.
« Les machettes sont considérées comme des armes aussi, on les confisque », précise le sous-officier.
« C’est un repaire Séléka »
Plusieurs centaines de personnes sont massées autour de la fabrique de savons, propriété d’un homme d’affaires musulman.
Selon les habitants, c’est un « repaire Séléka », une « cache d’armes ». « Il y avait beaucoup de Séléka ici. Hier, ils ont tiré vers 4h du matin », affirme Bienvenue Goh, une secrétaire résidant dans le quartier.
« Le soir, ils sortent et ils tuent les hommes jeunes. Ils nous ont traité comme des cafards pendant des mois. Il faut fouiller et prendre les armes », assure-t-elle.
« Il y a des armes! », crie la foule, pendant que les militaires français pénètrent prudemment dans l’enceinte, en formation de combat, fusil Famas épaulé, et en se couvrant mutuellement.
Le gardien, vêtu d’une djellaba blanche, Oumar Otar Oumar, parle à peine français et pas le sango, la langue nationale. Il se dit Tchadien, affirme ne pas avoir les clés du bâtiment intérieur et il jure qu »il n’y a pas d’armes ».
Le lieutenant Frédéric ordonne à un de ses hommes: « Tu lui dis qu’il ouvre, sinon on défonce » la porte de l’entrepôt. Un autre gardien, Abdelnasser Abakar proteste: « Nous sommes musulmans, alors la population nous accuse ».
Par terre, des douilles de Kalachnikov, des Rangers, et, accrochés à une fenêtre, des gris-gris censés protéger des balles. L’attirail habituel des combattants de la Séléka.
Finalement, les soldats français pénètrent dans la fabrique artisanale. Le sergent-chef John découvre trois munitions de Kalachnikov, des lits de camp et quelques papiers du gardien. Les papiers sont photographiés.
Un des propriétaires arrive. Son explication: « On payait deux Séléka pour nous protéger. 15.000 F CFA par jour chacun (20 euros). Ils sont partis », assure-t-il.
Le lieutenant Frédéric n’est pas dupe: « On est passé ici il y a quelques jours jours, il y avait beaucoup de Séleka. On le sait. Maintenant, est-ce qu’ils sont encore là, c’est autre chose… »
Sur l’avenue, trois musulmans, apparemment des commerçants, sont contrôlés. L’un d’eux a un pistolet. L’arme lui est arrachée. La foule crie sa joie mais manifeste aussi sa déception, voire sa colère de constater que les soldats français n’ont pas trouvé d’armes dans la savonnerie.
« Ca sert à quoi qu’on doigte (désigne) les maisons s’ils ne font rien. Ce soir, les Séléka vont revenir nous tuer pour se venger. Il faut fouiller encore. Il y a sûrement des Séléka en civil qui nous observent et vont nous doigter à leur tour ».
Il faut que les Français aillent dans les quartiers
Le lieutenant Frédéric se veut rassurant: « On désarme ». « Avant, les Séléka avaient des armes, maintenant ils n’ont plus le droit. Si on les voit, on les arrête. Ca va changer. Ils ne pourront plus faire ce qu’ils faisaient avant, ils le savent ».
Au marché Lakouanga, commerçantes et clients sont revenus timidement: « Ca fait plusieurs jours qu’on n’était pas sortis. On a pris des risques mais on a faim. Avec les militaires français on est un peu plus confiants, mais je n’ai pas pu me réapprovisionner », assure Elise Nzalé devant quelques tomates en partie pourries. « Ce n’est pas assez pour vivre ».
Arlette Papaye, une cliente, se plaint: « il faut que les Français sortent des axes et aillent dans les quartiers. Sinon, ça sert à rien. Il faut que les Français fassent partir les Séléka ».
Près de 1.600 soldats français sont en Centrafrique depuis dimanche pour faire cesser les massacres de civils, désarmer les milices. Leur mission, qui ne fait que débuter, s’annonce longue et laborieuse. Avec des risques de cas de lynchage de la part d’une population excédée, et le cycle infernal des représailles.