Cette période de confinement a quelque chose de positif en ce sens qu’elle nous donne suffisamment de temps pour réfléchir et faire de l’introspection, structurer des idées éparses que nous nous faisons sur les sujets les plus variés, y compris une question sociétale majeure, sujet de prédilection des hommes politiques: comment construire le “Maliden koura”.
Je vais oser m’y essayer sans avoir la prétention de cerner le sujet, ni de le connaitre en profondeur. Ma seule ambition par cet essai, c’est de relancer le débat sur le sujet pour alimenter les discussions dans le cadre du processus de réformes qui s’ouvre inexorablement devant nous.
Il va sans dire que cette réflexion ne nous absout pas de nos responsabilités face à la mauvaise gouvernance politique, économique et sociale dont l’incidence est dévastatrice. Ces tares sont la source de l’instabilité chronique à laquelle il faut trouver une solution sans tarder. A défaut de résoudre ces problèmes brûlants de l’heure, il ne servira à rien de se projeter dans l’analyse prospective. La prospective sert aux pays qui ont un futur, pas à ceux qui s’auto détruisent.
L’intérêt d’un débat sur le “Maliden koura” réside dans l’incidence positive ou négative que peut avoir la qualité des ressources humaines dans la construction et la réussite d’une nation.
Un pays a beau recéler le meilleur potentiel de ressources naturelles: les ressources du sous sol, la qualité de l’environnement naturel, les ressources en eau, les meilleures terres arables, le plus grand cheptel, qu’il n’en ferait rien s’il n’a pas le capital humain capable de les mettre en valeur. Un tel pays vendra ses ressources à l’état brut en échange de peccadilles, contribuant ainsi à créer de la valeur ajoutée et des emplois dans d’autres pays.
Mais il n’y a pas que les compétences techniques qui font la différence. Il y a avant tout la connaissance de soi même et ses corolaires que sont le sens de l’éthique et de la probité, la conscience de l’appartenance à une nation et le sens du civisme que cela implique. Ces éléments sont le socle sur lequel tout l’édifice doit se construire. Si ce socle est branlant, comme c’est le cas du Mali d’aujourd’hui, il n’y aucune chance de construire une nation basée sur l’état de droit encore moins par ceux qui sont supposés être le dernier rempart: les citoyens.
La culture empruntée ou l’acculturation du malien est son pire ennemi. Le prisme au travers duquel nous apprécions la qualité, la beauté, le goût, l’odeur et autres est emprunté à quelqu’un d’autre.
Ce que l’on mange, le parfum que l’on porte, les vêtements que l’on met n’ont de la valeur que quand ils répondent à des paramètres qui sont conçus dans d’autres sociétés, paramètres qui sont le reflet de leur évolution historique, pas la nôtre. Ce qui nous rend dépendants économiquement et culturellement des pays, régions et continents d’origine de ces paramètres.
Même notre appréciation de la structure, de l’articulation et de l’expression des idées et autres contributions de nos compatriotes à la réflexion sur les sujets d’intérêt national est conditionnée par ces paramètres parce que la matrice de réflexion est empruntée.
L’histoire a montré que la conquête des peuples et leur asservissement étaient naguère le fait des armes et de la ruse. Aujourd’hui, cette approche a cédé la place à la conquête et à l’asservissement par l’acculturation injectée par doses homéopathiques à travers les média. Nous mêmes nous immolons sur l’autel de notre propre reniement . Les autres n’ont plus besoin de nous conquérir . Nous mêmes nous rendons en masse! poings et pieds liés.
Nous ne pourrons jamais nous émanciper économiquement, financièrement tant que nous ne briserons pas cette chaîne de malédiction, tant que nous ne nous ressaisissons pas pour réhabiliter nos propres repères culturels. Vous constaterez avec moi que nous continuons d’exporter le peu de richesses que nous avons pour acquérir les biens mobiliers et immobiliers là où nous pensons que nous nous assimilerons pour échapper à notre destin. Cela est vain , car comme le dit l’adage ” le bout de bois a beau durer dans l’eau, il ne se transformera jamais en caïman”. Il ne faut pas se leurrer, ceux chez qui nous investissons n’ont aucun respect pour nous. Ils nous respecteront davantage le jour où ils s’apercevront que “nous réfléchissons par nous mêmes pour apporter des solutions endogènes à nos problèmes, que nous mettons le peu de moyens que nos pays recèlent au service de nos populations pour les aider à sortir de la pauvreté abjecte et de la maladie”. Ainsi la perception du monde sur le Mali évoluera positivement.
Nous proposons ci-dessous quelques éléments qui constituent la trame et l’articulation de notre philosophie sur la reconstruction de l’Homo Malianus:
I- Les éléments constitutifs de la reconstruction du Maliden koura:
Nous partons du postulat que le Maliden koura ne peut se construire à partir de Maliens ayant déjà atteint l’âge adulte ou ceux sont déjà dans la production, qui sont déjà formatés suivant un mode de réflexion et de production qui n’ont pas réussi à faire la différence. Cette catégorie de personnes a l’esprit déjà façonné suivant un canevas qu’il sera impossible de remodeler en profondeur. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille ne pas influer sur cette catégorie. Il y a toujours des adaptations, des mises à niveau, des récompenses et des sanctions qui siéraient mieux pour elle. Cette catégorie n’est pas au centre de notre exercice de réflexion d’aujourd’hui.
Ce postulat étant défini, il convient de prendre en compte un certain nombre de certitudes scientifiques qui vont sous-tendre notre cheminement:
1- la nutrition est essentielle à la formation de la personnalité du bébé, de l’enfant et de l’adolescent;
2- La personnalité d’un enfant est entièrement formée très tôt, dès les premières années de son existence. Le niveau de son intelligence future est déterminé pendant cette période. De même, sa réaction affective à son environnement se forme au cours de la même période.
3- La bonne nutrition épanouit l’enfant et le prédispose à la socialisation et à la pratique des sports collectifs
4- la bonne nutrition affine l’attention de l’enfant et renforce son degré de concentration et l’intérêt qu’il porte à son environnement.
Nous estimons que la nutrition de qualité pour tous les enfants maliens doit être la première pierre angulaire pour construire le Malien nouveau. Aucun enfant malien ne doit dormir la nuit le ventre vide. Il ne s’agit pas de créer des cantines coûteuses dans chaque établissement scolaire. Il suffit d’adopter une politique de “rations scolaires” dans des emballages à usage unique. Les rations seront conçues à base de nos céréales locales, transformées par des unités industrielles locales, en respectant les règles de l’apport en vitamines selon les normes internationales. Ces rations individuelles seront servies aux enfants au moins 2 fois par jour: le petit déjeuner et le déjeuner. Ce programme devra se mettre en place dès la première année fondamentale
En plus de construire une morphologie équilibrée et la bonne santé, les rations scolaires fidéliseront les enfants à l’école. Ils auront envie de revenir à l’école et d’y passer plus de temps. L’enfant est malléable à cette phase de sa vie. On peut facilement travailler sur son physique, son intelligence et sur son endurance mentale, et pourquoi pas sur son sens du civisme.
Ce programme de nutrition devra s’accompagner de mesures complémentaires telles que la distribution de moustiquaires imprégnées une fois par année scolaire, la distribution de brosses à dent et de pâte dentifrice une fois par mois, la distribution d’une gourde à eau une fois par an et une cuillère pour consommer la ration. Une lampe solaire individuelle donnerait l’envie à l’enfant de faire ses devoirs une fois à la maison le soir.
Dans les espaces où il n’y a pas d’adduction d’eau, envisager un forage dans l’enceinte de l”école et la construction de latrines pour filles et pour garçons.
Le coût d’une telle opération peut paraître énorme au prime abord, mais c’est le meilleur investissement que l’on puisse faire. Après tout, ne dit on pas que l’Homme doit être au centre des politiques publiques.
L’utilisation à grande échelle de la médecine scolaire préventive devra être la deuxième pierre angulaire du programme. L’enfant subira une visite médicale à chaque rentée scolaire, y compris le suivi des soins bucco dentaires.
La mise en place ce programme de nutrition et de suivi médical de l’enfant crée la plateforme pour structurer le reste du programme de reconstruction. Le principe est de laisser très peu de temps de oisiveté à l’enfant.
Le suivi assidu de l’enfant à l’école sera la troisième pierre angulaire du programme. Un carnet de suivi de l’enfant sera remis pour chaque enfant contenant les informations sur sa scolarité, sa nutrition et son suivi médical. Quelques priorités doivent être prises en compte dans sa formation: la lecture, le calcul, la dictée, la compréhension et l’explication des texte. Ces matières développent très tôt le sens du discernement chez l’enfant. L’initiation aux nouvelles technologies de l’information et de la communication est un “must”. L’expérience du covid 19 nous a prouvé à suffisance que leur utilisation contribuera à vulgariser les innovations quant aux modalités du télétravail, de télémédecine et de l’école virtuelle dans un futur proche. Elles sont également un vecteur de partage des connaissances au delà des frontières nationales et des continents.
L’éducation civique doit être une pièce centrale dans la construction du Maliden koura. Elle doit être inscrite au programme très tôt et se poursuivre jusqu’en fin du cycle secondaire.
Une fois la classe formelle terminée, il faut créer les conditions pour que l’enfant puisse pratiquer les sports collectifs pour renforcer sa condition physique et mentale ainsi ses aptitudes à la socialisation. C’est cela la quatrième pierre angulaire du programme de reconstruction. Cela implique la réalisation de terrain de sport, même rudimentaire, dans chaque centre scolaire.
Il est également important d’implanter un laboratoire d’initiation aux NTICs dont l’accès sera ouvert à tous les élèves.
Si possible, une bibliothèque rudimentaire donnerait l’envie de la lecture dès le jeune âge.
Afin de développer le sens du travail d’utilité publique chez l’enfant, il est utile de mettre en place un système d’encadrement du genre pionnier pour effectuer des corvées de nettoyage pendant un week-end par mois en créant un système d’émulation entre les écoles et entre les quartiers. Les enfants doivent participer à la levée des couleurs nationales dans la cour de l’établissement les matins des jours ouvrables.
A leur entrée à l’école supérieure, les jeunes adultes constitueront la réserve pour les forces de défense par un système de conscription qui les formera à l’art militaire deux mois de l’année pendant les vacances d’été. La conscription prendra fin à la fin du cycle supérieur.
II- La formation et l’emploi:
Le Maliden koura doit pouvoir jouir des meilleures opportunités de formation et d’un environnement propice à l’emploi. Il faut surtout éviter trop de temps de oisiveté pour l’adolescent et le jeune adulte.
Une bonne qualité de formation les rendrait compétitifs au niveau national, sous régional et international. Pour cela il faut un contenu qui soit adapté à notre environnement culturel en même temps qu’il doit préparer les enfants pour les opportunité d’emploi existantes. On constate malheureusement que nous investissons dans des formations non adaptées aux besoins du marché. Les jeunes diplômés sont au chômage pendant qu’on va recruter l’expertise externe à coûts de millions. Les curricula académiques doivent être adaptés aux besoins du marché. Il y a un besoin d’accorder la priorité à la formation professionnelle et à l’apprentissage qui préparent à l’emploi. Avec le diplôme professionnel, à défaut de trouver un employeur, les jeunes peuvent s’auto employer ou créer des coopératives. L’Etat les aidera en les initiant à l’entreprenariat, en mettant des fonds de démarrage pour les startup. Les agences publiques de soutien à l’emploi des jeunes doivent fusionner et cesser d’exécuter les programmes de formation. Cette responsabilité sera externalisée à des structures privées ou publiques de formation moyennant un cahier de charges.
Le secteur privé sera mis à contribution pour le stage et éventuellement , le recrutement de jeunes diplômés. Des mesures d’incitation seront mises en place en faveur des entreprises.
Nous avons proposé d’attribuer 15% des marchés publics de l’Etat et des Collectivités territoriales aux opérateurs nationaux. Une partie de ce quota pourrait être réservée aux startups de jeunes diplômés.
L’Etat et les collectivités décentralisées doivent poursuivre le travail de modernisation de l’Administration en recrutant les jeunes diplômés.
Il faut inciter les enfants à s’orienter vers les “STEM”, les sciences, techniques et mathématiques. L’avenir de la recherche se trouve là, de même que les opportunités d’emplois dans les domaines les plus pointus à l’internationale.
Le champ des sciences sociales est plus que saturé et les opportunités d’emploi sont limitées, d’où beaucoup de diplômés en sciences sociales sans emploi.
Le programme s’appliquera sans interruption et accompagnera l’enfant jusqu’à la fin de son cycle secondaire. Une évaluation en sera faite à l’issue des cinq premières pour procéder aux ajustements nécessaires. L’évaluation finale aura lieu au bout de dix ans.
Ainsi l’Homo Malianus sera formé, encadré et préparé à s’assumer en tant premier noyau de la Nation malienne.
III- Les résultats attendus:
L’expérience proposée ci-dessus devrait contribuer, avec d’autres actions, à construire un nouveau type d’Homme malien doté:
– d’un sens poussé de discernement et d’une capacité élevée d’analyse;
– d’un sens élevé d’appartenance à la Nation malienne;
– d’un sens élevé de responsabilité vis à vis de la chose publique;
– d’un sens éthique et civique poussé;
– d’une conscience élevée de sa place dans la défense nationale et la reconstruction de la nation;
– de compétences scientifiques et techniques pour saisir les opportunités d’emploi et se prendre en charge;
– de compétences et d’un savoir faire nécessaires pour participer à la chaîne des valeurs et devenir une valeur sûre susceptible de compétir sur le marché du travail mondial;
– d’une connaissance approfondie des us et coutumes de chez lui au point d’en faire un des repères majeurs dans sa prise de décisions l’affectant, affectant sa famille et la nation tout entière.
Cette nouvelle force, qui peut être opérationnelle entre cinq et dix ans, doit être canalisée vers la réalisation des aspirations communes à notre Nation et d’une vision clairement définie. Le leadership politique doit être sans reproche pour inspirer confiance. La rectitude des dirigeants doit être à toute épreuve.
j’ai écrit ceci et je l’offre comme contribution au débat.
Cheick Sidi Diarra
Ancien Secrétaire général adjoint des Nations Unies
kelendj2@gmail.com